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Le psychiatre-psychothérapeute Robin Baeten (trajet aigu ZNA, équipe mobile de crise Anvers) est très clair à ce sujet: "En tant que médecin, on ne peut jamais garantir qu'un patient ayant des idées suicidaires ne passera pas à l'acte. Il existe peu de facteurs prédictifs fiables. Il y a des facteurs de risque qui peuvent nous guider un peu. Mais le travail du médecin avec un patient suicidaire consiste principalement à établir et à maintenir le contact." Le Dr Baeten souligne que les pensées suicidaires ne sont pas simplement le signe d'une souffrance sous-jacente, mais qu'elles sont également importantes en elles-mêmes pour le patient, parce que le suicide peut être ressenti par lui comme une issue, aussi radicale soit-elle: si rien ne va dans cette vie, il y a au moins une autre solution. De ce point de vue, les pensées suicidaires sont réconfortantes. Ou, comme l'exprime Nietzsche dans son livre "Jenseits von Gut und Böse": "Der Gedanke an den Selbstmord ist ein starkes Trostmittel: mit ihm kommt man gut über manche böse Nacht hinweg." (*) C'est également la raison pour laquelle il est préférable que le médecin n'essaie pas de se concentrer sur la lutte contre les pensées suicidaires ou sur l'obtention d'une garantie qu'aucune action ne sera entreprise. Le patient peut percevoir cela comme un manque de respect ou penser qu'il n'est pas autorisé à parler de ses pensées suicidaires. Or, laisser le patient parler de ses pensées suicidaires ou de sa tentative de suicide est précisément ce qu'il faut lui offrir. D'une part, pour évaluer le risque d'une (nouvelle) tentative de suicide et déterminer ainsi la politique à court terme. D'autre part, pour comprendre pourquoi le patient choisit (ou envisage) une telle solution aussi radicale, et pour chercher avec lui d'autres issues possibles. Un certain nombre de facteurs de risque peuvent nous guider dans l'estimation du risque. Les tentatives de suicide sont plus fréquentes chez les femmes que chez les hommes, et plus fréquentes chez les jeunes que chez les personnes âgées. Toutefois, les tentatives de suicide sont plus souvent fatales chez les hommes âgés. Les groupes à risque de tentative de suicide au sein de la population sont les personnes moins éduquées, les personnes économiquement inactives (chômeurs) et les personnes célibataires (les personnes divorcées ont un risque plus faible que les personnes mariées). En outre, un risque accru de tentative de suicide est observé chez les personnes présentant des symptômes psychiatriques (60% des cas de tentative de suicide), les personnes ayant des problèmes relationnels (50%), les personnes exprimant des sentiments de solitude ou de désespoir et celles ayant des problèmes en termes de relations sociales, de santé ou de situation financière. L'abus de substances (alcool, benzodiazépines, etc.) a un effet d'abaissement du seuil car certaines substances augmentent l'impulsivité. "Comme indiqué brièvement ci-dessus, aucun de ces critères n'est en soi un signal absolu pour craindre une tentative de suicide", souligne le Dr Baeten. "Il est particulièrement important de rassembler toutes les données relatives aux pensées suicidaires ou à la tentative de suicide du patient et de se faire une idée d'ensemble. N'hésitez pas à poser des questions supplémentaires sur l'intention d'un patient qui vient vous voir après une tentative de suicide. Par exemple, un patient peut être amené aux urgences parce qu'il a pris une overdose de médicaments. Le contact peut révéler qu'il a effectivement pris une dose potentiellement mortelle d'un médicament toxique, mais aussi qu'en prenant cinq somnifères, il voulait simplement échapper à ses sentiments de malaise ou d'agitation pendant un certain temps, qu'il voulait 'dormir' un moment, plutôt que mettre un terme à ses jours." La méthode utilisée et la gravité des blessures fournissent également des informations. Dans le cas d'une personne qui s'est tailladé les poignets, la profondeur de la coupure peut être un indice. Les personnes se coupent parfois parce que la douleur physique les détourne de leur malaise psychologique. Dans le cas d'une tentative de suicide par des moyens très agressifs, le risque qu'une nouvelle tentative réussisse est plus élevé. Le fait que des personnes recherchent, par exemple sur internet, des informations sur les techniques efficaces de suicide constitue un signal d'alarme. Autre élément révélateur, les tentatives interrompues: les personnes envoient parfois un message à leurs proches après avoir pris des médicaments parce qu'elles commencent à douter d'avoir pris la bonne décision. Lorsqu'une telle situation est abordée pendant l'entretien, il faut éviter que le patient ait l'impression que le médecin met sa sincérité en question. Son hésitation pendant la tentative de suicide n'en est toutefois pas moins éloquente. Les émotions du moment sont également un facteur important. "Lorsque les personnes sont complètement accablées et pleurent, je trouve cela plus rassurant qu'un manque total d'émotivité", déclare le Dr Baeten. "Avec les personnes qui s'expriment, vous pouvez entamer un dialogue. Il faut plutôt se méfier des personnes calmes qui minimisent les choses, que l'on rencontre - dans mon expérience - surtout dans le groupe des hommes âgés: ils essaient de rassurer le médecin sur leur pronostic, alors que les pensées suicidaires restent en toile de fond. Ça va aller. J'en parlerai avec ma femme. En tant que médecin, ne vous laissez pas berner." Outre la tentative actuelle, les tentatives précédentes peuvent également être abordées. En Flandre, un guide a été élaboré, baptisé "Loes" (pour "Leidraad opvang en evaluatie bij suïcidaliteit" (www.zelfmoord1813. be/loes), pour la prise en charge d'un patient ayant fait une tentative de suicide. "Il fournit des outils détaillés aux soignants qui ne sont pas confrontés quotidiennement à ce type de situation", explique le Dr Baeten. "L'outil donne un aperçu de toutes les données que l'on peut collecter pour obtenir une image complète de la situation, procéder à l'évaluation des risques et réfléchir à une prise en charge possible." Sur l'ensemble des personnes ayant fait une tentative de suicide, 6% en Flandre ne bénéficient d'aucun suivi, en raison du refus ou de l'indisponibilité de soins appropriés. Sur les 94% restants, un quart bénéficie de soins ambulatoires (psychologue, équipes ambulatoires, centres de crise, etc.), tandis que les trois quarts sont admis au moins une nuit en résidentiel. "Les données ne permettent pas de savoir ce qui se passe après l'admission en résidentiel", note le Dr Baeten. "Alors que la continuité est précisément un élément essentiel pour les personnes ayant des pensées suicidaires ou des antécédents de tentative de suicide récente. Si un patient est orienté vers une structure de soins, il est important de lui offrir la possibilité de revenir aisément vers le soignant qui l'a orienté, au cas où un accompagnement ne serait pas ou pas immédiatement possible au sein de la structure de soins censée l'accueillir." "Par ailleurs, après un premier contact avec le patient, on peut également proposer de fixer un nouveau rendez-vous le lendemain pour rediscuter de la situation dans des circonstances plus sereines. C'est une opportunité à saisir en tant que prestataire de soins. C'est un point de départ favorable pour faire la transition vers des soins plus spécialisés." Enfin, le Dr Baeten conseille à ses confrères de ne pas se laisser envahir par la peur. "On ne peut pas admettre tous les patients ayant des idées suicidaires dans un service fermé. Cela ne constitue pas non plus une garantie de sécurité: les patients quitteront le service et passeront quand même à l'acte. Il n'est tout simplement pas possible de contrôler une personne d'un bout à l'autre. Dans ce contexte, le contact et la continuité sont plus importants que le contrôle. Et si une situation vous choque, parlez-en avec vos collègues. Exprimez vos sentiments, sinon vous en garderez un souvenir négatif. Essayez également de ne pas laisser les expériences passées entraver votre conduite. Chaque situation doit être évaluée avec un esprit ouvert."