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On a beaucoup évoqué l'après- Covid et non sans raisons. L'Europe s'est en effet aperçue de sa grande fragilité, plus précisément de sa grande dépendance aux fournisseurs étrangers, dans une série de domaines tels que les médicaments ou les semi-conducteurs. Au point, en ce qui concerne ces derniers, de mettre 50 milliards d'euros sur la table pour booster le secteur. Il faut à présent évoquer l'après invasion de l'Ukraine, tant la face de l'Europe et la scène économique se sont modifiées en quelques jours à peine. Sur le plan militaire, l'Allemagne marche sur des oeufs depuis trois quarts de siècle, et la voilà qui finit par envoyer des armes en Ukraine! Sur le plan politique, la Finlande aussi marche sur des oeufs depuis trois quarts de siècle, et la voilà qui évoque une adhésion à l'Otan! Deux attitudes impensables voici quelques semaines à peine. Le dictateur russe, pour reprendre les mots rapidement prononcés par le président américain Joe Biden, a-t-il commis une erreur ou s'en fiche-t-il? En attaquant l'Ukraine, il a en tout cas soudé les pays européens avec une ampleur à peine imaginable quelques semaines plus tôt! Et renforcé les liens avec les États-Unis au travers de l'Otan. Pendant ce temps, les bourses flanchent, l'or se raffermit, le pétrole grimpe, le gaz explose, le prix du blé s'enflamme... Résultat: plus d'inflation que prévu jusqu'ici, mais aussi moins de croissance. Et quelques écarts boursiers spectaculaires, à la hausse parfois, à la baisse souvent. Quelles leçons pour l'investisseur? Si l'Europe dépend beaucoup de la Chine dans un tas de domaines, notamment les métaux rares indispensables pour sa transition énergétique, elle dépend tout autant de la Russie dans les énergies classiques: un quart de son pétrole en vient et pas moins de 40% de son gaz. Dans ce dernier domaine, la Norvège et l'Algérie suivent de loin, avec 20 et 12% respectivement. Et ce gaz russe transite par l'Ukraine... Moscou peut donc aisément faire grelotter les Européens et mettre les activités économiques de l'Union sur le flan. On relève toutefois que Poutine a évoqué une alerte nucléaire, mais n'a pas proféré de menace énergétique. Pour une bonne raison, soulignent de nombreux experts: les seules exportations de gaz vers l'Europe représentent 15% du PIB russe, l'ensemble des exportations énergétiques fournissant 40% des recettes publiques. Pas possible donc de s'en passer, sous peine de banqueroute? "La dépendance de la Russie par rapport au marché européen est plus importante que la dépendance européenne vis-à-vis du gaz russe", a ainsi déclaré Francis Perrin, de l'Institut des relations internationales et stratégiques (Iris) à Paris. Rassurant, en principe, sauf que la Russie détiendrait aujourd'hui des réserves de change de 625 milliards de dollars, souligne un autre expert. Un joli matelas, qui permettrait à Moscou de "voir venir". D'autant que ces réserves ne contiennent quasiment plus de Treasuries, c'est-à-dire d'obligations de l'État américain, ce qui prive Washington d'une arme de rétorsion. Une parenthèse: il n'est évidemment pas possible, pour l'Europe, de se fournir ailleurs du jour au lendemain. Ni au Qatar, ni aux États-Unis, aujourd'hui fournisseurs de gaz très marginaux. Même si "les exploitations actives de pétrole" sont, en un an, passées de 565 à 874 en Amérique du Nord, souligne Christian Brito, professeur français d'économie. Pour après-demain, sûrement. Une pareille dépendance énergétique explique l'envol des prix pour le pétrole et plus encore pour le gaz. La conclusion est limpide et de nombreux économiste l'ont rapidement exprimée: l'inflation sera encore plus élevée et plus durable. D'autant que l'énergie n'est pas seule en cause: le prix du blé, dont Russie et Ukraine représentent ensemble un tiers des exportations mondiales (à destination notamment de l'Égypte), a grimpé de moitié depuis le début de l'année. Sans oublier l'aluminium ou encore le nickel, dont le groupe Norilsk, basé dans l'Arctique russe, est le premier producteur mondial. Une inflation plus élevée risque assez logiquement de ralentir l'économie. À la fois en accroissant trop rapidement les coûts des entreprises et en rendant le consommateur plus frileux. Il n'est guère de jour que les médias ne rendent compte de l'inquiétude des automobilistes faisant un plein. Sans rappeler pour autant que le cours du pétrole reste en-deçà de son record à plus de 140 dollars le baril du printemps 2008. Et encore moins que le pouvoir d'achat a davantage progressé depuis les années 80 que le prix des carburants, souligne l'économiste belge Philippe Defeyt. Le quadruplement du prix du brut intervenu lors du tristement célèbre "premier choc pétrolier" de 1973 avait provoqué à la fois une flambée de l'inflation (12,5% en Belgique en 1974 et 1975) et une récession économique. On avait alors inventé un mot pour désigner cette situation: la stagflation. Elle est aujourd'hui exclue, ont très rapidement assuré nombre d'économistes. Sauf développements apocalyptiques bien entendu. D'autant que l'abandon de la plupart des mesures sanitaires anti-Covid devrait réveiller le consommateur, continuent de penser de nombreux observateurs. Ces tout derniers jours pourtant, le mot a bien été écrit dans plusieurs études, mais avec pour explication une croissance moindre et non une récession. On croise les doigts... Qu'est-ce que cette situation implique pour l'investisseur? La banque Degroof en a fait le résumé suivant: "Le choc sur le prix de l'énergie sera un élément plus négatif pour la zone euro que pour l'économie américaine, qui est devenue indépendante sur le plan énergétique. De plus, la perte de pouvoir d'achat sera moindre pour les ménages américains, qui peuvent compter sur des augmentations salariales plus importantes que dans la zone euro. C'est pourquoi nous avons abaissé notre recommandation sur les actions européennes de surpondérer à neutre et que nous gardons un avis positif sur les actions américaines".En matière sectorielle, Saxo Bank souligne que "les valeurs énergétiques ont prouvé une bonne protection contre les risques géopolitiques et les pressions inflationnistes persistantes". Même si Total Energies est en fort repli... Pour le reste, au secteur des matières premières déjà présenté comme un favori pour 2022, l'institution ajoute à présent la cybersécurité et la défense. Rejoignant ainsi la plupart de ses confrères. Ce n'est pas pour rien que, dans ce dernier domaine, sur des marchés boursiers en déroute, on observe des hausses de cours de 13% pour l'américain General Dynamics et de 31% pour le français Thales! On s'en voudrait de ne pas rappeler que la flambée des prix énergétiques soutient les entreprises liées aux énergies renouvelables. Ou de souligner que ces perspectives économiques revues à la baisse devraient un peu ralentir les ardeurs de hausse des taux dans le chef des banques centrales, surtout la BCE. C'est en tout cas ce que pensent les investisseurs, comme en témoigne le graphique ci-contre. Et ceci, c'est un développement positif.