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La crise et les conflits ont catapulté le NHS au sommet de l'agenda socio-politique. Presque chaque jour, de nouvelles histoires d'horreur provenant de la ligne de front du NHS envahissent les médias britanniques. Et cela ne se limite pas aux histoires personnelles. Parmi les chiffres qui ont souvent fait la une de la presse, citons ceux relatifs aux longs temps d'attente aux urgences et aux longs temps pour arriver dans un hôpital. En décembre, 54.000 personnes en Angleterre ont dû attendre plus de 12 heures aux urgences. Selon les données du NHS England, en 2019 - avant la pandémie donc -, ce chiffre était de 2.360. Le temps d'attente moyen d'une ambulance pour une affection de catégorie 2, telle qu'un accident vasculaire cérébral ou une douleur thoracique, était supérieur à 90 minutes en décembre. La durée de trajet cible est de 18 minutes (depuis mai 2021, le temps de réponse moyen des ambulances pour des affections graves en Angleterre est d'ailleurs supérieur à 30 minutes). Au cours des dernières semaines, le personnel ambulancier et les infirmiers ont arrêté le travail à plusieurs reprises. Leurs revendications: des salaires plus élevés et de meilleures conditions de travail. D'autres grèves sont prévues dans les semaines à venir. Si l'appel à la grève lancé par la British Medical Association est bien suivi, les jeunes médecins seront en arrêt de travail pendant trois jours en mars - ils ont le temps pour émettre leur vote jusqu'au 20 février. De nombreux médecins et spécialistes de la santé britanniques expriment leurs inquiétudes et parlent de la plus grande crise sanitaire jamais connue. Au début de l'année, le Royal College of Emergency Medicine britannique faisait encore parler de lui en affirmant que les longues files d'attente entraînaient 300 à 500 décès par semaine. Le NHS a nié ces faits, mais ce qui est certain, c'est que cet hiver a créé une nouvelle réalité au Royaume-Uni: les gens ne peuvent plus avoir la certitude d'avoir un accès rapide aux soins en cas d'urgence. Comment le NHS, pour lequel les Britanniques applaudissaient encore pendant la pandémie, en est-il arrivé là? Ce n'est pas un seul facteur, mais un ensemble de circonstances qui en sont la cause. Le covid-19 en est une. Comme d'autres pays, le Royaume-Uni est toujours en train de se remettre des conséquences de la crise sanitaire. Selon les déclarations de la dirigeante du NHS England dans un récent discours, le NHS n'est qu'à mi-chemin de cette période de redressement. Il y a les soins reportés, à rattraper. Selon des données de novembre, il y a sept millions de personnes sur des listes d'attente en Angleterre. De plus, le covid-19 n'a pas disparu. Le NHS est confronté à une double épidémie: une vague d'infections hivernales et une nouvelle flambée de cas de covid. Les lits occupés par des patients covid ne peuvent pas être utilisés pour d'autres patients - et ces lits sont déjà rares (voir ci-dessous). De plus, les mesures covid - protocoles d'hygiène, séparation des patients covid des non-covid... - créent une charge de travail supplémentaire, avec toutes les conséquences qui s'en suivent pour la productivité générale. L'absentéisme parmi les soignants est plus élevé qu'avant la pandémie. Cependant, selon une analyse de l'Institute for Fiscal Studies (IFS) citée par CNN UK, le nombre de médecins et d'infirmiers actifs est plus élevé qu'en 2019, même après ajustement des absences pour maladie. "Il ne s'agit pas seulement de savoir combien de personnel et combien d'argent il y a, mais aussi comment ils sont affectés", déclare un économiste de cet institut. Si les Britanniques peuvent choisir entre les travaillistes et les conservateurs en tant que 'coordinateurs' du système de soins de santé, ils préfèrent les travaillistes, comme le montrent régulièrement les sondages. Peter Neville, consultant du NHS et gastro-entérologue au Pays de Galles, explique pourquoi à CNN UK : "Lorsque le gouvernement travailliste est arrivé au pouvoir en 1997, il a injecté beaucoup plus d'argent dans le NHS. Cela nous a permis d'engager suffisamment de personnel et d'éliminer nos listes d'attente."En réponse à la crise économique de 2007-2008, les conservateurs du gouvernement de coalition ont mis en oeuvre des mesures d'austérité quelques années plus tard. Entre 2010 et 2019, les dépenses de santé par personne étaient inférieures de 18% à la moyenne de l'UE14 (pays ayant rejoint l'UE avant 2004), a calculé l'organisation caritative britannique The Health Foundation. Selon le même rapport, les investissements en capital dans les soins de santé ont également été plus faibles au Royaume-Uni que dans les pays de l'UE14 (pour lesquels des données sont disponibles) au cours de la dernière décennie. Par exemple, si l'on considère les équipements médicaux tels que le nombre d'IRM et de scanners CT par million d'habitants, le Royaume-Uni se trouve quelque part en bas de la liste des pays de l'OCDE (chiffres de 2021). Même constat en termes de lits d'hôpitaux (par 1.000 habitants). Le groupe de réflexion anglais indépendant The King's Fund a calculé que le nombre de lits du NHS England a diminué de moitié, passant de 299.000 en 1987 à 141.000 en 2019. Pour les critiques, le coup de pouce financier annoncé pour les prochaines années n'est qu'un mouvement de rattrapage après une décennie de sous-financement. Dans son discours d'automne, le Chancelier Jeremy Hunt a annoncé que le gouvernement britannique allait augmenter le budget du NHS de 3,3 milliards de livres sterling chaque année les deux prochaines années. Selon le groupe de réflexion The King's Fund, l'effet net de cette mesure est somme toute limité car le budget du NHS pour les prochaines années a été précédemment revu à la baisse. En tout cas, il y a des ambitions d'améliorer l'accès aux urgences, aux ambulances et aux soins de première ligne, et d'évaluer les 'integrated care boards', qui sont des conseils responsables des soins sociaux. Il est impossible de remédier aux longs délais d'attente pour des ambulances et pour être traité aux urgences sans libérer des lits. Mais pour libérer des lits, il faut d'abord s'attaquer à une autre crise: celle des soins sociaux, notent plusieurs commentateurs. Lorsqu'ils sont prêts à sortir de l'hôpital, de nombreux patients n'ont nulle part où aller. Ils continuent donc à occuper des lits en attendant une prise en charge sociale. Au Royaume-Uni, le NHS est responsable des soins de santé, et les conseils locaux des soins sociaux. Des voix s'élèvent depuis longtemps pour demander l'intégration des deux systèmes, étant donné qu'une crise dans un système se répercute sur l'autre. Selon l'enquête démographique la plus récente, près de 20% de la population d'Angleterre et du Pays de Galles a plus de 65 ans, ce qui fait augmenter la demande de prises en charge sociales. Mais le secteur est confronté à un problème majeur de recrutement et de rétention. En octobre dernier, le National Care Forum (NCF), qui regroupe quelque 160 organisations de soins au Royaume-Uni, a appelé les autorités à augmenter les salaires dans le secteur après qu'un rapport ait révélé que le nombre de postes vacants avait augmenté de moitié en 2021-2022 et qu'un emploi sur dix dans le secteur était vacant. Le NHS voit également de nombreux postes vacants rester non pourvus. "Environ 30% des nouveaux emplois de consultants (spécialistes, NDLR) au Royaume-Uni ne peuvent être pourvus. Il n'y a tout simplement pas assez de personnes pour cela", écrit le consultant du NHS Peter Neville sur Twitter. Ce qui, selon les analystes, révèle une crise plus profonde: celle du moral. Incapables de fournir un niveau de soins acceptable, de nombreux prestataires de soins de santé sont démoralisés et jettent l'éponge. Une enquête récente menée auprès de 800 médecins par l'organisation d'aide juridique britannique Medical Defence Union (MDU) montre que quatre sur dix sont d'accord ou tout à fait d'accord d'arrêter d'ici à 2028 en raison de la charge de travail. Les infirmiers ont déjà tendance à travailler par l'intermédiaire d'agences d'intérim, où ils bénéficient d'un meilleur salaire et de meilleures conditions de travail que ceux qui ont un contrat fixe. Cette crise sans précédent des soins de santé pourrait avoir des conséquences électorales jamais vues, note Robert Ford, professeur britannique de sciences politiques à l'université de Manchester, dans un commentaire publié dans The Guardian.La première conséquence est déjà visible, écrit-il: les citoyens - et donc les électeurs - sont confrontés à la crise tous les jours, dans les médias ou en pratique. Dans les sondages, d'ailleurs, le soutien au personnel de santé en grève est élevé. Une vague de colère du public à l'égard des services de santé touche particulièrement les conservateurs. La crise actuelle confirme les soupçons de longue date selon lesquels les travaillistes sont meilleurs pour gérer le NHS, estime le Pr Ford (voir plus haut). Le gouvernement doit de toute urgence trouver une solution, mais il se heurte à des obstacles à chaque coin de rue, selon le professeur de sciences politiques. "Maintenir les salaires ou prendre des mesures contre la grève exacerbera la crise du recrutement dans le NHS. Mais accepter une augmentation de salaire plus importante augmentera les dépenses et les impôts, et fera bouillir les députés conservateurs."Lundi, le gouvernement a présenté un plan pour les soins urgents ; il veut davantage d'aide sur mesure pour les personnes à domicile afin de retirer une partie des soins des hôpitaux et de les maintenir au domicile. Selon des cadres du secteur de la santé cités par The Guardian, le plan arrive trop tard dans ce qui a généralement été une réponse 'lente' des ministres aux pressions exercées sur le NHS. "Vous ne pouvez pas inverser une décennie de sous-financement en personnel et en infrastructures en deux ans", conclut Robert Ford dans le même journal. Et certainement pas l'opinion publique. Car cette crise est vraisemblablement gravée dans la mémoire collective britannique.