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En janvier 2020, l'ULB a ouvert une chaire universitaire en psychiatrie de transition. La pandémie a donné à cette équipe l'occasion de se pencher sur l'impact du confinement et de l'isolement social sur la santé mentale des jeunes, et notamment sur le rôle de la résilience, la solitude et le contexte social et familial dans la gestion de la détresse émotionnelle engendrée par cette crise sanitaire. " Nous nous sommes questionnés sur l'impact de cet isolement pour ces jeunes qui ne pouvaient plus se côtoyer tous les jours, ni profiter de la dynamique de groupe qui, à cet âge, est vitale pour le bien-être psychique et social", précise Simone Marchini, pédopsychiatre en formation à Erasme, qui a participé à ce travail avec les Prs Marie Delhaye (Erasme) et Véronique Delvenne (Huderf) 1. Cette équipe a mené une enquête en ligne entre le 7 avril et le 4 mai 2020: 825 jeunes adultes (18-25 ans) y ont répondu en Belgique et en Italie. Les chercheurs ont utilisé l'échelle de résilience pour les adultes (RSA) et l'échelle de solitude UCLA, et ont recueilli les données relatives à la recherche d'une aide professionnelle, à la consommation de psychotropes et à l'admission dans un service psychiatrique, avant et pendant le confinement. " Pour avoir une photo du changement du contexte de vie, on a posé des questions sur les conditions de vie, le logement, les personnes avec qui ils passaient leur temps, les contacts sociaux (pairs et famille) en ligne et en personne..." 5% des jeunes évalués ont connu une augmentation de leurs besoins en santé mentale pendant la période de confinement. à savoir: la première consultation de sa vie chez un psychologue ou un psychiatre, une hospitalisation en psychiatrie ou l'initiation ou l'augmentation d'un traitement psychotrope (anxiolytique, hypnotique, antidépresseur...). " C'est interpellant parce qu'en comparant avec des études épidémiologiques antérieures, on constate une augmentation de l'incidence de la demande en santé mentale au printemps 2020. L'étude européenne d'épidémiologie en santé mentale (Alonso et al, 2004) montre que 6,4% de la population globale des plus de 18 ans, a fait appel à ce type de service au cours des 12 mois précédents. Ici, on constate qu'en un seul trimestre, pour une tranche d'âge spécifique (les 18-25 ans), l'émergence des besoins en santé mentale semble être élevée", constate-t-elle. " Dans ce groupe des 5% qui ont montré une augmentation de leurs besoins en santé mentale, on a trouvé des scores de résilience et une confiance dans leurs propres compétences pour faire face à l'adversité nettement moindres que chez les autres répondants. C'est très important parce que les questionnaires de résilience pourraient nous servir comme outil de détection et d'intervention ciblée en cas de nouveau confinement." Les chercheurs ont observé que les contacts sociaux offline, en personne avec leurs pairs (amis, camarades de cours...) étaient le plus importants: " Ceux qui n'ont pas eu de besoins supplémentaires en santé mentale se sont peut-être permis plus souvent de contourner certaines règles pour garder des contacts en face-à-face, parce qu'ils ont été capables de reconnaître leur besoin de soutien par les pairs et d'y pourvoir. Au contraire des autres qui se sont peut-être sentis trop angoissés par les mesures de confinement pour enfreindre les règles et le peu de contacts avec leurs amis a peut-être joué un rôle dans leur souffrance psychologique." " La dynamique de groupe et le sens d'appartenance sont un pilier important de la structuration identitaire et relationnelle des jeunes adultes. Il est donc très intéressant d'avoir identifié ces facteurs de protection", note le Dr Marchini qui insiste: " L'isolement social a un effet considérable sur la santé mentale des jeunes. Cela doit être pris en compte dans les décisions politiques. J'ai été positivement surpris par l'autorisation des deux personnes de contact pour les isolés. On a souvent pensé aux personnes âgées, et c'est très bien, mais cela donne aussi la possibilité aux étudiants qui habitent seuls de voir au moins deux personnes et donc d'implémenter ce facteur de protection des échanges en interpersonnels avec leurs pairs ou leurs parents." " Même si l'isolement social peut causer des troubles accrus en santé mentale, nous savons les détecter assez rapidement et nous pouvons intervenir, même à distance, via les questionnaires en ligne et les prises en charge en télépsychiatrie et télépsychologie. à l'Huderf et à Erasme, les services de pédopsychiatrie et psychiatrie adulte ont montré une grande souplesse dans les prises en charge où les consultations ont continué par vidéoconférence." Lors du second confinement assorti d'un couvre-feu, on a un peu plus parlé des jeunes que lors du premier épisode: " J'en suis ravi parce que je pense qu'il est essentiel de travailler sur la stigmatisation de la santé mentale, de la psychiatrie, des troubles psychologiques... Au plus on en parle, au plus les jeunes comprennent que la santé mentale fait partie de la vie et qu'elle est prise en compte dans les décisions politiques. En parler permet aux jeunes de se sentir légitimes, de se plaindre d'un mal-être psychologique, sans être stigmatisés comme fragiles, incapables de faire face aux difficultés... Il est tout fait légitime d'être en détresse et il y a des possibilités pour aller mieux même dans cette période très compliquée pour tout le monde", conclut Simone Marchini. Cet été, l'équipe de la chaire de psychiatrie de transition a mené une seconde enquête pour évaluer l'effet bénéfique du déconfinement sur l'état mental des jeunes.