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Le Journal du Médecin : Dans votre livre, vous évoquez différents types d'arnaques sur Internet en lien avec des mensonges organisés et criminels. Elles sont parfois colossales ?Pr Xavier Seron : Je cite notamment le cas de l'arnaque romantique. Une personne séduisante vous contacte pour nouer une relation amoureuse. Vous correspondez avec elle sur le Net, des liens se tissent, vous finissez par être ferré. C'est alors que, pour une raison X, cette personne vous dit avoir un urgent besoin d'argent et sollicite votre aide. Eh bien, selon des données récentes, entre 2008 et mi-2011 plus de 230.000 victimes seraient tombées dans le panneau rien qu'en Angleterre, qui plus est pour des sommes allant de 50.000 à 240.000 livres ! Une autre arnaque bien connue, baptisée arnaque scam 419 ou arnaque nigériane, consiste, pour une personne habitant dans un pays lointain, à vous contacter par mail pour que vous l'aidiez à rapatrier une importante somme d'argent en Europe, moyennant une commission alléchante. Il vous appartiendra néanmoins d'intervenir dans la préparation du transfert, soi-disant pour payer un notaire ou le voyage d'un accompagnateur, par exemple. Et bien sûr, vous ne verrez jamais la couleur de l'argent. Chacun d'entre nous a été confronté à des pièges que s'efforcent de déjouer les services de cybercriminalité de la police : vous voilà le gagnant du gros lot d'une tombola, la banque vous demande de lui transmettre les codes d'accès à votre compte bancaire pour pouvoir le débloquer, on attend de vous le versement d'une certaine somme sous peine d'introduire un virus dans votre ordinateur et d'en détruire le contenu... À cela s'ajoutent toutes les rumeurs infondées ? Sur le 11 septembre, par exemple. Ou sur le fait que l'Homme ne soit jamais allé sur la Lune, que les images diffusées à l'époque aient été fabriquées par les Studios Disney ou par Stanley Kubrick. Ces rumeurs, qui alimentent les théories du complot, me semblent toucher prioritairement des personnes qui sont habitées par une certaine anxiété. Je crois aussi que leur impact considérable n'est pas étranger à l'opinion dangereuse, mais partiellement correcte, que les individus qui ont du pouvoir disposent de la capacité de mentir. Opinion notamment entretenue par le fait que la presse, jugée complice, ne dénonce pas complètement les milieux politiques quand ils transmettent des messages mensongers. A force de côtoyer les élites politiques, artistiques et financières dans des cercles fermés, les journalistes sont aujourd'hui considérés par beaucoup comme inféodés au pouvoir et le statut de contre- pouvoir de la presse s'en trouve gravement menacé. Nombre d'hommes et de femmes travestissent leurs caractéristiques ou leur biographie sur les réseaux sociaux, les forums de discussions ou encore les sites de rencontres. Facile via une communication à distance ? En effet, l'éloignement physique facilite la possibilité de prendre des libertés avec la vérité. Selon une étude datant de 2006, il a été rapporté sur un forum de discussions que 45% des individus mentent à propos de leur âge et 27% à propos de leur genre sur les sites de rencontres. Par ailleurs, une enquête publiée en 2014 et portant sur 1.000 personnes fréquentant un tel site révèle que 16% d'entre elles ont été piégées par de fausses identités. Photos anciennes ou trafiquées, biographies truquées, notamment dans le cadre de la candidature à un emploi, sont aussi régulièrement à l'ordre du jour. La fréquence et l'ampleur des mensonges sur le Net dépendent de différents facteurs. L'un d'eux réside dans les motivations du sujet. Par exemple, sur un site de rencontres, on gardera une plus grande réserve si l'on recherche un ou une partenaire stable que de multiples partenaires successifs pour des aventures éphémères. Autres éléments : l'anonymat et l'absence de traces. Ainsi, des chercheurs ont montré en 2008 que plus il y a d'indices permettant d'identifier l'auteur de messages, moins les mensonges sont fréquents et importants. Outre ces éléments, de nombreuses autres variables sont à prendre en considération quant à leur influence sur la fréquence et le type de mensonges produits via les différents modes de communication accessibles sur la Toile. Par exemple, le caractère synchronique ou asynchronique de l'interaction, l'accès visuel entre les internautes, la crédibilité et la notoriété du site, etc. D'aucuns considèrent que s'inventer une vie sur Internet à travers des jeux en ligne pourrait parfois receler un effet thérapeutique ?Internet permet de s'inventer une autre identité afin d'expérimenter d'autres personnages que celui que l'on est - plus beau ou plus vaillant, par exemple - et de se construire une autre histoire. De la sorte s'ouvre un accès quasi illimité à l'imaginaire, en particulier à travers les jeux de réalité virtuelle. Quel est leur retentissement sur la personnalité originelle de celui qui est devenu un avatar sur Internet ? Des travaux ont été initiés pour le déterminer et mettre en lumière les mécanismes psychologiques impliqués. Selon certains chercheurs, revêtir d'autres identités par le biais de jeux virtuels peut avoir une valeur psychothérapeutique. Et certains psychologues utilisent déjà cette potentialité chez des patients présentant des problèmes d'affirmation de soi ou des phobies. Ainsi, dans la peau d'un autre, un introverti osera sans doute s'exprimer davantage avec, estiment les tenants de cette thérapie, des retombées positives sur sa propre personnalité. Toutefois, comme je l'écris dans mon livre, le Net ouvre aussi la voie à des dissociations plus importantes qui renvoient alors à un moi fragmenté. Quelle est votre vision de la problématique des fake news, c'est-à-dire, selon votre définition, de la délivrance d'informations mensongères dans le but de manipuler un nombre significatif d'internautes ciblés ?Tout d'abord, il existe des procédures de ciblage, les " bulles filtrantes ", qui tirent profit de la capacité des grands opérateurs du Net, comme Facebook et Google, à collecter des données multiples relatives aux internautes, souvent à leur insu, en se basant sur les traces laissées par leur activité sur le réseau. L'importance du phénomène est telle que les détails de notre vie privée (lectures, loisirs, déplacements, achats, goûts artistiques, orientation politique, pratiques alimentaires et sexuelles...) et de celle de milliards d'autres personnes s'inscrivent dans de gigantesques mémoires artificielles qui les analysent, les croisent, les recoupent au moyen d'algorithmes mathématiques extrêmement puissants. Ces données constituent le bras armé du ciblage, lequel trouve un allié de choix dans le " biais de confirmation ", bien connu en psychologie, qui, je l'écris, rend les individus particulièrement réceptifs aux informations qui répondent à leurs attentes et renforcent leurs opinions, avec pour conséquence l'enfermement progressif des internautes dans un entre-soi informationnel clos. La possibilité technique de diffuser les informations à grande échelle et le relais assuré autour d'eux par les internautes qui en sont les dépositaires contribuent à la diffusion massive des fake news vers les cibles choisies. Mais au-delà de ces considérations, l'élément essentiel me semble être le fait que, dans la communication actuelle, le statut de la vérité n'a plus d'importance. Déjà dans la publicité, on ne communique plus guère sur le produit mais sur une ambiance qui séduit. De la même manière, un Donald Trump se soucie comme d'une guigne de la vérité. Ce qui lui importe, c'est de délivrer le message qui est attendu par ses potentiels électeurs. La vérité n'est donc plus au coeur du processus décisionnel, ce qui représente une menace pour la démocratie. Quel antidote prôner si ce n'est revivifier l'esprit critique, largement écorné ? Oui, mais cela doit s'opérer en connexion avec une éducation sur les systèmes de communication d'aujourd'hui. Qui est l'émetteur des messages ? Comment remonter jusqu'à la source ? Quels sont les intérêts commerciaux ou politiques en jeu ? ... Il faut dispenser aux jeunes une éducation à l'image, à la maîtrise du langage, des cours sur la rumeur, sur la psychologie sociale, etc., le but étant de conscientiser les individus au fait qu'on ne doit pas se forger une opinion en se référant à une seule source. Ce travail ne pourra se limiter à un cours de quelques heures, il faudra repenser l'ensemble des programmes éducatifs afin de créer un individu capable d'identifier ces biais d'analyse et de recul critique. It's a long way ! Xavier Seron, Mensonges. Une approche psychologique et neuroscientifique, Odile Jacob, 2019.