...

En janvier dernier, l'ULB a inauguré sa Chaire francophone de psychiatrie de transition visant à proposer de nouveaux modèles d'intervention clinique pour favoriser un passage graduel vers la psychiatrie adulte pour les jeunes en souffrance psychique. Elle réunit l'Huderf (Pr Véronique Delvenne), l'hôpital Érasme (Pr Marie Delhaye), le CHU Brugmann (Pr Charles Kornreich) et le service de santé mentale de l'ULB (Pr Hélène Nicolis). Le rendez-vous avait alors été pris pour le 15 mai, jour du colloque " Quels soins psychiatriques pour la transition 16-23 ans ? ". Le coronavirus étant passé par là, il s'est finalement tenu le 4 septembre. Les Prs Diane Purper-Ouakil (CHRU Montpellier) et Bie Tremmery (KUL) y ont présenté les résultats du projet européen Milestone mené par des chercheurs issus de huit pays dont la Belgique et la France, qui ont recruté plus de 1.000 jeunes et 900 parents. " Longtemps, cette période de transition (16-23 ans) n'a pas suscité d'intérêt. C'est étrange mais pendant des décennies, on n'a pas réalisé que les pédopsychiatres étaient formés pour les enfants jusqu'à 15 ans et que les psychiatres l'étaient pour les adultes à partir de 21-24 ans. Il existe donc un fameux 'trou' entre 15 et 21 ans pour lequel on manque de connaissances et de pratiques ", rapporte la Pr Bie Tremmery (KUL). " A mesure que la psychiatrie pour enfant et ado se développait (depuis les années 80), on pouvait espérer que ce trou se structure sur le plan de la formation et des services mais il n'en est rien ". " Alors que les problématiques de santé mentale sont les plus prévalentes chez les 15-30 ans, le constat fait dans tous les pays européens avant le démarrage du projet Milestone est celui de la discontinuité des services pour ados et jeunes adultes ", précise la Pr Diane Purper-Ouakil. Les chercheurs ont observé une planification relativement faible de la transition, notamment une absence de période de soins coordonnés entre pédopsychiatrie et psychiatrie adulte, des incertitudes sur l'âge à partir duquel commencer à travailler la transition (quand les besoins en soins sont faibles ou au moment d'une crise aiguë ? ) et à partir de quand elle doit être effective, à quel service adulte adresser le jeune... Les plus à risque de tomber dans ce 'trou' de la transition sont ceux présentant des troubles du développement, des troubles émotionnels ou des troubles de la personnalité émergents. Une étude britannique (Track) a mis en avant le décalage entre la culture médicale des services de pédopsychiatrie et celle des services de psy adulte. L'une des principales recommandations est d'assurer la continuité de l'information : " Il paraît évident d'avoir des dossiers partagés entre les services ou au moins des courriers pour transmettre les infos et éviter au patient de devoir se raconter à chaque fois. Ou encore de planifier la transition (rencontre entre les services, personne référente, concertation avec le jeune et la famille), d'avoir une période de soins conjointe entre les équipes et une fois le transfert réel dans le service adulte, d'avoir une continuité sur le long terme ou un arrêt planifié des soins, avec possibilité de revenir vers la pédopsychiatrie s'il y a des moments de fragilité. " Pour Diane Purper-Ouakil, il est essentiel de travailler sur l'autonomie en mettant le jeune au coeur du processus : " Prendre en compte ses besoins et désirs, en les intégrant dans le projet de transition... Aller vers l'autonomie mais en le soutenant pour qu'il puisse faire confiance à la nouvelle équipe, ce qui suppose aussi de travailler sur l'image de la psychiatrie adulte qui n'est pas toujours positive. " L'inclusion de jeunes patients a été une grande source d'information pour l'étude Milestone. " Ils nous ont rappelé que certains sujets discutés ne leur étaient d'aucune aide. Nous nous sommes alors concentrés sur ce qui était important pour eux comme la difficulté à trouver l'info sur les services qui accueillent les jeunes, l'effet de la maladie sur le développement normal, quand et comment entamer une conversation sur la transition, comment la planifier et discuter avec les parties prenantes, comment soutenir la famille... " La formation des psychiatres est l'un des problèmes relevés par l'étude. En Belgique par exemple, il faut choisir dès le début entre pédopsychiatrie et psychiatrie, alors que dans d'autres pays, la formation est commune. " Ces différences sont un obstacle parce qu'il faut se connaître pour offrir une transition de qualité. La transition n'est abordée pendant les études que dans deux pays (GB, Irlande). Or, on s'est rendu compte qu'en psychiatrie, il fallait deux décennies pour que de nouveaux résultats soient implémentés en pratique quotidienne, il faut donc du temps pour que la nouvelle génération de pédopsychiatres soit informée ", fait observer Bie Tremmery. " Nous avons fait une étude EFPT (Executive Function Performance Test) qui a montré un manque de connaissances de base sur la psychiatrie/psychopathologie adolescente. Or, 63% des psychiatres en formation traitent des jeunes (16-26 ans) : ils le font donc sans être bien formés aux pathologies de cette population. Ce résultat nous a étonnés ! " Une étude de cohorte prospective a été réalisée dans le cadre du projet Milestone : 763 sujets ont été suivis pendant 24 mois (60% femmes, âge moyen 17,5 ans, 26% souffraient de dépression, 22,5% d'anxiété, 20% de TDAH). " En Belgique, au moins un jeune sur cinq est toujours dans un service de pédopsychiatrie après l'âge de 18 ans et la situation perdure tant qu'il reste dans la même école. Notre pays a ceci de particulier qu'un pédopsychiatre peut traiter un jeune de plus de 18 ans, ce qui n'est pas possible dans ailleurs ", apprend la Pr Tremmery. 70% des jeunes nécessitent une continuation des soins, dont 40% dans un service adulte. " Plus les symptômes sont sévères, plus il y a continuation des soins, en pédopsychiatrie ou psychiatrie adulte. " Un élément très important a été la mise en évidence d'un effet protecteur des parents : " Plus ils sont impliqués dans la trajectoire de soins de leur enfant, plus ils sont convaincus que la continuité des soins est nécessaire, plus ils soutiennent leur enfant pour poursuivre le traitement. C'est important parce que nos collègues en psychiatrie adulte ne sont pas conscients de cet effet protecteur et refusent souvent qu'ils assistent aux consultations ", souligne Bie Tremmery. Qui est encore en traitement après neuf mois ? Ceux qui sont le plus sévèrement malades sur base de l'opinion du clinicien et ceux qui sont d'accord pour continuer les soins. Cependant, seuls 55% des jeunes qui nécessitent cette continuation selon le clinicien sont toujours traités après neuf mois (26% en service adulte). Enfin, un essai clinique randomisé a comparé des services qui ont mis en place la transition versus des services de soins usuels (8 pays, 793 jeunes). Le modèle de la transition managée selon Milestone comprend une évaluation à l'entrée (avec cliniciens et référents quotidiens, famille), avec l'outil TRAM (Transition Readiness and Appropriateness Measure), une discussion sur le processus de transition avec la famille, le jeune et le clinicien dans l'idée d'avoir une action sur le score NOSCA (Nurse's Observation Scale for Cognitive Abilities), la principale variable d'efficacité. Résultat : " Les deux groupes montrent une amélioration après 15 mois, mais elle est meilleure et plus rapide chez ceux en transition managée qui, de plus, est peu coûteuse. Le retour des cliniciens est aussi positif, ils estiment la méthode facilement généralisable ", indique la Pr Purper-Ouakil.