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On estime qu'environ un quart de toutes les personnes atteintes de diabète dans le monde développeront au cours de leur vie un ulcère du pied, principale cause d'amputation des membres inférieurs dans les pays occidentaux. Raison pour laquelle, dans notre pays, en 2005, un programme national d'amélioration de qualité de soins du pied diabétique (IPQED-Pied) a été mis en place par l'Inami. Il a permis la mise en oeuvre de 34 cliniques multidisciplinaires du pied diabétique reconnues par le ministère belge de la Santé. L'objectif est une prise en charge plus précoce et plus spécialisée en fonction du type de plaies. Depuis lors, une nette baisse du taux d'amputation des membres inférieurs a été notée en Belgique. " Si un ulcère du pied diabétique commence à se former, les gens doivent être vus rapidement, ce qui donne aux cliniques du pied diabétique les meilleures chances de traiter la plaie avec succès", explique le Dr An-Sofie Vanherwegen, qui travaille depuis 2019 chez Sciensano comme investigateur principale pour le projet IPQED-Pied. C'est logique et il en est ainsi en temps normal. Mais quid lors de la pandémie de Covid-19? Des inquiétudes ont vu le jour et ce d'autant plus que la Belgique a été confinée du 14 mars au 3 mai 2020 et que seuls les soins urgents ont été prodigués dans les hôpitaux. Fort heureusement, les associations professionnelles ont conseillé aux cliniques concernées de considérer tous les problèmes actifs du pied diabétique comme urgents et de les traiter comme habituellement. Afin de mieux cerner l'impact de la pandémie sur le taux de présentation et la gravité des ulcères du pied diabétique en Belgique, An-Sofie Vanherwegen a entamé, en collaboration avec les Prs Eveline Dirinck et Frank Nobels, et le Dr Patrick Lauwers une recherche dont les premiers résultats ont été présentés à la réunion annuelle de l'European Association for the Study of Diabetes (EASD) qui s'est tenue en ligne cette année, du 27 septembre au 1er octobre. Cette présentation a fait forte impression car elle révèle l'importance des efforts réalisés par notre pays pour maintenir un programme de soins du pied diabétique pendant la pandémie de Covid-19 et elle apporte un précieux retour d'expérience au reste du monde. " Un sondage a été distribué aux cliniques du pied diabétique pour leur demander quelles mesures elles avaient prises pendant et après le confinement pour maintenir leurs activités", poursuit le Dr. Vanherwegen. " Au total, 24 cliniques ont participé à l'enquête. Parmi elles, une seule a fermé tandis que les 23 autres sont restées ouvertes pour des soins d'urgence, tout en appliquant les mesures Covid-19." " On retiendra de cette enquête que les cliniques ont fourni un gros effort pour demeurer disponibles pour les patients malgré le fait que les effectifs ont été réduits, une partie du personnel étant assignée à un autre service Covid ou aux urgences, même si les podologues et autres soignants externes n'étaient pas autorisés à entrer dans la clinique et même si les possibilités d'hospitalisation et de chirurgie étaient diminuées. Dans le détail, 71% des cliniques ont sélectionné des patients en fonction de l'urgence et du risque élevé d'ulcération ; 79% ont eu recours aux consultations à distance ; et 54% ont réduit la fréquence des consultations physiques mais ont compensé par des téléconsultations. Après le confinement, presque toutes les cliniques ont retrouvé un rythme de consultation normal." Outre leur participation à l'enquête sur une base volontaire, 22 cliniques ont également communiqué les données concernant les caractéristiques des patients et des ulcères qu'elles avaient enregistrées entre le 1er janvier et le 30 septembre 2020. " Au total, l'échantillon comprend 887 patients présentant de nouveaux ulcères du pied diabétiques modérés à sévères, ce qui est suffisant pour être représentatif de l'ensemble de la Belgique", précise le Dr Vanherwegen. "Ils ont été répartis en trois groupes en fonction de la date du premier contact avec la clinique du pied diabétique, avant, pendant et après le confinement, soit respectivement 322, 93 et 472 patients." "Nous avons comparé leurs données à celles de l'audit IQED-Pied de 2018. L'étude a révélé que le taux de présentation hebdomadaire moyen des patients pendant le confinement était considérablement réduit d'environ 60%, passant de 1,4 patient par semaine en 2018 à 0,6 patient pendant le confinement. Cependant, il n'y a eu aucun changement dans le délai moyen de présentation signalé par les patients, bien que les patients pendant et après le confinement aient eu tendance à présenter un ulcère légèrement élargi. Aucune différence significative de profondeur, d'infection ou de perte de sensation protectrice n'a été détectée entre les trois groupes. Donc, l'impact du confinement sur la sévérité des plaies est resté limité." L'étude de Sciensano, qui devrait faire l'objet d'une publication internationale quand son auteure disposera des résultats d'un suivi supplémentaire de six mois, confirme que la mise en oeuvre de services de soins dédiés, la formation d'équipes spécialisées mais aussi le recours à la téléconsultation et à la télémédecine ont permis de suivre et de traiter les patients diabétiques porteurs de plaie avec la même efficience. " Grâce à l'effort des cliniques, la disponibilité continue des services d'ulcère du pied diabétique pendant le confinement a été vraiment utile", conclut An-Sofie Vanherwegen. " Cela explique pourquoi les patients ont continué d'être vus rapidement, et pourquoi l'impact sur la gravité des ulcères s'est limité à des plaies légèrement plus grandes. Par ailleurs, la relation entre les équipes des cliniques du pied diabétique et les médecins et la première ligne a conservé toute sa robustesse."