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"U n modèle prédictif peut être un outil très utile, en particulier dans un contexte où les hôpitaux sont confrontés à une déferlante de patients ", commente la statisticienne Laure Wynants (KU Leuven et université de Maastricht). " Des travaux antérieurs ont confirmé que, soigneusement conçus, des modèles de ce type améliorent l'efficience des soins et l'issue pour le patient. " " Si un modèle prédictif diagnostique établit qu'un patient donné présente un risque soit très élevé, soit très faible d'être contaminé par le SARS-CoV-2, on peut immédiatement passer à un diagnostic ciblé, ce qui permet des économies de temps et de moyens ", illustre la spécialiste. " Les recommandations belges stipulent que, lorsqu'ils sont sur-sollicités, les services des soins intensifs doivent effectuer un tri des patients en fonction du pronostic... mais sans préciser comment procéder dans la pratique. Comment comparer un patient relativement jeune mais porteur de comorbidités à une personne d'un certain âge en bonne santé générale, par exemple ? Dans ce cas de figure, un modèle prédictif peut s'avérer très utile, car il permet d'exprimer le pronostic en un seul chiffre sur la base d'une série de variables propres à chaque patient. " Le degré de sophistication des modèles de prédiction diagnostiques et pronostiques peut être très variable. Tout le monde connaît évidemment le tableau " Score " utilisé pour l'évaluation du risque cardiovasculaire... mais à l'autre bout du spectre, on trouve par exemple des systèmes extrêmement avancés basés sur l'intelligence artificielle qui sont capables d'attribuer automatiquement un score aux clichés d'imagerie CT afin de déterminer s'ils sont compatibles avec un diagnostic de Covid-19. D'après les médias et la littérature scientifique, certains modèles prédictifs seraient déjà utilisés dans les hôpitaux, notamment aux Pays-Bas, en Italie, aux États-Unis, en Chine et même dans notre pays. Ils sont donc clairement les bienvenus. Reste toutefois qu'il faudrait aussi qu'ils aient démontré leur efficacité, et c'est là que le bât blesse. L'équipe d'experts en modélisation prédictive 1 a dressé un aperçu de tous les articles scientifiques présentant un modèle prédictif touchant au Covid-19, qu'il s'agisse de publications ou de prépublications. Les articles ont tous été parcourus par deux réviseurs indépendants et soumis à une évaluation standardisée du risque de biais - en clair, du risque que l'évaluation du modèle prédictif dans une étude ait débouché sur une déformation des résultats en raison de failles méthodologiques. Il existe pour déterminer ce risque de biais des instruments recommandés par Cochrane. Entre-temps, les investigateurs ont examiné quelque 51 études qui présentaient toutes une caractéristique commune : leurs auteurs concluaient systématiquement que les prestations du modèle qu'ils avaient investigué étaient bonnes voire excellentes s'agissant de poser le diagnostic du Covid-19 ou de prédire le risque de décès. Aucune de ces publications n'a toutefois été jugée fiable par les auteurs de la revue. Dans le pire des cas, l'étude présentait un risque de biais élevé ; dans le meilleur, l'article ne précisait pas clairement comment le modèle prédictif avait été élaboré/testé ou quelle était la population ciblée, de telle sorte qu'il n'était pas possible d'en tirer des conclusions concrètes. " Une erreur fréquente avec les modèles visant à prédire quels patients sont susceptibles de décéder ou de survivre est que, à la fin de l'étude, les patients qui ne sont ni morts ni guéris ne sont pas repris dans l'analyse. Il ne faut tout de même pas être un expert en la matière pour comprendre que cette approche déforme les résultats ! ", commente le Pr Wynants. " Autre exemple : certains modèles diagnostiques comparent les CT-scans de patients Covid à des examens réalisés chez des sujets en bonne santé avant la crise du coronavirus ou dans un autre pays. Or une telle comparaison n'est évidemment pas représentative de la population qui afflue actuellement aux urgences. " Les chercheurs viennent de publier leurs résultats dans le British Medical Journal. Dans la mesure où de nouvelles études sur des modèles prédictifs continuent à être publiées en permanence, le BMJ et Cochrane se sont toutefois mis d'accord avec les auteurs sur des mises à jour toutes les deux à trois semaines. " Certaines prépublications pourraient également être affinées par le peer review, ce qui justifierait une réévaluation au moment de la publication proprement dite ", précise le Pr Wynants. Reste qu'il est assez regrettable que les médecins hospitaliers se fient à des modèles prédictifs dont la qualité n'est pas démontrée. Ne faudrait-il pas créer une structure pour les homologuer ? " Dans notre publication, nous recommandons la création d'un registre des modèles qui semblent présenter un certain potentiel ", explique la chercheuse . " Ils pourraient être validés en Europe et affinés dans les hôpitaux belges, ce qui permettrait d'en faire malgré tout des instruments fiables. " Dr Michèle Langendries BMJ 2020 - doi : https://doi.org/10.1136/bmj.m1328.1. Ces experts sont rattachés notamment à la KU Leuven, à l'université de Maastricht, au centre médical universitaire d'Utrecht, au centre médical universitaire de Leyde, à l'université d'Oxford, à la faculté de médecine de Vienne et à l'université de Keele.