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Si les lunettes permettent généralement de récupérer une vision normale, la prothèse auditive, externe ou interne, n'est que la " béquille du malentendant ". Nombre de personnes la range d'ailleurs dans un tiroir, jugeant qu'elle ne leur donne guère accès qu'à du " brouhaha ". " Pour s'avérer efficace, la prothèse doit être sélectionnée et réglée en fonction de chaque cas particulier ", insiste le Pr Philippe Lefebvre, responsable du service d'oto-rhino-la-ryngologie du CHU de Liège. " En outre, le succès d'un appareillage auditif dépend largement de la manière dont le patient est pris en charge dans sa globalité. Point essentiel : il faut lui expliquer objectivement l'apport et les limites d'un tel équipement. "Contrairement aux prothèses qui se posent derrière l'oreille et tendent au fil des ans vers une miniaturisation de plus en plus affirmée, les " petits intras ", comme les nomment les ORL, sont placés dans le conduit auditif. Bien que d'une discrétion absolue, ils ont été pratiquement abandonnés car leurs performances sont peu satisfaisantes. De fait, la grande proximité du micro et du haut-parleur engendre fréquemment un désagréable effet Larsen.Il existe également des prothèses implantables dont les performances sont similaires aux prothèses externes, si ce n'est qu'elles sont un peu moins puissantes et, partant, conviennent moins aux très fortes surdités. En l'occurrence, le vibrateur est accroché à la chaîne ossiculaire, tandis que le micro, la batterie et le processeur sont installés sous la peau, derrière l'oreille. Une télécommande permet d'activer ou de désactiver le système et la batterie se recharge en transcutané. Inconvénient principal : le coût, environ dix fois supérieur à celui des prothèses classiques.L'implant cochléaire, lui, ne repose pas sur une stimulation acoustique, mais sur une stimulation électrique des neurones de l'oreille interne. Ce qui impose une indispensable rééducation au patient - typiquement l'enfant sourd sévère à profond ou l'adulte ne pouvant tirer profit d'une prothèse auditive. " C'est presque apprendre une langue étrangère ", explique le Pr Lefèbvre. " Il faut parvenir à décoder un nouveau langage, comme quand on essaie de percevoir les conversations sur une chaîne de télévision cryptée alors qu'on ne dispose pas d'un décodeur. À terme, le système se révèle néanmoins souvent très efficace. "Classiquement, la rééducation s'étendait sur deux ans, mais sa durée est plus courte aujourd'hui. Certains patients récupèrent même de l'audition après trois mois. " L'acclimatation est devenue beaucoup plus rapide pour plusieurs raisons ", indique le responsable du service ORL du CHU de Liège. " D'abord, la technologie s'est nettement améliorée et permet ainsi un codage de l'information beaucoup plus fin qu'auparavant. Ensuite, les indications de la technique se sont élargies et, de ce fait, on réalise désormais des implants sur des oreilles moins atteintes que précédemment. Enfin, dans le même ordre d'idées, des implants sont placés maintenant chez des patients dont la surdité est unilatérale, et ce avec d'excellents résultats. "En fait, l'implant cochléaire est devenu une technologie très courante qui concerne toute personne en échec avec un appareillage auditif conventionnel. Contrairement à une idée répandue dans le public, elle est destinée aussi bien à l'adulte qu'à l'enfant. Dans les années 1980, ce sont d'ailleurs des adultes qui en ont bénéficié en premier.En 1994, le Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE - France) remettait un avis dans lequel il recommandait l'enseignement du langage des signes aux enfants sourds parallèlement à la pose éventuelle d'un implant cochléaire. Le Pr Lefebvre combat cette idée. L'apprentissage du langage oral passe par les aires auditives primaires. Dans le cas de l'apprentissage de la langue des signes, ce sont les aires visuelles primaires qui sont stimulées. Elles établissent des connexions au détriment de la voie auditive. En effet, si la plasticité neuronale et synaptique au niveau du cortex subsiste tout au long de la vie, à des degrés divers, il n'en est pas de même à l'échelon des aires primaires. " Si l'on rééduque de façon visuelle un enfant totalement sourd, jamais il ne pourra bénéficier d'un implant cochléaire ", insiste l'oto-rhino-laryngologiste liégeois. Et d'ajouter : " En outre, chez l'enfant né sourd, le sourd prélingual, un tel implant doit être posé avant l'âge de cinq ans, sinon il n'aura aucune efficacité. "S'il y a eu acquisition du langage, la donne est différente. Raison pour laquelle l'implant cochléaire s'adresse également aux adultes, avec des indications qui s'élargissent.Cette technologie a ses irréductibles détracteurs. Le principal argument qu'ils avancent est que si des greffes permettent un jour de résoudre des problèmes de surdité, elles ne seront plus accessibles à ceux qui ont été implantés. Néanmoins, selon le Pr Lefèbvre, le vrai motif de la guerre menée par les opposants aux implants cochléaires se situe ailleurs. " La langue des signes est une langue et qui dit langue dit culture ", fait-il remarquer. " Certains craignent que cette culture disparaisse de la même manière que la culture wallonne se meurt parce que le wallon tombe en désuétude. La question ne se poserait pas de la même manière si la langue des signes avait été du français signé. "Et de rappeler que la langue des signes a été inventée vers 1760 par l'abbé français Charles-Michel de l'Épée. À l'époque, les enfants sourds étaient bannis de la communauté car leur surdité était perçue comme une malédiction de Dieu. Ils ne recevaient aucune éducation et, comme ils n'entendaient pas, ils poussaient des cris qui faisaient dire qu'ils étaient habités par le diable. Toutefois, l'abbé de l'Épée se rendit compte que nombre d'entre eux étaient intelligents. D'où son initiative de concevoir une langue pour eux. S'il avait opté pour du français signé, ces enfants auraient rejoint la culture française et auraient pu s'insérer socialement.Précisément, on sait aujourd'hui que le fait de placer un implant cochléaire à un enfant facilitera son insertion sociale, lui autorisera une scolarité normale tant à l'école primaire que dans le secondaire et lui ouvrira la possibilité de réussir des études universitaires. " S'il reste dans la langue des signes, il devra suivre l'enseignement dans une institution spécialisée ou avec l'aide d'un interprète dans une classe normale. Bref, il demeurera marginal. Ses résultats scolaires seront généralement peu brillants et l'université ne sera pas à sa portée ", souligne Philippe Lefèbvre en guise de conclusion.