...

La porte d'accès qui permet au Sras-CoV-2 de pénétrer dans la cellule est ACE2, aussi appelé récepteur ACE2. Ce terme peut être mal interprété. Il ne s'agit pas du récepteur d'ACE2, mais bien du récepteur appelé ACE2. En d'autres mots, ACE2 et récepteur ACE2 sont des synonymes. ACE2 est complexe à bien des égards. La molécule est structurellement apparentée à la bien connue ECA, l'enzyme de conversion de l'angiotensine. Celle-ci peut être inhibée par la prise de médicaments dans le traitement de l'hypertension et de l'insuffisance cardiaque. Nous l'appellerons désormais, par souci de clarté et à cause du coronavirus, ACE1. Attention, ACE2 ne constitue pas une copie d'ACE1. Elle relève entièrement du système rénine-angiotensine-aldostérone (SRAA), même si son fonctionnement au sein de celui-ci est l'opposé de celui d'ACE1. En effet, ACE2 dégrade l'angiotensine II, plutôt que d'en stimuler la production. ACE2 transforme l'angiotensine II en angiotensine 1-7, une molécule aux propriétés vasodilatatrices, anti-inflammatoires et antiprolifératives. Les chercheurs ont donc vite considéré ACE2 comme le " laissez-passer " du Sras-CoV-2, puisque c'est le rôle que cette enzyme avait joué vis-à-vis du Sras-CoV-1. En outre, ces dernières années, ACE2 a fait l'objet de recherches poussées, du fait de son rôle potentiel dans le traitement de l'hypertension, l'insuffisance cardiaque, les maladies pulmonaires inflammatoires et le cancer. Il s'agit d'une protéine de surface qui s'exprime principalement dans les poumons, l'intestin, les vaisseaux sanguins, le coeur et les reins. Le système tout entier est impressionnant. On le sait clairement aujourd'hui : les patients atteints de Covid-19 ont davantage de risques de voir évoluer leur état vers une forme grave ou même de mourir s'ils cumulent la maladie avec des comorbidités. La plus grande étude chinoise à ce jour fait état, chez les personnes traitées, d'une mortalité globale de 2,3%, mais ce pourcentage s'avère bien supérieur chez les patients atteints d'hypertension (6%), de diabète (7%) et de maladies cardiaques (10%). Dans le British Medical Journal, Sommerstein et son équipe tentent d'expliquer ce phénomène, l'attribuant à l'utilisation d'inhibiteurs de l'ECA ou sartans 1. Ils s'appuient ici sur une étude sur des animaux en laboratoire, qui montre que le blocage de la production d'angiotensine II dans le coeur augmente l'expression et/ou l'activité d'ACE2. D'où la potentielle multiplication de portes d'entrée pour le Sras-CoV-2. Le Pr Kuster et ses chercheurs mettent non seulement cette hypothèse en doute dans le European Heart Journal, mais ils affirment même son contraire. S'appuyant également sur la littérature scientifique, ils rappellent que les sartans chez les souris contaminées par le Sras-CoV-2 pouvaient justement limiter les atteintes pulmonaires. De surcroît, aucun lien n'a, à ce jour, pu être établi entre l'expression d'ACE2 et le degré d'infection ou la mortalité liée au Covid-19. Que du contraire, clament-ils, puisque des recherches in vitro ont montré que les cellules pouvaient également être infectées sans ACE2, tout comme elles pouvaient être épargnées par l'infection, même avec ACE2. L'article paru dans le European Heart Journal suggère que le lien entre inhibiteurs du SRAA et mortalité est peut-être établi à tort, à cause de l'âge des victimes : les personnes âges prennent davantage de médications tels que les inhibiteurs d'ECA et les sartans. Ils sont aussi plus sensibles au virus, même en l'absence des médicaments susmentionnés. Ajoutons que jusqu'à présent, aucune étude n'a analysé l'utilisation de la médication inhibitrice du SRAA chez les patients hospitalisés atteintes du Covid-19. Dans une publication passée plus inaperçue que celle de Sommerstein et Co, l'interniste David Michely met en avant, au niveau moléculaire, le rôle protecteur des sartans chez les souris 2. Dès que le Sras-CoV-2 s'est fixé sur ACE2, il s'engouffre dans la cellule, mais internalise aussi ACE2. En conséquence, l'angiotensine II est moins vite transformée en l'angiotensine 1-7. Et l'angiotensine II, contrairement à l'angiotensine 1-7, accentue les processus inflammatoires et prolifératifs. C'est pourquoi les sartans, par le blocage des récepteurs de l'angiotensine II, inhiberaient l'inflammation et limiteraient donc les dégâts pulmonaires. Le mécanisme décrit par Michely implique qu'une expression importante d'ACE2 aurait un effet protecteur lors de l'attaque du Sras-CoV-2. De quoi expliquer certains paradoxes. Des études chez les animaux montrent ainsi que l'expression d'ACE2 baisse drastiquement avec l'âge, alors que la mortalité liée au Covid-19 est importante chez les personnes âgées. Plus il y a de récepteurs, moins le corps est sensible au virus ? Voilà une donnée difficile à digérer, mais c'est peut-être la vérité.