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Laquais en livrée et livré au bon vouloir de son maître Don Salluste, Grand d'Espagne déchu par la reine allemande de Charles II, Ruy Blas, autant épris de justice que de la souveraine devenue celle de son coeur en un regard, se voit manipulé par son méchant maître, lequel se sert de lui comme appât pour tendre un piège à l'épouse du roi falot et ourdir ainsi sa vengeance.Devenu César, Comte de Garofa, à la place du vrai César, cousin de Don Salluste, Blas s'approche ainsi de l'objet de son désir, du pouvoir qu'il voudrait loyal vis-à-vis du peuple comme il l'est vis-à-vis de la reine et de ses transports : il se libère de sa condition et s'enchaîne à un amour condamné, une fois levée l'imposture. Une union, une communion que le traquenard de Salluste, l'opposition de classes, et les circonstances vont rendre impossible...Vibrante adaptation réalisée par Marion Bernède, épouse de notre compatriote Yves Beaunesne (qui emmène deux comédiens belges dans l'aventure), ce Ruy Blas en souligne l'actualité et l'acuité, dans l'opposition des nantis et du peuple, de la sincérité et du cynisme, au coeur d'une époque de déliquescence qui n'est pas sans rappeler le coup d'État populiste de napoléon III qui vit Hugo, comme le vrai Don César de la pièce, prendre le chemin de l'exil.Cette tragédie est renforcée par des moments de drôleries comiques en écho à La folie des grandeurs (lâchement inspirée de la pièce d'Hugo), notamment dans le chef de la première dame d'honneur, la duchesse d'Albuquerque, interprétée par Fabienne Lucchetti, aux allures sapritchiennes. Accompagnée d'une musique interprétée en direct et composée par Camille Rocailleux qui mixe élégamment airs renaissants et accents contemporains, de chants, voire de danses sévillanes, de flamencos ou de passes de toreros, la mise en scène de Beaunesne prend les allures d'un spectacle total, même si sa forme est des plus dépouillées : le décor nu met d'autant en exergue les costumes chamarrés, dignes de Velázquez lors de l'entrée de la Reine qui évoque les Menines, d'humains à têtes d'animaux qui rappellent les peintures noires de Goya.Ce spectacle magnifique est porté par une distribution remarquable (François Deblock qui joue le valet valeureux a des airs de Don Quichotte et la stature effilochée, émaciée et efflanquée d'un personnage du Gréco cette fois) de musiciens comédiens, tous au diapason de cette mise en scène rythmée, resserrée qui a su garder la fougue hugolienne tout en supprimant le côté grandiloquent et parfois pesant.Le texte en alexandrin n'en devient que plus percutant et transforme cette nuit de César (qui mériterait des Molières), non pas en folie des grandeurs, mais en amour de folie et de grandeur. Certes, s'il n'est pas grand d'Espagne, l'homme d'en bas qu'est Ruy Blas prend de la hauteur, et dans la mort se l' " Ibère "....