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Le journal du Médecin: La pauvreté dans les soins est-elle un sujet qui vous interpelle? Juliette Lagreula: Oui, cela m'intéresse vraiment beaucoup, particulièrement parce qu'en santé mentale, on a beaucoup de patients qui sont assez précaires. Existe-t-il un lien entre le fait d'être pauvre et le niveau de littératie en santé? Il y a peut-être un lien. Je pense qu'ils ont la capacité de comprendre mais qu'ils ont peut-être juste moins accès à l'information de santé et de prévention en santé. Dans notre pays, les personnes en situation de pauvreté ont-elles suffisamment accès aux soins dont elles ont besoin, que ce soit aux médecins ou aux médicaments? Je n'ai pas l'impression qu'elles ont moins accès aux soins, après je ne sais pas si elles sont moins bien traitées. En tous cas, en termes d'accessibilité, elles ont accès aux soins, et en termes de médications, pour les pathologies les plus sévères, elles ont un accès identique parce que les médicaments sont remboursés à 100% (ex: anticancéreux). Néanmoins, pour certains médicaments non ou peu remboursés, cela peut être un frein. Même si ce ne sont pas forcément des médicaments qui soignent des maladies sévères, il peut s'agir de médicaments dits 'de confort' mais qui en fait ne le sont pas tellement: je pense typiquement aux laxatifs qui ne sont pas remboursés, or, pour moi, il ne s'agit pas vraiment de médicaments 'de confort'. Ce sont des choses qui peuvent entraîner une mauvaise accessibilité à certains types de médicaments. Ces patients sont-ils amenés à faire des économies touchant les soins santé, en particulier en ce moment? Oui, clairement, le simple fait de devoir avancer le prix d'une consultation peut être un obstacle, même s'il y a un remboursement derrière. Cela peut freiner l'accès aux soins, non pas parce qu'on ne va pas les accepter mais parce qu'eux mêmes vont moins consulter ou venir au dernier moment s'ils doivent avancer les frais. Cela peut donc influencer la temporalité des soins. Dans votre domaine, les médicaments posent-ils un problème de prix pour les patients? Non, pas tellement pour les psychotropes parce que les antipsychotiques et les antidépresseurs sont remboursés, et malgré le ticket modérateur je n'ai pas l'impression que ce soit un facteur limitant. Par contre, pour les benzodiazépines par exemple, qui ne sont pas remboursées, cela peut être un frein, mais les patients dépendants à ces médicaments ne seront pas freinés par le prix. La pauvreté est-elle un thème qu'on a abordé lors de votre formation de base et complémentaire? Non, pas du tout. Ni dans ma formation de base, ni dans ma spécialisation. Aujourd'hui, dans le cadre de mon travail de doctorat, je vais dans les hôpitaux psychiatriques et les services de psychiatrie des hôpitaux généraux, et j'en entends un peu plus parler. Il faut dire qu'il y a une corrélation entre pauvreté et maladies mentales. Vous êtes donc d'accord avec le nom du groupe de travail qui mène cette enquête, "La maladie rend pauvre et la pauvreté rend malade"? C'est tout à fait vrai et particulièrement dans les maladies psychiatriques: la précarité est un facteur de risque de maladie psychiatrique et les maladies psychiatriques sont un facteur de risque de précarité. Seriez-vous intéressée de participer à des journées d'étude ou des formations continues sur la pauvreté? Oui, je crois qu'il est important que ce sujet soit inclus un minimum dans la formation, cela permettrait d'éviter les préjugés vis-à-vis de ces personnes. Trouvez-vous qu'il est plus difficile de travailler avec ce type de patients? Non, j'ai même l'impression qu'ils sont moins exigeants que les autres patients qui ne sont pas en situation de pauvreté. Dans tous les cas, je ne les aborde pas différemment. Avez-vous déjà réfléchi à des solutions pour mieux soigner les patients en situation précaire? Du point de vue du coût des médicaments, oui: j'ai déjà été appelée pour voir comment on pourrait faire à la sortie de l'hospitalisation pour qu'un patient ait le traitement dont il a besoin. Par exemple, pour les médicaments chapitre IV, le patient n'a parfois pas encore son autorisation de remboursement par la mutuelle et nous sommes donc amenés à trouver des solutions pour qu'il puisse quand même avoir son premier mois de traitement dès sa sortie. Dans ce cas, souvent c'est l'hôpital qui délivre une boîte en attendant la régularisation. Je crois que les autorités devraient prévoir ce genre de situation, il devrait y avoir des lignes directrices plus claires. Il y a une certaine lourdeur administrative et les médecins sont parfois un peu démunis face à ce type de cas et font appel à nous pour trouver une solution. Pour nous, c'est du travail en plus, qui sort de la routine. Pensez-vous que l'Ordre des pharmaciens, les associations professionnelles, l'Inami etc. sont sensibles au thème de la pauvreté? Je ne sais pas si le sujet les intéresse beaucoup, mais ce n'est pas abordé en formation continue etc. C'est en partie mieux pris en compte par l'Inami et les mutuelles parce qu'il y a quand même les remboursements majorés pour une catégorie de personnes. Cependant, je ne sais pas à quel point cela touche les personnes concernées et à quel point les solutions mises en place, notamment pour les remboursements, sont vraiment efficaces. Globalement, le thème de la pauvreté mériterait plus d'attention.