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Dans un tiers des cas, aucun donneur compatible ne peut être trouvé pour les patients confrontés à une hémopathie maligne hématologique qui appartiennent à ces groupes de population. Un problème de taille. À titre de comparaison, un donneur compatible peut être trouvé dans 96% des cas pour les patients qui ont leurs racines en Europe occidentale. Il est donc urgent de diversifier les registres de cellules souches. Le Pr Pierre Zachée, ex-hématologue du Ziekenhuis Netwerk Antwerpen et bénévole à la Croix-Rouge depuis de longues années, nous expose le rôle fondamental que peuvent jouer les généralistes dans ce domaine. Une thérapie par cellules souches peut être nécessaire notamment chez les patients atteints d'une leucémie aiguë. Une greffe (allogénique) de cellules souches consiste à transplanter d'une part les cellules souches qui produiront ensuite les différents types de cellules sanguines, mais aussi le système immunitaire du donneur. Ce nouveau système, avec ses lymphocytes T et NK en bonne santé, doit prévenir la survenue de récidives. "La situation n'est donc pas du tout la même que dans le cas d'une greffe d'organes, où le système immunitaire du receveur est inhibé pour éviter un phénomène de rejet", explique le Pr Zachée. "Ceci fait toutefois aussi de la compatibilité des greffons de cellules souches une problématique très complexe, puisque nous devons tenir compte d'un système HLA extrêmement diversifié (1)." Ce système HLA, la carte d'identité de notre système immunitaire, est déterminé par le biotope ancestral dont nous sommes issus. Si vous êtes par exemple d'origine africaine, votre système immunitaire aura été activé et développé de telle manière que vous posséderez un certain degré de résistance contre la malaria grâce aux contacts séculaires que vos ancêtres ont eus avec certains biotopes et à la pression que les microbes ont exercée sur leurs défenses immunitaires. Ce phénomène explique notamment pourquoi, lors de la colonisation de l'Amérique latine, des maladies infectieuses relativement bénignes en Europe ont complètement ravagé la population indigène. Le Registre belge des donneurs de moelle comprend déjà plus de 80.000 donneurs de cellules souches potentiels ; 22.000 jeunes mamans ont également accepté de faire un don de sang de cordon ombilical. Lorsqu'aucun donneur compatible ne peut être trouvé au niveau national, on se tourne vers les bases de données internationales, qui totalisent plus de 39 millions de donneurs enregistrés. Là aussi, les donneurs d'origine non européenne restent malheureusement sous-représentés. "Nous essayons actuellement d'investir les moyens disponibles dans le typage des profils sous-représentés", explique le Pr Zachée. "Compléter nos banques de donneurs par des individus qui présentent ces origines bien spécifiques nous permettra de sauver encore plus de patients." Idéalement, les hommes ont la préférence, car le système immunitaire féminin peut être modifié par la grossesse sous l'effet du contact avec le système HLA du partenaire. "Cela rend la situation encore un peu plus complexe, et les résultats après transplantation sont aussi moins bons", précise l'expert. Les candidats donneurs doivent tout d'abord s'enregistrer en ligne (2). Ils sont ensuite soumis à une consultation médicale dans un centre spécialisé, et au prélèvement d'un échantillon sanguin. À cette occasion, le médecin s'intéresse notamment à une série d'antécédents tels qu'une tension élevée, des allergies, des maladies (tropicales ou autres) et des interventions chirurgicales. Chaque étape, de l'enregistrement à l'éventuel don de cellules souches, est entièrement gratuite et volontaire. Le candidat peut donc changer d'avis à tout moment, même lorsqu'on le sollicite en tant que donneur. "En Belgique, il y a très peu de refus. Les personnes qui se font enregistrer dans la base de données sont décidées à aider les autres", souligne le Pr Zachée avec une reconnaissance manifeste. L'impact de la procédure sur le donneur est limité: dans 90% des cas, elle se déroule comme pour un don de sang. Une ponction de moelle osseuse - toujours sous anesthésie générale - est rarement nécessaire. Avant le prélèvement, le donneur est soumis à un nouveau contrôle médical et doit prendre des facteurs de croissance durant quelques jours. "Pour le reste, la procédure n'est guère différente d'un don de plasma, tout au plus un peu plus longue", commente le spécialiste. Le Registre belge des donneurs de moelle veille à ce que l'intervention se déroule de manière sûre et qualitative, dans le respect du RGPD et avec le consentement éclairé de l'intéressé. "Il arrive que le donneur ressente par la suite quelques douleurs osseuses, qui pourront être efficacement soulagées par la prise de paracétamol. Nous pouvons aussi lui accorder jusqu'à quatre jours d'incapacité de travail si nécessaire. Dix jours après la procédure, son contingent de cellules souches sera entièrement reconstitué... et entre-temps, son don aura peut-être permis de sauver une vie." Le Pr Zachée dresse un parallèle entre le recrutement de donneurs et les campagnes de vaccination contre le covid-19. À l'époque, il est rapidement apparu que des stratégies différentes étaient nécessaires pour sensibiliser certains groupes de la population, et notamment les personnes issues de l'immigration qui restaient souvent en-dehors du champ d'action des spots d'information classiques à la télévision. "Ici aussi, les médecins de famille sont particulièrement bien placés pour faire passer ce message de santé publique au travers de leur réseau local", affirme l'hématologue. "Les dons de cellules souches dépassent le niveau du patient individuel pour s'inscrire dans une dimension collective. Pour les gens, c'est une manière d'aider leur communauté partout dans le monde."