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Débarquant à New York en 1909, Sigmund Freud déclare à Carl Gustav Jung qui l'accompagne " ils ne savent pas que nous leur apportons la peste". Dieu le Père de la psychanalyse débarque sur le Nouveau Continent afin de promouvoir ses théories, et rencontre le jeune Horace W. Frink, médecin acquis à ses idées et dont il fera le président de la société new-yorkaise de psychanalyse. Ce que l'on sait moins, et que raconte ce livre, c'est le ratage total de l'analyse de Frink par Freud, l'existence du premier se terminant de manière dramatique. Pas de Livre noir de la psychanalyse ici (d'ailleurs, ce roman graphique se déroule dans un joli gris), l'écrivain Pierre Péju précisant qu'encore aux origines de cette science, son fondateur ne pouvait que procéder par essais et erreurs. Au-delà de la fascination répulsion de Freud pour l'Amérique, c'est d'abord l'histoire de Frink, homme tourmenté et fragile, qui est ici évoquée, de même que la confrontation entre ancien et Nouveau Monde, ce dernier ensauvagé par un capitalisme implacable, trouvant dans la religion et la psychanalyse des fusibles indispensables à un environnement social aussi impitoyable qu'hypocrite. Intéressant également de remarquer que, dans les relations outre-Atlantique, la communauté juive joue à merveille son rôle de passeur, via ses représentants installés sur les deux rives de l'Atlantique. Pierre Péju, qui a imaginé le scénario de ce roman graphique en même temps qu'il rédigeait le roman L'oeil de la nuit évoquant littérairement ce pan de l'histoire de la psychanalyse (paru chez Gallimard il y a quelques mois à peine), s'appuie sur le beau dessin d'un réalisme teinté d'expressionnisme de Lionel Richerand. Lequel décrit un Freud aux lunettes miroir bien entendu, entouré de volutes de cigares, en démiurge distant, en clinicien froid et ambitieux... On y croise également Jung, Ferenczi et autour de la figure tragique et empathique de Frink, chirurgien empêché dont l'existence est faite de drames notamment du fait de son indécision, des personnalités oubliées de la société américaine du début du siècle dernier. Dans le cas de Frink en tout cas, l'interprétation de ses rêves a viré au cauchemar...