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Le Jdm: Seriez-vous le pendant du caricaturiste ? Stéphane Guillon: Pourquoi pas ? Un bon dessin est aussi efficace qu'un bon mot. Et souvent les dessins qui font polémiques sont très noirs, ce que l'on m'a parfois reproché également. Ce que j'aime dans un dessin quand il dérange, c'est la provocation, mais celle qui fait sens. Je tente d'avoir un rire qui ait du fond. Pour vous, ce serait la différence entre l'insolence et l'impertinence ? Oui, certains disent que dans l'impertinence, il y a pertinence : c'est ce que disait notre " regretté " Jean-Luc Hees (ndlr : l'ancien patron de Radio France) à mon propos. Il avait dû passer la soirée à trouver ce bon mot, si tant est que cela en soit un (sourire sardonique). La pertinence, c'est mieux que l'insolence : il n'avait pas tout à fait tort votre ennemi ? Oui, au sens où je n'ai pas souvenir d'avoir fait des choses gratuites.Mais lui sous-entendait que mon impertinence n'était pas pertinente Parmi vos maîtres, vous pointeriez plutôt Coluche ou Guy Bedos ? Pierre Desproges en fait. Son travail n'a pas pris une ride. Le travail de Bedos ou le mien s'inscrivent plus dans la tradition du chansonnier : on est tellement en réactivité avec l'actualité que, de facto, la date de péremption est inscrite. Personnellement, je retravaille constamment ma revue de presse. Chez Desprosges, je m'en suis un peu approché dans mes premiers billets sur France Inter, où j'évoquais des sujets intemporels, sociétaux, les textes sont forts et aussi intemporels qu'une fable de La Fontaine : il est mort en 88, mais lorsqu'il écrit un texte sur les restos du foie, son texte n'a pas pris une ride. Coluche, lui, a terriblement vieilli. Notre période de politiquement correct c'est du pain béni pour vous ? Oui, parce qu'elle autorise la transgression. J'adore qu'il y ait des interdits et que nous évoluions dans une période frileuse. Dans la famille d'humoristes dans laquelle je m'inscris, il y a une tradition de sale gosse que je revendique totalement. D'ailleurs, mon spectacle est construit de la sorte : dire ce qu'on ne peut pas dire. La notion de sale gosse comporte un aspect peu important ou sérieux... pourtant sérieux cela l'est aussi ? Oui, mais dans un spectacle, il n'y a pas que des choses sérieuses : heureusement, car pendant les deux heures qu'il dure, il faut permettre au public de respirer. Je m'autorise d'ailleurs certaines facilités, des choses plus légères, qui permettront de mettre en exergue les autres. Dans mon spectacle, il y a des facilités que j'assume et que je revendique. La complicité avec Jamel Debbouze ou Dany Boon que vous avez connus au début de votre carrière a-t-elle survécue ? Oui. On garde toujours une tendresse pour les personnes avec lesquelles on a galéré : il reste un lien particulier. Vous êtes aussi acteur : est-il plus compliqué d'obtenir des rôles lorsque l'on est en même temps humoriste ? Raison pour laquelle j'ai disparu des écrans. Je souffrais de ne plus travailler en tant qu'acteur ; c'est mon premier métier. Depuis que je suis moins présent dans les médias, je retravaille en tant qu'acteur, notamment récemment dans " Le bazar de la charité ". Le fait d'être comédien vous aide-t-il en tant qu'humoriste ? Oui, au niveau technique, et il fallait en avoir. Je me souviens de la Matinale sur France Inter : il est 7H 55, vous êtes à peine réveillé et vous devez faire un papier sur l'homme politique qui, parfois, est arrivé en avance. Lorsque j'avais réalisé mon billet sur Marine Le Pen, elle m'observait derrière la vitre, à l'écoute de ce que je disais : pour que la voix ne tremble pas, que la diction reste parfaite, il faut de la technique. Que j'ai acquise grâce à Jean-Laurent Cochet, qui était intraitable à ce sujet : nous pratiquions des techniques de respiration, de placement de voix qui me viennent encore en aide aujourd'hui. Si, a fortiori en spectacle, vous ne pouvez pas vous appuyer sur une technique, vous êtes mort. Parce qu'en vérité vous n'avez pas toujours la grâce sur scène : cela arrive, mais, souvent, vous avez besoin d'une sacrée technique pour pallier une fatigue, un public moins réceptif, une acoustique moins bonne... La difficulté de la tournée est de devoir s'adapter constamment au lieu : on n'est plus dans ce cocon que représente une salle parisienne où vous vous produisez pendant trois mois et que vous maîtrisez parfaitement. à France Inter, cette technique m'a beaucoup aidé pendant les périodes de fatigue, de stress, de tension, de polémique... Philippe Val, qui était à Charlie Hebdo avant de diriger France Inter, se situe plutôt à gauche, contrairement à Hesse, et il vous vire... Oui et il a décrit un livre sur la censure. C'est Tartuffe. Je l'ai d'ailleurs écrit dans un tweet : Molière aurait adoré Philippe Val. Il y a une pièce à écrire à son sujet. Val a donné des conférences, il possède son auditoire, sa maison d'édition... Ce type ose commettre un bouquin sur la censure, alors qu'il l'a pratiquée comme personne, et se voit inviter partout. C'est très parisien non ? Oui. Un autre tartuffe c'est BHL et ses indignations à géométrie variable. Incroyable de le voir écrire une tribune ou il prend la défense de Yann Moix, où il défend l'indéfendable parce qu'ils sont copains et crèchent dans la même maison d'édition. Cela m'a beaucoup heurté, car il n'y a pas eu que le silence de Bernard-Henri Lévy. Il y a celui d'intellectuels de philosophes qui, à raison, montent au front dès qu'il y a un acte antisémite et qui là, soudain, font silence dans les rangs. Or, la bête immonde il faut la combattre constamment... même s'il s'agit de votre copain. Ce qui vous rend inattaquable.