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Situé sur le site du Grand-Hornu, témoignage de l'archéologie industrielle du 19e siècle, le Musée d'Art contemporain de la Communauté Wallonie-Bruxelles ne pouvait qu'accueillir un artiste épris de moteurs et engrenages comme l'est Johan Muyle. Cet Apache, souvent coiffé d'une superbe parure de Peau-Rouge - même (ou à cause) s'il n'a plus un cheveu sur le caillou, sort en effet de sa réserve pour y rouler des mécaniques. Ce dernier des Mohicans ou Belges - c'est la même chose - à la fois Flamand et Wallon, a imaginé avec Au bord des lèvres de faire couler de vraies larmes des joues du jeune Baudouin, dont l'image figure sur une boite de biscuits: un souverain coincé dans l'impossibilité de régner au moment de la loi sur l'avortement. C'est lui aussi le dernier rhinocéros à roulette (l'oeuvre s'intitule d'ailleurs L'impossibilité de régner) qui se tape systématiquement contre une arène (parlementaire? ) dont la forme ressemble étrangement à la structure ovoïdale du site d'Hornu. La mécanique du rire et de la création s'accouplent à la colonisation lorsqu'une Lucy noire statufiée, armée d'une machette, et retenue par un collier étrangleur, voit s'agiter sur sa tête une caravelle colonisatrice tandis que se diffusent dans son dos des images de Lincoln et le discours de Martin Luther King. La pièce qui date de 2008 s'intitule Lucy I have a dream. En effet, l'artiste, visionnaire, ... "utopise". L'art démarreur de Muyle montre également, sous une mitraillette AK 47, le discours en images d'un chef d'une armée d'enfants-soldats mis en parallèle avec un extrait du film évoquant la légende du joueur de flûte de Hamelin. Souvent tournantes et donc à moteur, les oeuvres en divers supports de l'artiste paient leur tribut à l'Art moderne: la Little Hong Kongr Girl qui virevolte n'est autre qu'une copie des danseuses de Degas. A celui de la Renaissance également, avec ce buste de mannequin féminin de Saint-Sébastien percé de flèches (celle décochée par l'artiste indien? ) et à facettes stroboscopiques. Du 19e émerge la référence au Marteleur de Constantin Meunier qu'il détourne dans un contrapposto classique, pour rappeler la persistance de l'humanité même si les mines et la métallurgie ont fermé dans le pays de Charleroi qui a accueilli les Muyle. Référence classique enfin avec une version du "Spinario" qui, dans la version de Muyle, prend place sur une civière, et au lieu d'une épine se voit en continu, et via un moteur bien sûr, planter puis extraire inlassablement une flèche dorée. Du grand art que le sioux (se) plaît à évoquer. Tourner aussi les images qui doivent montrer, shower: un écran géant projette d'un côté Gene Kelly dans la fameuse scène de Singing in the rain, de l'autre la vision de l'explosion d'un Hummer en Irak. La pluie de sang brouille la vision de cette société du spectacle qui sait si bien fictionnaliser le réel pour envoûter le spectateur, que ce soit dans les médias ou à Hollywood. Dans Show must go on, derrière un petit rideau... motorisé, l'on peut assister si on le souhaite, à la pendaison de Saddam Hussein: L'origine du monde remplacé par l'origine du mal. Paraît que l'exécution ne devait pas être filmée. Bien entendu: et les Irakiens ne devaient certainement pas voir leur tyran éliminé pour de bon. Tournent aussi les roues, sur lesquelles certains animaux ne sont pas suppliciés, mais sanctifiés: la chèvre dans Le second martyr de la Piéta, des chiens angéliques en landau dans Cherubini gemelli, voire Les reines mortes où un cochon trône sur un char-baignoire rempli d'or qui verse dans la superstition genre Fontaine de Trévi. Des saints également comme Sainte Barbe ou des anges motorisés dans Angel et Angelo avant de découvrir en images un Hells Angel à moto: l'artiste lui-même. Son Memento mori renvoie au mythe libertaire du biker anticonformiste de Easy Rider. Sa Harley arbore notamment le dessin d'un crâne surmonté d'un " we were like you. You will be like us." L'installation consiste en une vidéo de Muyle roulant à fond, mais immobile sans bouger sur le podium où la merveilleuse bécane inerte, telle une nature morte en effet, trône toujours le pneu arrière éreinté par la performance... Mais le moteur de l'ange rebelle tourne toujours... parfois même en rond: l'espace principal est truffé de sculptures souvent animées qui confinent parfois à la redite ; c'est le cas notamment d'un couple d'oeuvres semblables représentant une figure sculptée aérienne et que l'on imagine sainte... car soufflées dans le dos par un ventilateur faisant office d'auréole. Rétrospective cohérente, mais qui semble montrer, à l'image de la roue arrière de la moto usée jusqu'à la jante, que le moment serait peut-être venu pour Johan Muyle dans sa pratique artistique... de changer de véhicule.