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La "littératie en santé", kesako? " Il s'agit de la compétence pour chercher, trouver, comprendre, évaluer et utiliser les informations dans le domaine de la santé afin de prendre des décisions en termes de soins, de prévention ou de promotion de la santé", précise le Dr Gilles Henrard. "Ce médecin généraliste est chargé de cours adjoint au département de Médecine générale à l'université de Liège où il fait sa thèse de doctorat sur la littératie en santé. Pourquoi s'intéresse-t-il à ce sujet? On pourrait presque dire qu'il est né dans la marmite de la littératie: "Ma maman qui est institutrice a travaillé pour 'Lire et écrire', une asbl d'alphabétisation, où j'ai vu à quel point cela pouvait être émancipateur. Quand j'ai commencé ma pratique médicale, je me suis rendu compte qu'il y avait des blocages dans la mise en oeuvre de nos plans médicaux, dans l'adhérence thérapeutique, l'accès aux médicaments et aux spécialistes..."" En 2007", poursuit-il , "j'ai fait mon travail de fin d'études en médecine générale sur la littératie en santé avec 'Lire et écrire'. A l'époque, on ne parlait pas encore de ce terme, mais d'analphabétisme. Il est intéressant de voir l'émergence d'une nouvelle notion qui recouvre des choses que l'on faisait déjà avant, mais ce néologisme qui a débarqué du monde anglo-saxon ne facilite pas l'adoption de la notion ici en Europe". En devenant professeur de médecine générale à l'ULiège, Gilles Henrard continue sur sa lancée en consacrant sa thèse à la littératie en santé et, plus spécifiquement, à la façon dont les institutions de soins s'organisent structurellement pour être plus 'pro littératie' (fléchage dans les couloirs...). " Le message clé de la littératie en santé c'est: comment je me fais comprendre en tant que professionnel, ce n'est pas juste être gentil et travailler à la satisfaction des gens, c'est aussi faire en sorte que cela fonctionne. Moi, je pose l'hypothèse que la littératie en santé met de l'huile à toutes les étapes où cela peut foirer dans la chaîne de soins et qu'il est probablement plus efficace de travailler sur la littératie en santé dans beaucoup de situations que d'inventer un nouvel antibiotique. Parce que la non-adhérence thérapeutique est rarement due à une incompréhension ou à un manque d'information, dans plus de la moitié des cas, elle est intentionnelle (manque de confiance...)", explique-t-il. Gilles Henrard, administrateur au Cebam (voir jdM n°2643), collabore aussi avec 'Culture et santé', une asbl de promotion de la santé et d'éducation permanente en Fédération Wallonie-Bruxelles, qui édite des outils pour améliorer la littératie en santé, comme par exemple les fiches Lisa. " Ces fiches permettent de se former mais aussi de ne pas craquer. Je supervise des jeunes médecins généralistes et, immanquablement, ils font part de beaucoup de frustrations communicationnelles. C'est la réalité qui résiste: la médecine serait tellement facile sans patients! Beaucoup de ces frustrations, de ces burn-out médicaux sont dus à de grandes incompréhensions de départ. On pourrait en résoudre une partie avec des notions comme la littératie en santé, avec des techniques de communication assez simples. Il faut arriver à faire passer ses messages et c'est une fausse croyance de penser que bien communiquer prend plus de temps: on en gagne en communiquant mieux et on s'épargne pas mal de frustrations et de répétitions...", note-t-il. A côté des fiches Lisa, le site infosanté. be, dont le Dr Henrard est l'initiateur pour le Cebam, peut également aider les généralistes dans leur travail d'éducation thérapeutique. Ces fiches et ce site peuvent être prescrits en consultation pour servir de support à la discussion avec le patient. " Aujourd'hui, on ne forme pas mieux les médecins à la communication", estime-t-il . "C'est en cela que, pour moi, l'université n'est pas 'pro littératie'. A l'hôpital, on voit des changements (indications, charte graphique...), mais ce n'est pas l'université qui pousse, ce sont plutôt les entreprises qui se rendent compte qu'en termes de qualité du service rendu et des flux de patients, elles doivent revoir la littératie en santé." " Selon le référentiel de compétence CanMEDS du Royal College of Physicians canadien, l'une des compétences du médecin du XXIe siècle est d'être un bon communicateur et c'est de sa responsabilité d'être compris, de faire en sorte d'adapter son niveau de langage , etc. C'est un renversement de perspective qui n'est pas encore acquis. La culture universitaire ne valorise pas cela, c'est très peu enseigné." Quelle est l'importance de la littératie en santé dans la crise sanitaire actuelle? " Il faut retenir un seul mot, mis en avant par l'OMS: infodémie. Un article de 'Culture et santé' explique en quoi la littératie en santé et la capacité à gérer l'information sur le Net sont primordiales, notamment sur le plan de l'anxiété et des comportements à risques. Le gros défi de cette crise est aussi, et peut-être surtout, celui de la communication et de la gestion de l'information." Enfin, Gilles Henrard met en avant la notion de discrimination fortuite: " Tout message lancé dans un langage dominant qui postule a priori que tout le monde va comprendre de la même manière est discriminant jusqu'à preuve du contraire: même sans le vouloir, on va discriminer. Il faut en avoir conscience et simplifier son message pour ne pas laisser 30 à 50% des gens sur le côté. Tout le monde préfère qu'on lui parle simplement, c'est un principe de précaution universelle." www.cultures-sante.be www.infosanté. be Rev Med Liège 2017 ; 72(1): 1-12