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"J e suis rentré à MSF en 1983 immédiatement après mes études de médecine à Liège" explique l'ancien sénateur du Mouvement réformateur. "Je suis parti en 1983 en septembre au Honduras dans un camp de réfugiés salvadoriens où je suis resté un an." Au Honduras, le Dr Destexhe se retrouve, jeune adulte, à devoir gérer 10.000 réfugiés avec un autre médecin et trois infirmières. à seulement 25 ans, il fait un peu de tout: médecine générale et tropicale, accouchement et petite chirurgie. Tout cela sans aucun appareil de radiographie. Les cas graves sont toutefois évacués dans un petit hôpital rural situé à 100 km mais peu équipé. On peut y faire des césariennes par exemple. Dans le camp, l'équipe médicale bricole: des boîtes en carton servent de couveuse à des bébés souffrant d'hypothermie. On fait des "révisions utérines" à la lampe à pétrole. C'est de la médecine de brousse. "Les conditions de vie ne sont pas moins précaires. Je dormais sur un lit de camp en toile. Il faisait froid au Honduras. Nous n'avions droit qu'à une douche froide. Le toit des baraquements en bois est recouvert de tôle ondulée, le sol est en terre battue. On mangeait tous les jours la même chose: du riz et des haricots noirs appelés "frijoles". Mais j'étais plein d'enthousiasme. Personne dans l'équipe MSF ne se plaignait."Très isolés (la ville la plus proche se situe à 100 km), les soignants du camp reçoivent leur courrier au compte-goutte. Les lettres du jeune Destexhe à sa mère et à sa copine mettent un mois à arriver et autant pour revenir. Sans téléphone et sans internet, l'équipe dispose seulement d'une radio militaire prêtée par l'ONU. Pour éviter d'être sur écoute, deux infirmières espagnoles communiquent en Basque pour que l'armée hondurienne ne capte pas les échanges! Mais il n'y a pas que les soins. Un peu progressiste à l'époque (il a fait médecine pour "aller dans le Tiers-Monde soigner les nécessiteux"), le Dr Destexhe en revient vite sur l'image qu'il avait de l'Amérique latine, soit le mantra des 'paysans opprimés par l'impérialisme américain'. "Mon camp était contrôlé par une guérilla marxiste qui faisait régner un climat d'oppression très forte dans le camp. J'ai commencé ma mue d'écologiste modéré vers le libéralisme. Ce fut une expérience à la fois humaine, médicale et politique." Il est également surpris par le fait que MSF est la seule organisation travaillant au Honduras avec des réfugiés salvadoriens fuyant un régime militaire "de droite" et des réfugiés Indiens miskitos qui fuyaient la dictature sandiniste "de gauche". MSF travaille en effet pour les victimes sans égard à leur sensibilité politique, contrairement à beaucoup d'autres ONG. "Beaucoup d'églises évangélistes américaines "de droite" aidaient plutôt les Indiens et des ONG américaines de gauche aidaient les Salvadoriens..." Ce n'est qu'un peu plus tard que Bernard Kouchner, co-fondateur de l'organisation, lance le concept de "droit d'ingérence". "L'idéologie transfrontiériste de l'époque consistait à dire qu'il fallait aider les victimes où qu'elles soient. Par exemple, en Afghanistan dans les montagnes tenues par les Moudjahidines du peuple qui combattaient le régime soviétique. Nous nous sommes opposés au droit international de l'époque qui consistait à respecter la souveraineté nationale même venant de dictature. Mais en interne, le droit d'ingérence était considéré comme fumeux. La plupart des cadres de MSF ont toujours été très critiques envers Kouchner (cf. le sac de riz en Somalie porté sur son épaule, c'était du show médiatique)."Cependant, lors des grandes famines au Soudan en 1985 et aussi en Ethiopie, MSF commence à prendre position politiquement. "Au Soudan, les patients étaient dans un état apocalyptique. On était confrontés à épidémie sur épidémie: rougeole, méningite, choléra. Bien organisées, les équipes de MSF parviennent à faire redescendre le taux de mortalité du choléra à 1%. C'est un de mes meilleurs souvenirs comme médecin!"Toutefois, la responsabilité de la dictature communiste de Mengistu ne fait aucun doute. MSF défend l'idée que l'humanitaire ne peut pas renforcer des politiques criminelles. "Le gouvernement éthiopien, par exemple, n'autorisait les ONG à travailler dans certaines régions qu'à la condition ensuite de "déporter" les réfugiés dans le sud du pays et les mettre dans des "villages modèles" à la Communiste. C'était un projet meurtrier dont l'humanitaire était complice. On a dénoncé cette perversion. à Srebrenica, on devait nourrir la population encerclée, puis massacrée. à Goma, après le génocide des Tutsis au Rwanda, les meurtriers (bourgmestres et cadres du régime génocidaire) se sont enfuis au Congo. Puis ils ont été remis en selle par un énorme mouvement humanitaire... Comme secrétaire-général, j'estimais que nous ne pouvions pas nourrir des génocidaires..."De cette expérience "action-témoignage", Alain Destexhe publiera un essai, "L'Humanitaire impossible" où il retrace deux siècles d'aide humanitaire avec des exemples de complicité comme les aides à Lénine, les colis de la Croix-Rouge dans les camps de concentration nazis ou l'attitude de Kouchner et Mitterrand en Bosnie "d'un cynisme exceptionnel consistant à ne rien faire pour arrêter la guerre mais nourrir les populations qui étaient massacrées". La période 1991-1995 pendant laquelle Destexhe est Secrétaire général est une période hélas "riche" en crises humanitaires (Première Guerre du Golfe, famine en Somalie, Guerre en ex-Yougoslavie, génocide des Tutsi au Rwanda, etc.) mais aussi en développement vertigineux des organisations humanitaires. " Le SG fait la synthèse politique entre les sections nationales sous l'égide d'un conseil d'administration. C'est un rôle politique et de lobbying mais j'étais également chargé du développement international de MSF à une époque où l'ONG essaime un peu partout aux USA, en Australie, au Japon. Mon rôle était de plus en plus politique en prenant des positions en accord avec les présidents de section. Par exemple, durant la première guerre du Golfe, les réfugiés étaient arrêtés dans les montagnes par l'armée turque et étaient bloqués dans le froid, obligés de déféquer à même le sol (la montagne était couverte d'excréments). En Somalie on s'est opposés à l'intervention américaine. En Bosnie, on a dénoncé l'inaction politique et enfin au Rwanda on a souligné le fait qu'on ne pouvait arrêter le génocide avec des médecins... à Butaré, quand notre équipe est arrivée à l'hôpital, elle a constaté que tous les Tutsis, patients et infirmiers, avaient été massacrés, il ne restait que les Hutus qui, souvent, les avaient massacrés. Cela n'avait aucun sens de continuer dans ces conditions..."