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Le Laac, centre d'art de Dunkerque, fête cette année ses 40 ans d'existence. Sa naissance, il la doit à un ingénieur, Gilbert Delaine qui connut une sorte d'épiphanie chez son... dentiste face à une oeuvre d'art, se mit à collectionner, pas pour spéculer, mais constitua une collection "de tripes" comme il le précisait, qu'il décida de léguer à la ville, convainquant au passage 70 entreprises locales d'investir dans une collection d'importance, la commune de Dunkerque s'occupant de construire ce musée semblable à un château contemporain posé sur l'eau... d'un lac en effet. À l'occasion de cet anniversaire, le musée met en valeur la collection de notre compatriote Maurice Verbaet, qui n'est pas sans rappeler la démarche de Delaine. Fortune faite à 40 ans en tant qu'agent de change, ce septuagénaire qui n'avait aucune formation artistique se consacre uniquement à l'art... belge de surcroît, d'abord en mettant sur pied une collection formidable de peintres nationaux du tournant du siècle dernier (Spilliaert, Schmalzigaug....) avant de tout revendre (après avoir présenté un panorama au musée d'Ixelles il y a tout juste dix ans ) et se consacrer uniquement aux peintures et artistes belges de l'après-guerre, jusqu'au années 80. Ce qui correspond à la démarche du Laac, également picturale et pas conceptuelle, et à celle de son fondateur, puisque, à l'instar de ce dernier, Verbaet se fie uniquement à son oeil, son instinct et son coeur. Parmi les 10.000 oeuvres de sa collection, les trois commissaires, Sybille Cosyns, Hanna Alkema, assistées de Marion Roy, ont fait un choix d'une centaine d'oeuvres réparties en un quadriptyque. Le premier volet ou panneau se consacre à l'abstraction géométrique et propose des oeuvres de Jo Delahaut, Pol Bury, de Francis Olin, mais aussi de moins connus comme Henry Gabriel (son Sans titre en coton et latex étonne par sa texture et son côté perforé, judicieusement placé aux côtés d'une oeuvre de fils de coton " twisted strings " de Walter Leblanc) Van Hoyedonck (plutôt banal dans sa géométrie colorée) ou un Anthoons (présent avec des mobiles à la Calder aux côtés de Marthe Wéry). Figurer, refigurer, défigurer présente des oeuvres de René Guiette qui rappellent l'art brut de Dubuffet ; celle, formidable, d'un certain Yvan Theys ( Vrouw in rotanzetel) évoquant pour sa part à la fois le fauvisme et le pop par ses couleurs vivaces, est mise en regard d'une oeuvre tout aussi éclatante de couleurs de Maurice Wyckaert. La peinture de Fred Bervoets, inclassable - entre Cobra et figuration, se trouve idéalement placée à côté de Serge Vandercam dans un accrochage qui joue des connexions entre artistes, et placées toutes deux aux côtés d'un personnage stylisé à la limite de l'abstraction d'Antoine Mortier. Dans Signes, gestes, matières, le troisième panneau de ce polyptyque, se déploient les oeuvres de Christian Dotremont bien sûr et sa simili-écriture, quelques sculptures sur ardoise de Raoul Ubac, en textile, une torsade en laine et sisal à la Walter Leblanc (présent dans la première partie comme on l'a vu) signée Tapta. Cette section donne par ailleurs à voir quelques inconnus comme Bert de Leeuw, d'une fascinante beauté dans son approche primitive et brute. Enfin, le volet pop met en exergue l'art fluide d'Evelyn Axelle et de Mi Van Landuyt qui s'en rapproche fortement, et l'oublié Louis- Marie Landot dont le faux triptyque consacré à la vitesse, à la consommation et la sexualisation de 1967 paraît on ne peut plus actuel. Une fois encore, cette exposition révèle la richesse des collections privées belge - Verbaet eut un musée à Anvers de 2015 à 2020, fermé pour cause de coûts prohibitifs -, souvent fondées sur le goût plus que sur la spéculation (même si Verbaet fut agent de change), et qui - faisant souvent la part belle à la production nationale -, par audace et par l'absence de préjugés, mettent en valeur la richesse du patrimoine artistique moderne et contemporain de notre pays.... et ce même à l'étranger.