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A l'heure où les deux premiers vaccins anti-Covid disponibles pour les centaines de millions de citoyens sont issus d'une technique d'ingénierie génique, il est plus que jamais temps de se pencher sur la question épineuse de l'accès du grand public aux techniques pharmaceutiques innovantes et donc de leur remboursement durable par les systèmes de santé de la planète. C'est le sujet abordé par un panel de spécialistes, le 7 décembre dernier. Une mise au point, d'abord: la thérapie génique est ici comprise au sens large. Comme le résume le professeur Luk Vandenberghe, de la Harvard Medical School, co-inventeur du Zolgensma (R), un traitement génique contre l'atrophie musculaire spinale, "le principe de la thérapie génique est de transférer un gène dans la cellule. Pour ça, on a besoin d'un vecteur, comme le camion DHL qui livre le colis. Le premier vecteur est chimique, comme les bulles lipidiques, des liposomes utilisées pour le vaccin contre le Covid-19 de Pfizer. Les gènes peuvent aussi être transportés par un virus neutralisé, rendu inoffensif. La 3e méthode consiste à prélever une cellule du patient et à l'utiliser pour introduire ce nouveau gène dans son corps." Laquelle est la meilleure? "Ça dépend de la maladie. On ne choisit pas le vecteur par plaisir, mais en fonction de la maladie. Pour une leucémie CD 19, qui touche les jeunes patients, il est aisé des cellules sanguines et de les reprogrammer avant une réinjection. Par contre, pour la cécité génétique, il est impossible de prélever les cellules de l'oeil".Mais si le Zolgensma(R) est devenu célèbre dans notre pays, c'est non seulement pour son efficacité impressionnante, mais surtout pour son prix hors norme. C'est l'épisode du bébé Pia, qui provoqua une grande émotion dans l'opinion publique, émue du sort de l'enfant. Et du prix, autour de 300.000 euros par an et par patient. La particularité des traitements géniques est d'agir pour de longues durées d'action, une seule infusion suffisant parfois pour modifier le code génétique des cellules qui déraillent. Mais cela induit un prix unique très important. Pour le professeur Steven Simoens, économiste de la santé à la KULeuven, l'émergence de ce nouveau type de thérapies nécessite d'innover également en termes de remboursement et de fixation du prix . "Il faut compter entre 500.000 euros à un million par traitement, voire plus. Mais il s'agit toujours de maximiser la santé tout en limitant les dépenses au maximum. Toutefois, ces traitements novateurs ne répondent pas au schéma habituel du remboursement. Dans celui-ci, on examine d'abord si la spécialité nouvelle répond ou non à un besoin médical non rencontré. Si c'est le cas, on le compare au meilleur traitement existant à ce moment-là. Un traitement peut être plus cher en prix s'il est rentable, au sens où il diminue le recours à des traitements antérieurs qui devaient être poursuivis de manière chronique."Le spécialiste prend un exemple: "Si vous trouvez par exemple une molécule qui stoppe une dégénérescence, on tient compte des soins de soutien (kiné, aide familiale) qui seront ainsi évités. L'évaluation économique calcule les coûts supplémentaires et le gain de santé de la thérapie cellulaire et génique par rapport à une alternative, elle évalue la rentabilité de la thérapie cellulaire et génique. L'analyse d'impact budgétaire calcule l'impact sur les dépenses de santé de l'adoption d'une nouvelle thérapie cellulaire et génétique et évalue l'accessibilité de la thérapie cellulaire et génétique."Mais, selon Steven Simoens, le système actuel "n'est pas habitué à l'émergence de tels médicaments disruptifs, qui représentent un défi pour l'équilibre d'un système de santé durable. Il existe de nombreuses maladies rares, où le nombre de patients est faible ou très faible". Ces patients sont parfois très différents, ce qui rend difficile la réalisation d'études prouvant statistiquement que le nouveau médicament offre un avantage conséquent qui peut parfois s'étendre sur plusieurs dizaines d'années de survie. Sans doute un médicament qui coûte 500.000 euros ou un million effraye-t-il par le montant évoqué, mais qu'en penser s'il permet d'éviter plusieurs millions d'euros de dépenses sur une vie de patient? "C'est le cas pour le traitement de l'hémophilie A. Les coûts liés à cette maladie sont estimés entre cinq à dix millions sur la durée de vie du patient. Et il faut le combiner avec une incertitude importante dans le temps. Le coût de l'injection qui ambitionne de soigner cette maladie est de 300.000 euros par an. Cela veut dire que si l'effet bénéfique dure sept ans, le prix est équivalent à celle du traitement actuel. Mais si le bienfait se prolonge plus de dix ans? Dans ce cas, on économise un million! Il faut donc comparer le prix de ces nouvelles thérapeutiques au coût réel de ce qu'elles envisagent de remplacer, mais avec le fait qu'il doit être échelonné dans le temps et intégrer de nombreuses incertitudes cliniques."Des solutions se dessinent-elles? Peut-être des paiements échelonnés sur la durée de l'efficacité de la thérapie et qui intègrent un facteur d'incertitude des résultats. Mais quels montants adopter? Et comment rendre ce type de paiement compatible avec les règles comptables belges? Comment aussi surmonter le pic des premières années, quand de nombreux patients en attente doivent être traités simultanément? Des expériences innovantes existent, comme avec le Kymriah (R), un médicament approuvé en Europe contre la leucémie aiguë lymphoblastique à cellules B réfractaire et le lymphome diffus à grandes cellules B. Son prix final sera lié aux résultats enregistrés auprès des patients tous les trois mois. D'autres avancées existent en ce sens. Par exemple le consortium BeNeLuxAI, qui jauge pour le Benelux la valeur de Spinraza (R), un médicament contre l'atrophie musculaire spinale. Ou Finose, qui fait de même pour les pays nordiques pour le Zynteglo (R), un médicament actif contre certaines thalassémies. Reste que trouver le juste prix devient de plus en plus un casse-tête d'experts...