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On a longtemps résumé la pathogenèse du diabète de type 1 à une destruction occasionnelle des cellules bêta par le système immunitaire, mais des données récentes donnent à penser que la réalité est plus complexe. "On a en effet retrouvé dans des prélèvements d'autopsie provenant de patients diabétiques de type 1 des îlots de Langerhans épuisés, dont les cellules bêta avaient largement ou même complètement disparu", rapporte le Pr Chantal Mathieu, chef du service d'endocrinologie de l'UZ Leuven. "Ces îlots contenaient toutefois aussi un infiltrat inflammatoire trahissant ce que l'on appelle une insulite ou inflammation des îlots. Comme cet infiltrat contient notamment des lymphocytes T spécifiques aux antigènes des cellules bêta, on part du principe que le processus inflammatoire présente un lien avec une réaction auto-immune." "Entre-temps, nous sommes toutefois de plus en plus convaincus que la cellule bêta n'est pas qu'une simple victime innocente ou passive de ce processus auto-immun", poursuit la spécialiste. "On peut en effet observer à un stade très précoce un certain nombre de particularités au niveau du pancréas. Les patients qui souffrent de diabète de type 1 présentent ainsi en moyenne un pancréas de plus petite taille que la population générale avant même que la maladie ne se déclare... et ce constat vaut également pour les personnes apparentées aux patients diabétiques de type 1, même lorsqu'elles n'en souffrent pas elles-mêmes." Rappelons par ailleurs que la cellule bêta est hautement spécialisée et donc particulièrement vulnérable. Face à un stress infectieux (virus) ou métabolique, le risque est grand de la voir subir une mort aiguë ou plonger dans une lente apoptose au cours de laquelle elle libérera des chimiokines et synthétisera des protéines anormales. Les cellules immunitaires attirées par les chimiokines vont ainsi se retrouver en contact avec des protéines qu'elles n'identifient pas comme étant propres à l'organisme et détruire les cellules bêta. "Dans les modèles animaux, les cellules bêta des sujets qui développaient un diabète de type 1 se sont en outre avérées plus vulnérables que celles d'individus contrôles", poursuit Chantal Mathieu. "On pense que cela pourrait aussi être le cas chez l'être humain, mais cette hypothèse reste à démontrer." Des recherches ont démontré que la prédisposition au diabète de type 1 repose au moins en partie sur des facteurs génétiques. La littérature rapporte à ce jour plus de 150 locus génétiques en lien avec cette prédisposition, dont le groupe le plus important se situe au niveau des gènes codant pour les protéines HLA de classe II. Ces protéines sont localisées à la surface de la membrane de cellules présentatrices d'antigènes et sont responsables de la présentation d'antigènes aux lymphocytes T du système immunitaire. HLA-DR est l'une de ces protéines HLA de classe II, et les sujets chez qui elle prend la forme HLA-DR3 ou HLA-DR4 courent un risque accru de diabète de type 1. "C'est en tout cas ce qui se passe chez les individus de type caucasien", précise le Pr Mathieu. "Chez les Japonais, par exemple, ce sont d'autres HLA de classe II qui sont prédisposantes." Le fait d'être étroitement apparenté à un patient diabétique de type 1 accroît le risque de développer la maladie indépendamment du sérotype HLA-DR. Dans la population générale, le risque de diabète de type 1 s'élève à 4 sur 1.000. Chez les proches parents des patients, il peut atteindre 4 sur 100 et peut être encore accru par la présence d'un sérotype HLA-DR pertinent. Les facteurs génétiques ne sont toutefois pas seuls en cause. L'incidence du diabète de type 1 en Europe occidentale connaît une augmentation rapide depuis quelques décennies, en particulier chez les enfants de moins de cinq ans, et cette courbe ascendante est trop marquée pour pouvoir s'expliquer uniquement par l'effet des gènes. "Tout porte donc à croire que des facteurs environnementaux aussi ont un rôle à jouer", conclut Chantal Mathieu. "Je songe ici aux virus, à l'alimentation, au surpoids (et au stress métabolique qu'il inflige aux cellules bêta) ou encore à une modification du microbiome intestinal." Toutes ces données convergent dans un scénario susceptible d'expliquer la survenue du diabète de type 1. La première étape supposée est celle d'un stimulus externe tel qu'une infection virale ou autre cause d'inflammation qui provoque la mort de la cellule bêta (génétiquement prédisposée? ) ou la pousse à produire des protéines anormales. Celles-ci sont ensuite captées par des cellules présentatrices d'antigènes (p.ex. des macrophages), qui peuvent potentiellement présenter un fonctionnement spécifique en raison de leur sérotype HLA-DR particulier. Ces cellules présentatrices d'antigènes activent ainsi des lymphocytes T, stimulant encore plus de cellules immunitaires et déclenchant un cercle vicieux débouchant sur la destruction massive de cellules bêta. "Il est probable que nous soyons tous confrontés à un moment ou l'autre à ce processus de détérioration des cellules bêta", avance le Pr Mathieu. "Dans le cadre d'un système immunitaire normal, le cercle vicieux sera toutefois tempéré par des cellules régulatrices. Je voudrais en profiter pour évoquer ici un facteur que je n'avais pas encore mentionné: les scientifiques ont décrit dans les modèles animaux du diabète de type 1 de multiples anomalies du système immunitaire, qui concernent également les cellules régulatrices. Il semble donc que la pathogenèse du diabète de type 1 puisse se résumer à un dialogue mortel entre plusieurs facteurs, où le premier rôle revient non seulement au système immunitaire, mais aussi aux cellules bêta." Les connaissances issues de la recherche offrent la possibilité de dépister le diabète de type 1 de manière extrêmement précoce, bien avant la survenue d'une hyperglycémie. Les lymphocytes T activés vont en effet aussi mobiliser les lymphocytes B du système immunitaire, qui vont produire des anticorps dirigés contre les protéines de la cellule bêta. Ces anticorps ne sont pas pathogènes - contrairement aux lymphocytes T, ils n'endommagent pas les cellules bêta - mais il est possible de les doser dans le sang et donc de les utiliser pour trahir, chez les parents au premier degré des patients diabétiques de type 1, un risque accru de développer la maladie. Suivant le type d'anticorps, il est question d'une augmentation du risque de 50 à 80% sur une période de cinq ans. Une seconde technique de dépistage concerne les nouveau-nés, chez qui le test de Guthrie est utilisé pour rechercher certaines caractéristiques génétiques. Chez les enfants qui s'avèrent porteurs de variants génétiques pertinents, un suivi sera instauré pour détecter le plus rapidement possible l'apparition d'anticorps. L'étude Freder1k actuellement en cours dans notre pays vise à chiffrer précisément le risque de développer des anticorps chez les porteurs de variants génétiques. De là à intervenir directement sur la pathogenèse, il n'y a qu'un pas, puisqu'une autre étude est en cours pour traiter les très jeunes porteurs de variants génétiques pertinents au moyens de probiotiques SINT1A dans l'espoir d'influer sur le développement d'anticorps en modifiant le microbiome. En parallèle, le projet INNODIA actuellement mené en Belgique et dans toute l'Europe se concentre sur la recherche d'anticorps chez les parents au premier degré des patients diabétiques de type 1. Les sujets chez qui ils sont présents font l'objet d'un suivi afin de déterminer quand se développe le diabète de type 1 proprement dit. Des études visant à entraver la survenue de la maladie débuteront tout prochainement. Des travaux sont également en cours dans le cadre d'INNODIA afin de contrer la poursuite de la destruction des cellules bêta chez les personnes qui viennent de développer un diabète de type 1. L'étude MELD-ATG s'attache, elle, à tester l'administration de faibles doses de globuline antithymocyte - une molécule déjà utilisée à hautes doses depuis des décennies contre les phénomènes de rejet chez les patients transplantés. Une autre étude (VER-A-T1D) examine la possibilité de renforcer les cellules bêta à l'aide de l'antiarrythmique vérapamil, dont on sait qu'il agit sur une protéine de ces cellules. "Enfin, j'aimerais encore lancer un appel à mes collègues", conclut le Pr Mathieu. "Au moment où vous diagnostiquez un diabète de type 1 en tant que clinicien, 30 à 40% du contingent initial de cellules bêta sont encore préservées. Nous pouvons aujourd'hui intervenir pour tenter de les sauver, mais nous parlons ici d'une urgence médicale. Les hôpitaux universitaires de l'ULB, de l'UCLouvain, de la KU Leuven, de la VUB et de l'UAntwerp organisent actuellement des études qui s'adressent aux patients diabétiques de type 1 nouvellement diagnostiqués et qui visent à tenter d'interrompre l'évolution de la maladie. N'hésitez pas à consulter les sites d'INNODIA (www.innodia.eu) et du Registre belge du diabète (www.bdronline.be) pour de plus amples informations."