Tout juste 20 ans après l'adoption de la loi dépénalisant l'euthanasie, la Cour constitutionnelle(1) a été invitée à se prononcer sur la potentielle discrimination qui découlerait d'une application indifférenciée de la prévention d'empoisonnement. Est-ce que les personnes qui n'auraient pas respecté les conditions légales matérielles de l'euthanasie doivent être jugées sur un même pied d'égalité que les personnes qui n'auraient pas respecté les conditions légales formelles ou procédurales relatives à cet acte médical?

Une question préjudicielle

Dans le cas d'espèce, la Cour répond à une question préjudicielle posée par une juridiction pénale devant laquelle comparait un médecin qui n'a pas enregistré une euthanasie qu'il a pratiquée auprès de la Commission fédérale de contrôle et d'évaluation.

Les articles 3 et 5 de la loi du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie établissent les cas dans lesquels une euthanasie d'un patient majeur ou mineur émancipé capable et conscient pratiquée par un médecin est dépénalisée. Ainsi, l'euthanasie ne peut avoir lieu que dans des circonstances précises (conditions matérielles), et seulement si le médecin a respecté une stricte procédure (conditions formelles). Les conditions matérielles sont par exemple le fait d'être atteint d'une maladie grave et incurable, alors que les conditions formelles visent notamment l'enregistrement auprès de la Commission fédérale de contrôle et d'évaluation a posteriori des euthanasies par le médecin qui l'a pratiquée.

La loi du 28 mai 2002 a été adoptée en marge du Code pénal. Ce faisant, cette loi détermine le strict périmètre dans lequel l'euthanasie n'est pas pénalisée. Si une euthanasie dépasse, même partiellement, ce périmètre, elle est alors automatiquement pénalisée. Il ne s'agirait dès lors plus d'une "euthanasie" à proprement parler mais d'un empoisonnement, délit puni de la réclusion à perpétuité selon l'article 397 du Code pénal.

Distinction de taille

La question posée à la Cour constitutionnelle était de savoir si l'irrespect des conditions matérielles à l'euthanasie - d'apparence plus fondamentales - et l'irrespect des conditions formelles de l'euthanasie peuvent être qualifiés d'empoisonnement au même titre, et entraîner la même peine, sans violer le principe d'égalité.

Pour répondre à cette question, la Cour a mis en lumière la décision du législateur d'introduire dans un premier temps la mesure en question directement dans le Code pénal, pour finalement adopter une loi idoine. Bien plus, la Cour soulève que malgré les différents amendements visant à introduire des peines spécifiques en fonction de la condition qui n'aurait pas été respectée, aucun de ceux-ci n'ont été adoptés. Ces amendements faisaient d'ailleurs suite à l'avis du Conseil d'État qui dénonçait déjà le caractère disproportionné d'une qualification indifférenciée de tout manquement à la loi relative à l'euthanasie, ce peu importe l'importance du manquement.

Avant de se prononcer, la Cour a soulevé d'emblée que le législateur dispose d'une large marge d'appréciation concernant la détermination de la gravité d'une infraction et de l'importance de sa punition. La Cour ajoute que son travail se limite à juger du caractère manifestement disproportionné du choix du législateur sur ces questions. Après avoir fermé cette porte, la Cour en ouvre une autre en citant la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l'homme. Elle rappelle que si les États sont forts d'une large marge d'appréciation en matière d'euthanasie, celle-ci n'est pas sans borne.

Débat

La Cour constitutionnelle confirme que les conditions formelles servent à l'établissement des conditions matérielles. Elle ajoute toutefois que l'incrimination indifférenciée dont il est question ne passe pas pour autant le test de la nécessité: ce n'est pas parce qu'une condition formelle n'a pas été remplie qu'automatiquement les conditions matérielles ne sont pas respectées. En d'autres termes, le défaut d'inscription dans le dossier médical des consultations d'autres médecins au sujet de l'euthanasie à venir (condition formelle) n'implique pas nécessairement que le patient ne souffrait pas d'une maladie grave et incurable.

Selon le législateur, qui défendait la constitutionnalité de la norme devant la Cour constitutionnelle, l'incrimination indifférenciée n'est pas disproportionnée car le juge saisi de l'affaire reste libre d'appliquer des circonstances atténuantes qui permettraient que la peine soit proportionnée à l'importance de la condition qui n'a pas été respectée. La Cour rétorque toutefois que même si le juge devait appliquer des circonstances atténuantes, qui restent facultatives par ailleurs, la peine resterait disproportionnée. La Cour souligne particulièrement que l'application de circonstances atténuantes "tout au plus, aboutit à une diminution de la peine dans les limites fixées par les articles 80 à 85 du Code pénal, mais est sans incidence sur la déclaration de culpabilité et sur la qualification de l'infraction en tant que telle".

Fort de ces développements, la Cour constitutionnelle a conclu que "l'obligation positive incombant au législateur de prévoir des garanties efficaces en vue de prévenir les abus lorsqu'une euthanasie est pratiquée ne va pas jusqu'à nécessiter un système de sanctions à ce point sévère. Un tel système de sanctions a des effets disproportionnés au regard de l'objectif du législateur consistant à veiller à ce que le médecin concerné respecte strictement les conditions et procédures légales."

Enfin, la Cour constitutionnelle rappelle au législateur que s'il lui appartient de veiller aux abus liés à l'euthanasie, cette obligation doit se combiner avec celle de calibrer les peines en fonction de l'importance relative de chacune des conditions de l'euthanasie. Dans cet arrêt, la Cour amène donc le législateur à revoir sa copie en laissant des indices de ce qui pourrait fonder la proportionnalité de la mesure. La Cour indique en filigrane que la future loi devrait permettre une simple déclaration de culpabilité et une qualification spécifique pour les médecins n'ayant pas respecté une condition formelle à l'euthanasie.

(1) CC, arrêt n°134/2022 du 20 octobre 2022.

Tout juste 20 ans après l'adoption de la loi dépénalisant l'euthanasie, la Cour constitutionnelle(1) a été invitée à se prononcer sur la potentielle discrimination qui découlerait d'une application indifférenciée de la prévention d'empoisonnement. Est-ce que les personnes qui n'auraient pas respecté les conditions légales matérielles de l'euthanasie doivent être jugées sur un même pied d'égalité que les personnes qui n'auraient pas respecté les conditions légales formelles ou procédurales relatives à cet acte médical? Dans le cas d'espèce, la Cour répond à une question préjudicielle posée par une juridiction pénale devant laquelle comparait un médecin qui n'a pas enregistré une euthanasie qu'il a pratiquée auprès de la Commission fédérale de contrôle et d'évaluation. Les articles 3 et 5 de la loi du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie établissent les cas dans lesquels une euthanasie d'un patient majeur ou mineur émancipé capable et conscient pratiquée par un médecin est dépénalisée. Ainsi, l'euthanasie ne peut avoir lieu que dans des circonstances précises (conditions matérielles), et seulement si le médecin a respecté une stricte procédure (conditions formelles). Les conditions matérielles sont par exemple le fait d'être atteint d'une maladie grave et incurable, alors que les conditions formelles visent notamment l'enregistrement auprès de la Commission fédérale de contrôle et d'évaluation a posteriori des euthanasies par le médecin qui l'a pratiquée. La loi du 28 mai 2002 a été adoptée en marge du Code pénal. Ce faisant, cette loi détermine le strict périmètre dans lequel l'euthanasie n'est pas pénalisée. Si une euthanasie dépasse, même partiellement, ce périmètre, elle est alors automatiquement pénalisée. Il ne s'agirait dès lors plus d'une "euthanasie" à proprement parler mais d'un empoisonnement, délit puni de la réclusion à perpétuité selon l'article 397 du Code pénal. La question posée à la Cour constitutionnelle était de savoir si l'irrespect des conditions matérielles à l'euthanasie - d'apparence plus fondamentales - et l'irrespect des conditions formelles de l'euthanasie peuvent être qualifiés d'empoisonnement au même titre, et entraîner la même peine, sans violer le principe d'égalité. Pour répondre à cette question, la Cour a mis en lumière la décision du législateur d'introduire dans un premier temps la mesure en question directement dans le Code pénal, pour finalement adopter une loi idoine. Bien plus, la Cour soulève que malgré les différents amendements visant à introduire des peines spécifiques en fonction de la condition qui n'aurait pas été respectée, aucun de ceux-ci n'ont été adoptés. Ces amendements faisaient d'ailleurs suite à l'avis du Conseil d'État qui dénonçait déjà le caractère disproportionné d'une qualification indifférenciée de tout manquement à la loi relative à l'euthanasie, ce peu importe l'importance du manquement. Avant de se prononcer, la Cour a soulevé d'emblée que le législateur dispose d'une large marge d'appréciation concernant la détermination de la gravité d'une infraction et de l'importance de sa punition. La Cour ajoute que son travail se limite à juger du caractère manifestement disproportionné du choix du législateur sur ces questions. Après avoir fermé cette porte, la Cour en ouvre une autre en citant la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l'homme. Elle rappelle que si les États sont forts d'une large marge d'appréciation en matière d'euthanasie, celle-ci n'est pas sans borne. La Cour constitutionnelle confirme que les conditions formelles servent à l'établissement des conditions matérielles. Elle ajoute toutefois que l'incrimination indifférenciée dont il est question ne passe pas pour autant le test de la nécessité: ce n'est pas parce qu'une condition formelle n'a pas été remplie qu'automatiquement les conditions matérielles ne sont pas respectées. En d'autres termes, le défaut d'inscription dans le dossier médical des consultations d'autres médecins au sujet de l'euthanasie à venir (condition formelle) n'implique pas nécessairement que le patient ne souffrait pas d'une maladie grave et incurable. Selon le législateur, qui défendait la constitutionnalité de la norme devant la Cour constitutionnelle, l'incrimination indifférenciée n'est pas disproportionnée car le juge saisi de l'affaire reste libre d'appliquer des circonstances atténuantes qui permettraient que la peine soit proportionnée à l'importance de la condition qui n'a pas été respectée. La Cour rétorque toutefois que même si le juge devait appliquer des circonstances atténuantes, qui restent facultatives par ailleurs, la peine resterait disproportionnée. La Cour souligne particulièrement que l'application de circonstances atténuantes "tout au plus, aboutit à une diminution de la peine dans les limites fixées par les articles 80 à 85 du Code pénal, mais est sans incidence sur la déclaration de culpabilité et sur la qualification de l'infraction en tant que telle".Fort de ces développements, la Cour constitutionnelle a conclu que "l'obligation positive incombant au législateur de prévoir des garanties efficaces en vue de prévenir les abus lorsqu'une euthanasie est pratiquée ne va pas jusqu'à nécessiter un système de sanctions à ce point sévère. Un tel système de sanctions a des effets disproportionnés au regard de l'objectif du législateur consistant à veiller à ce que le médecin concerné respecte strictement les conditions et procédures légales." Enfin, la Cour constitutionnelle rappelle au législateur que s'il lui appartient de veiller aux abus liés à l'euthanasie, cette obligation doit se combiner avec celle de calibrer les peines en fonction de l'importance relative de chacune des conditions de l'euthanasie. Dans cet arrêt, la Cour amène donc le législateur à revoir sa copie en laissant des indices de ce qui pourrait fonder la proportionnalité de la mesure. La Cour indique en filigrane que la future loi devrait permettre une simple déclaration de culpabilité et une qualification spécifique pour les médecins n'ayant pas respecté une condition formelle à l'euthanasie.