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Le médecin est par excellence un travailleur indépendant qui se veut couteau suisse. Et qui doit donc éviter de se laisser déborder. "Plus on est multitâche, plus la question de la gestion du temps va poser des défis", explique Caroline Depuydt. "Le travailleur indépendant est par essence multitâche car il doit en même temps rencontrer des clients - ou des patients -, faire de la comptabilité, du travail administratif, répondre à ses mails et prendre du temps pour rencontrer ses pairs. Il doit éventuellement travailler et gérer des équipes, les ressources humaines, le secrétariat. Avec cette multiplicité des tâches, la question de la gestion du temps devient assez rapidement cornélienne."Et rapidement, le profil du médecin apparaît. "Quel'on soit un généraliste, un spécialiste dans ou en-dehors de l'hôpital, on doit manier plusieurs notions. Être médecin, ce n'est pas qu'être en face de son patient. Il y a la rédaction de certificats, d'ordonnances, la gestion d'urgences, les contacts avec la famille. Et puis il y a le volet administratif lié aux contacts avec les mutuelles, l'Inami, la Sécurité sociale. Il y a la comptabilité, avec les tiers payants. Il y a les contacts éventuellement avec le secrétariat médical, d'autres membres de l'équipe, les polycliniques. Sans oublier la formation, l'accréditation, la supervision. On comprend vite que le médecin peut être rapidement débordé s'il ne fait pas attention à sa gestion du temps."Le premier signe d'une difficulté dans la gestion du temps est le sentiment d'être toujours débordé. "Cela ne vient pas nécessairement de soi. Mais la personne se rend compte qu'elle n'a plus le temps de rien, qu'elle est tout le temps pressée, qu'elle a toujours un temps de retard, que ses journées se rallongent. C'est un signe qu'il y a quelque chose qui coince."Ce sentiment d'être débordé a plusieurs conséquences. D'abord, évidemment, on prend du retard. On rallonge ses journées. Et, inévitablement, la fatigue se fait peu à peu sentir. Ensuite, l'efficacité au travail diminue. "Une mauvaise gestion de son temps peut augmenter la procrastination: la personne remet les choses à faire à plus tard. Et, c'est un cercle vicieux, car le sentiment d'être débordé ne fait qu'augmenter", ajoute le Dr Depuydt. In fine, c'est l'accomplissement personnel qui en prend un coup. "Dans ce cas, on se sent comme le petit lapin dans 'Alice aux pays des merveilles' avec sa montre qui prend toute la place et qui crie 'En retard, en retard, je suis en retard! '. Finalement, on ne profite plus jamais de l'instant présent car on prend de plus en plus de retard. On est dans un stress permanent."Ce stress permanent se marque physiologiquement. L'activation du système nerveux orthosympathique permet, par la sécrétion de cortisol et d'adrénaline, de faire face. "Cet état de stress, avec des tachycardies et des palpitations, permet d'activer la cognition et d'être plus rapide. Mais nous ne sommes pas des robots. L'organisme humain a besoin de se reposer. Il a besoin de moment où le système nerveux orthosympathique se met en veille au profit du système nerveux parasympathique, qui favorise le repos, la régénération et la récupération. Tant physiologiquement que somatiquement et psychiquement, nous avons besoin de ces temps de repos."Une mauvaise gestion du temps se marque donc par un risque réel d'épuisement, voire de burn out. "La première phase est la phase d'alarme: vous avez une grosse semaine, vous y allez à fond. Mais suite à cette grosse semaine, d'autres grosses semaines s'enchaînent. Finalement, les semaines s'accumulent, une phase de résistance se met en place et c'est le 'burn in': vous résistez et déployeztoutes vos réserves. Vient enfin la phase d'épuisement quand vous avez tout donné, et c'est le burn out."Le risque de burn out est d'autant plus élevé que la fatigue s'accompagne d'une diminution du sens de l'accomplissement et d'une déconnection progressive de ses valeurs. "Avoir moins de temps pour ses patients peut nous rendre davantage agressif, nous donner l'impression de mal faire notre travail, induire de la culpabilité. On en devient peu à peu cynique car on ne parvient plus à mettre suffisamment de distance. Le burn out est la conjonction de trois facteurs: l'épuisement physique et psychique, le détachement et le cynisme pour s'en protéger et la perte d'accomplissement, la sensation d'échec", détaille la psychiatre. Le Dr Depuydt propose d'abord de se poser quelques questions essentielles. "Qu'est-ce qui se passe? Comment se fait-il que je me retrouve débordé? Suis-je trop perfectionniste? Est-ce que c'est parce que je ne veux pas dire non? Apprendre à dire non, pour un médecin, est un compétence absolument nécessaire et on ne nous l'apprend pas", regrette la psychiatre. Apprendre à fixer des limites et tenir un agenda sont le b.a.-ba d'une bonne gestion du temps. "Tenirun agenda, cela veut dire laisser des plages libres pour faire face à d'éventuelles urgences, ou pour le repos ou le sport. Parfois, c'est compliqué car il y a un patient urgent. Mais c'est un mauvais calcul. Il faut prendre du temps pour soi. C'est important."Il faut ensuite établir ses priorités. Le pensée de Dwight Eisenhower, 34e président des États-Unis, peut aider. Selon lui, "ce qui est important est rarement urgent et ce qui est urgent, rarement important." De sa pensée est née la matrice d'Eisenhower, un outil qui permet de prioriser ses tâches et de n'accorder de l'importance qu'à ce qui est réellement important. Cette matrice répartit les priorités en quatre catégories: les tâches urgentes et importantes, les tâches non urgentes et importantes, les tâches urgentes et non importantes et les tâches non urgentes et non importantes. "Ce qui est urgent et important, il faut le faire. Ce qui est urgent mais pas important, on peut le déléguer. Ce qui est important, mais non urgent, on peut le planifier. Enfin, ce qui n'est ni urgent, ni important, on peut le mettre de côté", conseille Caroline Depuydt. Les priorités et la gestion du temps changent en fonction de l'environnement dans lequel on travaille. Il est différent de travailler en hôpital ou en équipe pluridisciplinaire que seul. "Il faut prendre en compte la notion de système: on est soit totalement maître de la gestion de son temps, soit on dépend d'une organisation ou d'un système. Cette deuxième tendance est de plus en plus représentative du travail du médecin qui oeuvre de moins en moins seul", avance le Dr Depuydt. Le système duquel on dépend peut soit faciliter la gestion du temps, soit la rendre plus complexe. "Il faut à la fois s'adapter au système, et mettre des limites. Si l'organisation ne convient pas, il faut pouvoir le dire. Il faut pouvoir trouver son équilibre."Le temps partiel pourrait être une solution, mais il dépend de la situation financière de chaque individu. "C'est effectivement une solution possible, mais qui n'est pas toujours tenable financièrement", confirme Caroline Depuydt. "Tout dépend de l'autonomie et de l'indépendance financière de chacun. De plus en plus de médecins choisissent cependant de gagner moins pour avoir davantage de temps pour eux, pour leur famille ou leur couple."