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Jusque dans les années 60, les cartes et autres planisphères présentaient peu d'intérêt aux yeux des artistes, car dans le passé elles étaient souvent illustrées (à voir celle de Mercator montrée dans la salle de médiation du musée) de monstres marins, de silhouettes d'hommes, de caravelles, et autres poissons. Bref, elles relevaient d'abord de l'illustration académique, pour ensuite devenir de plus en plus précises, sérieuses et d'une aridité toute scientifique. C'est alors seulement que le post-modernisme s'en est emparé, et surtout l'art conceptuel. Un art conceptuel à la portée de tous, car qui ne sait lire une carte et ne tente en tout cas de la déchiffrer ? Quoi d'étonnant dès lors que trouver dans cette expo un quadriptyque d'aspects, illustrés par une trentaine d'artistes et d'oeuvres issus de vingt nationalités, et parfois mélangés : à savoir, la poésie la politique, l'humour et la beauté. Dans le grand Salon d'entrée de la villa Empain, c'est de beauté qu'il est question, face au mobile géant des continents sens dessus dessous et transparents imaginés par la Palestinienne Mona Hatoum. Laquelle est déjà plus politique dans sa vision d'une carte du monde apparue dans un tapis mangé en partie par les mythes et les... mites. Politique aussi celle de Mircea Cantor que cette même carte de monde, réalisée avec du feu... signe que le monde brûle. Öyvind Fahlström à l'étage dénonce lui l'impérialisme économique et militaire américain dans une carte saturée de textes et de dessins (Sketch For The World Map). Un tapis afghan de 79 de Boetti, un de plus ! , montrant la carte du monde balisée des drapeaux nationaux, permet d'appréhender l'évolution politique du monde depuis la chute du mur. Le Mexicain Cruzvillegas pose une plaque de gyproc sur lequel il dessine une carte du monde sans frontières, réalisée au moyen de feuilles de cuivre récoltées sur des chantiers. Une carte à l'envers pour évoquer un monde qui marche sur la tête, épuisant ses ressources et négligeant une partie de l'humanité, laissée dans la précarité. Chéri Samba renverse également la carte du monde, dans une peinture dans laquelle il figure et où il représente à l'échelle la grandeur réelle des différents continents, image débarrassée de cet européocentrisme millénaire. Andrialavidrazana, artiste malgache, démontre que l'on peut mélanger poésie et politique : c'est le cas avec deux oeuvres qui évoquent au travers d'une combinaison harmonieuse de billets de banques, et de vieux albums l'histoire de la colonisation. L'Espagnole Christine Lucas fait de même dans une vidéo de 41 minutes retraçant l'occupation progressive du monde par les hommes, les pouvoirs respectifs des différentes " peuplades " étant représentés par une couleur, sur une période courant de -500 à 2007. Autre film poétique et politique, celui de Rivane Neuenschwander qui avec Contingent, montre les cinq continents faits de miel, dévorés peu à peu par une colonie de fourmis : référence ici encore à l'épuisement des ressources naturelles et à la montée des eaux. Marcel Broodthaers est le pape du " mappisme " (le mapape maudit ? ) qui avec La carte du monde poétique et un seul changement de syllabe, confère à un simple panneau imagé le statut d'oeuvre d'art. La poésie peut être sonore comme celle de Bernard Heidsieck dans son installation Vaduz. Une poésie inventive chez Philippe Favier qui, recouvrant de vieilles cartes marines, fait apparaître des îles " O " non loin des Baléares. Un autre Français David Renaud crée des cartes qui paraissent réelles ( l'île aux Cochons, l'île Amsterdam) tant leur découpe, leur topographie, bref leur représentation paraît d'une rigueur scientifique et académique sans reproche. Wim Delvoye ne fait pas autre chose dans la création, spécialement réalisée pour l'expo, d'une carte imaginaire qui rappelle par son format la tapisserie de Bayeux. Cet " atlas ", carte géographique, décrit villes, villages et régions au noms imaginaires : avec son humour habituel, l'artiste traite de la confusion de plus en plus grande dans notre société entre réel et virtuel. Après les fake news, la fake map. Autre Belge à manier l'humour, Éric Duyckaerts ; grand détourneur de vérités certifiées, qui, devant un mur, fait comme s'il décrivait une carte, son discours exact tendant très vite à déraper : une sorte de version vidéo de l'oeuvre de Delvoye. Rudi Mantofani se veut lui simplement ludique en présentant une mappemonde cubique tout comme l'Indienne Shilpa Gupta qui a demandé à 100 personnes de dessiner de mémoire une carte de l'Inde. Avec Tectonic Plate, la Marocaine Yto Barrada présente une carte du monde synthétique dont les continents coulissent. La beauté enfin et un peu de politique se reflètent dans la photographie d'Andreas Gurky, laquelle montre des îles artificielles de Dubaï, réservées aux riches, et qui forment un planisphère. L'art conceptuel d'Olafur Eliasson résulte en la présentation d'une ancienne carte maritime qui semble émerger des eaux turquoises de la mer (voir catalogue). Quant aux mappemondes imaginaires, elles renvoient à la beauté et l'imagination de celles de la Renaissance.