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Un an après le début de la pandémie de Covid-19, on en sait beaucoup plus sur les pertes de l'odorat et/ou du goût qui font partie des symptômes de la maladie. Dans les formes légères d'infection, la prévalence des troubles de l'odorat s'élève jusqu'à 85,9% des cas. En général, les patients récupèrent l'odorat et/ou le goût dans les deux mois qui suivent l'infection.(1) Cependant, pour une partie des patients (de 15 à 25%), la récupération n'est pas totale et ne permet pas de retrouver une qualité de vie satisfaisante. Dans leur cas, un accompagnement approprié est vivement conseillé. " L'odorat est une modalité sensorielle qui, par rapport aux sens dits 'majeurs' tels que la vision et l'audition, a fait l'objet d'un intérêt scientifique assez tardif," souligne le Dr Christine Herinckx, spécialisée en ORL depuis 1994, allergologue, tabacologue et experte en thérapie olfactive. "Considéré à tort comme un sens relativement peu important, son rôle est souvent inconscient et minimisé. Cependant les conséquences de l'anosmie sont multiples et elles peuvent réellement gâcher la vie." Bien souvent confrontés pour la première fois à ce problème auquel ils n'ont peut-être pas été sensibilisés, de nombreux médecins, dans un désir louable d'y répondre, proposent dans l'urgence des méthodes d'auto-rééducation qui sont loin d'être suffisantes pour le Dr Herinckx, et même potentiellement nocives. " Elles reposent en effet sur des huiles essentielles peu diversifiées et qui risquent d'être utilisées sans discrimination. Or, certaines de ces huiles peuvent être toxiques et donner lieu à des problèmes de vertiges, de somnolence et d'allergies lorsqu'elles sont inhalées et qu'elles viennent agresser la muqueuse olfactive." Voilà pourquoi, depuis juin 2020, quand des patients ont commencé à la consulter au centre de médecine spécialisée de La Hulpe pour des pertes d'odorat, le Dr Herinckx, qui exerce également des activités opératoires à l'hôpital d'Ixelles, s'est tournée vers l'OSTMR (Olfactory Stimulation Therapy and Memory Reconstruction), une technique employée depuis de nombreuses années pour la prise en charge de perte d'odorat de diverses origines: post virus influenzae, chimiothérapie, néoplasie, exposition à des toxiques, et post-trauma. (2)" Utilisée au départ en Biélorussie dans un service de soins palliatifs pédiatriques, cette méthode a été créée par la neuropsychiatre et biochimiste Olga Alexandre, en partenariat avec des parfumeurs parisiens. L'idée était d'offrir à chacun des enfants, en fonction de son histoire clinique, une odeur que l'on déposait sur son doudou et son oreiller.(3) On a constaté que cela calmait leurs angoisses, diminuait leur stress, favorisait l'acceptation de leurs traitements, relevait leur seuil de douleur, stimulait leur appétit et améliorait leur sommeil." " Scientifiquement confirmé par une étude menée de 2016 à 2019 sur 135 patients anosmiques, le protocole original de récupération de l'odorat date de 2014. Rigoureux, il combine rééducation des troubles quantitatifs - anosmie, hyposmie et hyperosmie -, et accompagnement des troubles qualitatifs - parosmie (*) et phantosmie (**)." Après avoir suivi il y a trois ans d'ici la formation en OSTMR à l'école supérieure du Parfum de Paris où elle donne désormais un cours, le Dr Herinckx l'a adaptée afin de s'en servir dans le cadre de ses consultations d'ORL pour des patients qui souhaitent arrêter de fumer, ou qui ont des acouphènes, et désormais pour la prise en charge des pertes olfacto-gustatives post infection par le Sars-CoV-2. Dans le cadre de la prise en charge d'un patient post-Covid, lors de la première consultation, après l'examen d'olfactométrie, le patient répond à un questionnaire sur sa qualité de vie et ses préférences olfactives afin d'établir un bilan complet de son état. Avant la séance pratique, afin d'éviter toute perturbation olfactive, le patient est invité, dans les heures qui précèdent, à ne pas fumer, ne pas se parfumer, ne pas se brosser les dents ou mâcher un chewing-gum, ne pas boire du café, un jus de fruit ou du vin, ne pas manger du chocolat, des agrumes ou des fromages. Il reçoit aussi des exercices à effectuer pour optimiser le passage de l'air vers la muqueuse olfactive. Le protocole proprement dit est, lui, composé de quatre phases. " Au départ, je propose un odorant en lien avec les goûts du patient, ses passions, son métier, et ses souvenirs olfactifs. Je dispose d'une palette de 80 stimuli olfactifs dilués à différentes concentrations et répondant aux normes de restrictions chimiques et toxicologiques en vigueur." " L'olfaction est guidée pour l'amener en état d'illusion olfactive. J'ai notamment reçu une vétérinaire qui ne sentait plus les odeurs de la ferme. Je lui ai proposé une préparation qui rappelle les animaux et elle a adoré! Pour une personne déprimée qui me parlait des balades en forêt de pins avec son père durant son enfance, j'ai préparé un odorant qui évoque l'odeur des pinèdes." " En phase deux, l'odeur est décrite de manière détaillée, ce qui aide le patient à retenir et énoncer lui-même les différentes facettes de l'odeur travaillée", poursuit le Dr Herinckx. " Dans l'exemple de l'odeur de pin, je demande au patient d'imaginer la forêt dans laquelle il marchait petit et je détaille l'odeur en lui disant qu'elle est terpénique, mentholée, résinoïde, verte, chaleureuse, pour qu'il s'en imprègne de plus en plus, que son cerveau la retrouve et que remontent des souvenirs de son père, de sa maison de campagne, etc." " En cas de parosmie ou de phantosmie, quand l'épithélium est détruit et que les cellules trient mal les odeurs, nous passons par une troisième phase, celle de la gestion de telles perturbations, en établissant un score avant et après l'exercice. A une personne qui sent de mauvaises odeurs alors qu'elle a des roses sous le nez, je lui demande d'imaginer ces odeurs-là dans une bouteille et de verser peu à peu un parfum de rose dans la bouteille afin que l'odeur de rose finisse par prendre le dessus sur la perception anormale." " La quatrième phase, celle de l'association avec les représentations visuelles, augmente encore la perception des odeurs. Si la personne me dit qu'elle adorait les vacances en Espagne et l'odeur des oranges, outre l'odorant, je mets devant elle une photo d'orange ou une petite feuille de couleur orange." " Aux personnes souffrant d'une altération du goût, je propose aussi des solutions aromatiques pour le rinçage buccal. Par exemple, pour ramener la perception de la fraise, je prépare une solution avec de la fraise diluée à 10 ou 20% dans l'eau et je demande de faire un gargarisme avec cette solution dont la teneur en fraise est adaptée en fonction de l'évolution." " Enfin, pour optimiser encore la rééducation, l'impact psychologique des matières odorantes est combiné à leurs propriétés thérapeutiques. Par exemple, les problèmes de sécheresse buccale, liés aux troubles de dysgueusie, sont approchés en sélectionnant des stimuli olfactifs reconnus pour leur capacité à augmenter la salivation." En conclusion, cette méthode de prise en charge des troubles de l'odorat post-Sars-CoV-2, qui peut s'effectuer aussi bien en présentiel qu'à distance, est une véritable démarche d'accompagnement personnalisé et adaptable, un moment de collaboration privilégié au cours duquel le spécialiste OSTMR sélectionne des stimuli en s'appuyant sur les besoins et capacités de chaque patient. Des stimuli que le patient est invité à travailler chez lui entre deux séances. Non sans succès si l'on en croit le Dr Herinckx. " La méthode permet d'améliorer la qualité de vie des patients dès la première séance," conclut-elle. "J'ai des retours très positifs. Ils se sentent aidés, encouragés, motivés, et, dans l'ensemble, ils sont très contents. L'un d'eux m'a même dit que je lui avais sauvé la vie. C'est dire l'importance de l'odorat..."