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Une nuit de Noël, celle de l'anniversaire de Pierre Soulages, centenaire depuis la dernière Nativité, Christian Bobin prend le train et fend le néant pour rejoindre depuis Le Creusot, son ami, le peintre du noir d'un tel brillant qu'on peut croire y voir des étoiles. Et tandis que le rail zèbre l'obscurité comme la brosse du peintre dans la couleur nuit, le poète, écrivain, moraliste, avec une ferveur chrétienne adresse à son vieil ami une sorte de missive, de courrier intime, universel à l'image des lettres des apôtres à leurs communautés. Épris de blanc et de neige de l'écriture face à un chevalier, noir de la peinture, ce croyant voit dans l'opacité de la toile de Soulages " l'éclat de l'éternel ". Celui qui délaisse sa forêt bourguignonne pour les bords de la méditerranée quitte la réalité pour un outremonde : l'outrenoir de l'artiste. S'enfonçant dans le noir du soir, puis dans la nuit anthracite et le silence opaque, Bobin ne voit pas Soulages, l'artiste célébré, mais, sous le noir, le... Pierre. Texte qui se veut vibratoire comme la peinture qu'elle évoque, ce songe de nuit d'hiver alterne le brillant et le moins bon, la grandiloquence et l'évidence, comme dans toute oeuvre picturale. à Sète, Noire d' "encre ", Soulages en sa demeure domine les tombes du cimetière marin, pourfendant le néant noir qu'il illumine... Et pour Bobin, qui croit en Dieu, Pierre est son prophète.