...

"R egardez, il nous suit des yeux, mais sa tête ne bouge pas. C'est le signe le plus caractéristique des bébés atteints. Les autres bébés bougent la tête avec le regard, le bébé atteint d'amyotrophie spinale pas. Pour autant, il ne souffre d'aucun retard mental. Ils sont tout à fait attentifs, peut-être même davantage que les autres enfants." Ce matin-là, dans une salle de soins du CHR de Liège, qui abrite le centre de dépistage de référence de la Communauté française, le Pr Laurent Servais accueille, avec une infinie tendresse et précaution, le petit Jacques et ses deux parents. Ils sont venus il y a une semaine de France, où aucun dépistage n'existe, pour avoir une réponse à leur terrible question: leur enfant est-il atteint de la maladie? La réponse est positive. Et leur enfant est aussitôt hospitalisé. Les parents, qui ne roulent pas sur l'or, louent un camping-car pour loger sur place et assister leur bébé. Après quelques examens complémentaires, le petit Jacques reçoit une piqûre d'un traitement très efficace et...extrêmement cher. Heureusement, cette fois, le professeur Laurent Servais a pu intégrer le traitement à un protocole d'essais complémentaires et la dose est offerte par la firme. C'est le résultat d'un projet pilote réussi lancé par le professeur et son équipe liégeoise, aussi associée au laboratoire de pédiatrie lié à l'Huderf. Ils ont non seulement mis au point le test de dépistage, mais ont réussi à contenir son prix à un niveau si raisonnable qu'ils ont pu convaincre la Communauté de financer un projet pilote qui a débouché ce 1er mars 2021 sur une intégration dans le programme officiel de dépistage néonatal en FWB. Cela constitue une première européenne, après Taiwan et les USA. Et, une fois n'est pas coutume, bien avant le Nord du pays. Depuis mars 2018, déjà 125.000 bébés ont pu bénéficier de ce programme pilote en FWB et la maladie a pu être détectée chez neuf d'entre eux. Ces bébés ont alors pu être soignés très tôt, et pour la plupart avant même l'apparition de la maladie. Un tel test s'avère donc efficace pour éviter un drame pour les 12 enfants qui naissent tous les ans en Belgique avec cette maladie dévastatrice. L'amyotrophie spinale se déclare le plus souvent entre zéro et six mois, provoque une faiblesse des muscles et entraîne la mort avant deux ans. Depuis 2016, un traitement existe, et deux autres sont depuis disponibles. S'ils ne permettent pas de guérir les enfants déjà malades, ils arrêtent la progression de la maladie. "Nous nous sommes rendu compte que plus le traitement était donné tôt, plus il était efficace", dit le professeur Laurent Servais, neuropédiatre au CHR de la Citadelle /CHU de Liège, responsable de l'étude. "Avec l'équipe du Dr Boemer au centre de dépistage, nous avons alors trouvé le moyen de détecter le plus tôt possible cette maladie." C'est ainsi que le projet a vu le jour, financé par la générosité de parents et de citoyens, l'ABMM (Association Belge contre les Maladies neuro-Musculaires ASBL), l'ASBL Enola, trois firmes pharmaceutiques (Avexis, Biogen et Roche) et une bourse octroyée de la Fédération Wallonie-Bruxelles sous la précédente législature. "Depuis le 5 mars 2018, d'abord dans la région de Liège puis dans toute la FWB, tous les nouveau-nés bénéficient de ce test supplémentaire de façon systématique. Il s'effectue sur le sang prélevé à deux jours de vie à la maternité. Ce prélèvement sanguin est déjà effectué depuis plus de 50 ans en Belgique pour dépister un ensemble de maladies - le nouveau test en ajoute juste une, sans piqures supplémentaires", explique le professeur Servais, dont l'excellence est aujourd'hui reconnue par une charge de professeur à l'Université d'Oxford. "125.000 naissances plus tard, neuf enfants atteints par la maladie ont été détectés grâce à ce test. En leur prodiguant une prise en charge le plus précocement possible, ils sont aujourd'hui normaux ou ne présentent qu'un léger retard moteur, ce qui se traduit également par de substantielles économies pour les soins de santé. Sans dépistage, ils seraient déjà décédés ou lourdement atteints."A l'initiative de la ministre de l'Enfance et de la Santé Bénédicte Linard, l'amyotrophie spinale et quatre nouvelles maladies rares sont donc inclues dans le dépistage officiel depuis le 1er mars. "Il reste de nombreuses maladies de l'enfant, mortelles mais traitables, que nous pourrions aujourd'hui prévenir ou guérir si nous les dépistions. L'amyotrophie spinale est un exemple parfait à suivre pour de nombreuses autres maladies sur lesquelles nous travaillons aujourd'hui, et que nous espérons également voir disparaître de notre région grâce au dépistage néonatal", souligne le Pr Servais.