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Que disent les données probantes? Devrions-nous utiliser ce type de traitement d'une façon plus sélective? La lutte contre la douleur (chronique) n'est certes pas une sinécure et doit, à côté des options pharmacologiques, accorder une importance centrale à une approche multidisciplinaire intégrée. Nous nous arrêterons plus particulièrement ici sur les lombalgies, l'une des plaintes douloureuses les plus courantes. La douleur radiculaire lombo-sacrée aiguë - sans doute mieux connue sous le nom de sciatique - se caractérise par une irradiation unilatérale dans l'un des membres inférieurs. Elle découle d'une inflammation de la racine spinale et s'accompagne d'un ou plusieurs problèmes neurologique (perte de force ou de réflexes, sensations altérées). Elle est le plus souvent déclenchée par une hernie discale ou, chez les plus de 60 ans, par une sténose du canal lombaire. Quelle est toutefois la cause exacte de la douleur? "Il ne suffit pas toujours que le nerf soit coincé ou soumis à une pression mécanique", explique le Dr Crombez. "Bien des patients vivent avec une protrusion conséquente sans en ressentir la moindre gêne, tandis que d'autres se plaignent de graves douleurs irradiantes alors qu'il n'y a pratiquement rien à voir à l'imagerie." L'idée est que le tissu qui s'échappe du noyau du disque intervertébral provoquerait une réaction auto-immune et que l'activation de cellules pro-inflammatoires et la libération de médiateurs inflammatoires (TNF-a, interleukines et histamine) entraînerait une inflammation et un gonflement du nerf. C'est sur ce raisonnement que repose l'administration épidurale de corticostéroïdes anti-inflammatoires. "Les douleurs surviennent sous l'effet conjoint d'une compression, d'une réaction auto-immune et d'une inflammation", résume l'expert. Environ neuf millions d'infiltrations épidurales de stéroïdes (IES) sont réalisées chaque année rien qu'aux États-Unis. Pourtant, même si ce traitement existe depuis plus de 50 ans et continue à progresser partout dans le monde, son utilisation reste controversée... et off-label, puisqu'il n'est jusqu'ici approuvé ni par la FDA ni par l'EMA. Une méta-analyse systématique à grande échelle(2) s'est intéressée à l'efficacité des IES pour améliorer la douleur et l'invalidité associées à la sciatique. Elle livre tout au plus des preuves de qualité modérée de leur supériorité sur le placebo pour alléger les douleurs au niveau de la jambe et limiter l'invalidité - et encore, uniquement sur le court terme (moins de trois mois). L'impact sur le score douloureux aussi est assez limité. L'effet des infiltrations est toutefois plus marqué dans certaines sous-populations. "Les sciatiques provoquées par une hernie discale réagissent mieux à cette approche que celles qui découlent d'une sténose du canal lombaire", clarifie le Dr Crombez. Les résultats les moins favorables sont obtenus lorsque la sciatique est la conséquence d'un trouble discogénique ou dégénératif, sans problème de nerf coincé manifeste. Par ailleurs, il n'existe aucune preuve que les IES auraient le moindre effet sur les lombalgies et à plus forte raison sur les lombalgies chroniques. "Et ce n'est pas tout à fait une surprise", commente l'algologue. Les lombalgies recouvrent un spectre de différents types de douleurs qui se recoupent entre elles - nociceptives, mécaniques, neuropathiques, souvent doublées d'une douleur nociplastique due à une sensibilisation centrale. "Il est vraiment question d'une combinaison de facteurs, où l'usure et la mise sous pression de diverses structures anatomiques interagissent avec des facteurs psychologiques et sociaux", explique le Dr Crombez. "Les approches interventionnelles ciblent une cause possible, mais au vu de la complexité des lombalgies, une approche multimodale semble plus intéressante." Il importe également de retenir que les douleurs lombo-sacrées consécutives à une hernie connaissent spontanément une évolution favorable dans 70% des cas. En première ligne, on appliquera donc une stratégie conservatrice reposant sur les antalgiques, le repos et la kinésithérapie. "Et au bout du compte, l'élément déterminant pourrait bien être le facteur temps. Comme disent les anglophones, 'The best treatment for lumbar disk is a long waiting list' (une longue liste d'attente est le meilleur traitement pour les problèmes de disque lombaire). Il faudra surmonter une période d'au moins douze semaines par un accompagnement adéquat et une antalgie suffisante." Au cours de cette phase, une IES pourra être envisagée lorsque les douleurs sont sévères et que les mesures conservatrices ne suffisent pas à les soulager. Dans certains cas, cette approche pourrait même permettre d'éviter une opération, quoiqu'il n'existe pas de consensus sur ce point. La sciatique due à une sténose du canal lombaire est par contre plutôt une maladie progressive, qui évoluera chez un nombre considérable de patients vers une radiculopathie chronique. Si une injection peut les soulager ne fût-ce qu'un peu, cela ne vaut-il pas la peine d'essayer? "Un certain nombre d'éléments devraient nous amener à modérer notre ardeur à prescrire ou administrer des infiltrations épidurales", estime le Dr Crombez. "Les IES ont un effet dose-dépendant sur la densité osseuse et chaque injection accroît de 30% le risque de fracture. Autant dire que la prudence est de mise chez les patients qui présentent déjà un risque accru de fracture ostéoporotique(3). Chez les diabétiques, les IES engendrent en outre une augmentation imprévisible de la glycémie durant quelques jours." On observe parfois aussi des complications mineures telles qu'une aggravation transitoire de la douleur ou une ponction durale accompagnée de céphalées post-ponction et d'une réaction vasovagale. On ne peut pas non plus exclure le risque de complications beaucoup plus graves, comme une para- ou tétraplégie, un AVC, une méningite, etc. "Elles sont tellement rares que nous n'avons pas de chiffres d'incidence exacts, mais elles existent", souligne le Dr Crombez. "Une IES devra toujours être réalisée sous scopie, avec contrôle au moyen d'un produit de contraste, et être administrée par des spécialistes spécialement formés." C'est dans les douleurs radiculaires irradiantes sévères, aiguës ou subaiguës, que les IES sont le plus indiquées. "Une douleur dans la jambe avec une hernie confirmée par l'imagerie constitue une indication à ce traitement, mais pas une lombalgie (chronique)", conclut-il.