...

Qui dit mieux? Aux États-Unis, l'inflation (calculée sur un an) a grimpé à 8,5% en mars, au plus haut depuis un peu plus de 40 ans, soit plus précisément décembre 1981. Qui dit mieux? De nombreux pays! Et il ne s'agit pas du Venezuela ou de la Turquie, mais de membres de l'Union européenne. En février déjà, la Belgique pointait à 9,5% (contre une moyenne de 5,9% dans la zone euro), tandis que la Lituanie s'envolait à 14%. Cette inflation que l'on voyait, en automne dernier, progressivement faiblir cette année s'amplifie au contraire de mois en mois. Rien d'étonnant quand, suite à l'invasion de l'Ukraine et aux sanctions prises contre la Russie, le pétrole s'inscrit en hausse de 40% sur le premier trimestre et le gaz de deux tiers, tandis que le blé s'est apprécié de 35% et que nombre de métaux se sont envolés. Comment l'investisseur peut-il se protéger de cette inflation, c'est-à-dire conserver le pouvoir d'achat de son patrimoine? Pour formuler les choses autrement: quels sont les actifs dont la valeur nominale devrait progresser plus ou moins parallèlement à l'inflation? Si les gestionnaires professionnels conseillent clairement les actions au détriment des obligations, certains pointent également les actifs réels, soit en particulier l'or et l'immobilier. Ce dernier peut incontestablement se prévaloir d'une solide réputation de rempart contre l'inflation. Mais pourquoi? Et cela vaut-il sans réserve? Yann Tampereau est économiste en chef de la Caisse des Dépôts et Consignations. Cette institution vénérable (fondée en 1816) est en quelque sorte la banque de l'État français, chargée de missions d'intérêt général et disposant, pour les appuyer, d'un service d'études dirigé par l'intéressé. Ce dernier vient de consacrer un article à l'influence de l'inflation sur l'immobilier. Il met d'emblée en évidence un lien très fort, qui est la hausse du coût de construction des logements neufs. Quand le neuf devient plus cher, certains candidats à l'acquisition se tournent plus volontiers vers l'ancien, dont le prix finit logiquement par suivre. Il a été observé que 1% de hausse des coûts de construction entraîne une hausse de 1% de l'ensemble des prix immobiliers, et ceci endéans deux ans en tout cas. Il y a plus spectaculaire, soit dit en passant: une diminution de 1% de l'offre de logements disponibles par ménage gonfle carrément les prix de 8%! On pourrait imaginer une vague d'inflation engendrée par des éléments peu en rapport direct avec la construction. Or, c'est aujourd'hui tout le contraire: qui n'a pas entendu dire, depuis l'automne dernier, que le bois de charpente avait flambé? Et il n'est pas seul dans cette situation. Depuis le début 2020, le cuivre a, en chiffres ronds, grimpé de 50%, les poutrelles en acier de 75% et le PVC de 100%! C'est donc peu dire que le coût de la construction augmente, ce qui soutient la valeur des logements existants. Cette affirmation s'entend évidemment "toutes choses égales par ailleurs", comme disent les économistes. Un repli n'est donc pas impossible en cas de modification d'un autre paramètre que l'inflation. On a par ailleurs compris que cet effet purement mécanique vaut indépendamment de tout emballement de la demande que peut entraîner cette inflation, y compris de la part des investisseurs. Cet élément peut clairement amplifier la hausse. Il en est un autre: l'inflation finit par entraîner une hausse des salaires. C'est plus vrai en Belgique qu'en France, puisque les salaires belges sont indexés, comme c'est le cas au Luxembourg et à Malte. Et si les taux d'intérêt restent en retrait (en particulier ceux des prêts hypothécaires), comme c'est aujourd'hui clairement le cas en Europe, c'est le pouvoir d'achat immobilier des candidats à la propriété qui augmente. En tout cas s'ils ont recours à l'emprunt, ce qui est la norme. Ceci pousse donc les prix à la hausse. Il se peut toutefois que cette inflation érode au contraire le pouvoir d'achat, au moins dans un premier temps, avant qu'intervienne une adaptation des salaires. C'est particulièrement vrai si cette hausse des prix concerne ce que les économistes appellent des "biens peu substituables", à savoir surtout l'énergie et l'alimentation. Ne pouvant guère sabrer dans ces dépenses, le citoyen aura tendance à freiner ses ambitions immobilières. Y compris par un effet psychologique pouvant dépasser la réalité des chiffres. Voilà une théorie... dont l'actualité des dernières semaines est une fameuse démonstration! Alors que le prix des carburants s'inscrit (très) souvent dans les titres de la presse, et que la hausse des produits alimentaires lui emboîte régulièrement le pas, voilà que le baromètre des notaires publié la semaine dernière révèle un refroidissement du marché immobilier belge. Sinon pour l'ensemble du premier trimestre (en raison d'un mois de janvier très soutenu), en tout cas en février et surtout mars. Dans l'appartement, les prix s'érodent ici et là. Et si l'on tient compte de l'inflation, il n'est plus du tout question de hausse de prix, du moins globalement. L'autre effet négatif possible de l'inflation est que les investisseurs, en réaction, exigent des taux d'intérêt très élevés pour s'en prémunir. Une flambée de ces taux rendrait les placements de type obligataires très intéressants et détournerait les investisseurs de la brique. Comme on l'a déjà souligné dans ces pages, c'est ce qui s'est passé au début des années 80, entraînant une chute des prix immobiliers. Tout le contraire de leur très vive appréciation des années 70, quand les taux d'intérêt étaient restés inférieurs à l'inflation. On note encore, pour mémoire, que si l'inflation entraîne une indexation des loyers, elle gonfle également les frais d'entretien. Au total, l'immobilier offre une protection naturelle contre l'inflation dont ne peuvent se prévaloir d'autres actifs, conclut Yann Tampereau, qui cite le niveau des taux d'intérêt parmi les éléments à tenir à l'oeil. On ajoutera à ce propos que si les taux poursuivront inévitablement leur hausse (encore timide) en Europe, on les imagine mal rattrapant l'inflation avant un bout de temps. Par-delà la pause actuelle, assez logique après plusieurs années de marché très soutenu, le marché immobilier devrait se trouver dans la configuration des seventies plutôt que celle des années 80.