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La brutale remontée des taux d'intérêt intervenue en 2022 n'a pas seulement provoqué un krach à la fois des actions et des obligations. Aggravée par les exigences accrues des banques en matière de prêts hypothécaires, elles-mêmes dictées par la Banque nationale, elle a fini par secouer le marché immobilier: chute des prêts hypothécaires, ainsi que repli des transactions et parfois des prix. Il ne s'agit de chute sévère que pour les premiers, ce qui suscite visiblement certains malentendus. L'octroi de prêts hypothécaires est en chute libre cette année: -36% aux premier et deuxième trimestres et -29% au troisième, par rapport à un an plus tôt. Chute semblable pour les montants octroyés. Quelle différence avec le premier semestre 2021, quand les contrats explosaient de 36% et les capitaux de pas loin de 50%! Un tel contraste accentue sans doute l'impression de crise chez les professionnels concernés, mais on comprend qu'il la relativise en réalité. Au niveau des transactions par contre, le repli est très léger, toujours à un an d'écart. Il dépassait 10% en janvier et février, mais cette tendance ne s'est absolument pas poursuivie. Résultat: sur les neuf premiers mois 2023, le nombre de transactions immobilières est en baisse de 3,1% à peine, soit -5% en Flandre, -1,7% à Bruxelles et... +0,1% en Wallonie, révèle le baromètre des notaires. On est loin d'une débâcle! En ce qui concerne les prix, le constat est carrément positif, avec une progression de 0,9% pour les maisons et de 2,9% pour les appartements, toujours sur les neuf premiers mois de cette année et en comparaison cette fois avec le prix moyen de l'an dernier. On est loin d'une crise. Il convient toutefois de nuancer ce tableau presque idyllique. Premier élément et non des moindres: il s'agit ici de prix nominaux. C'est-à-dire non corrigés par cette inflation en forte hausse depuis l'an dernier. Quand on en tient compte, la hausse de près de 6% encore enregistrée en 2022 pointe en réalité à -4% environ, tandis que la stagnation de cette année déboucherait sur un repli réel de l'ordre de 5%. Observateur attentif du marché immobilier, ING Belgique prévoit une stagnation des prix nominaux en 2024 et un repli de quelque 2% en termes réels. On arriverait donc à un recul total d'à peu près 11% en trois ans. Ce n'est pas négligeable, mais inférieur à la hausse intervenue entre 2018 et 2022. Sans parler de l'envol observé depuis l'an 2000. L'autre argument négatif, c'est que le repli des prix pourrait s'accentuer en 2024 et battre en brèche les prévisions plutôt rassurantes émises jusqu'ici. Soit la stagnation prévue par ING, ou encore le recul limité à 1,5% avancé par Belfius. La Belgique pourrait-elle suivre le repli sensible observé ailleurs? À Paris, où les prix sont en recul de 4,6%, la chute est de l'ordre de 10% dans les deuxième et quinzième arrondissements, révèle l'indicateur meilleursagents. En Allemagne, c'est globalement que les prix ont chuté de 10% à un an d'écart! A priori pourtant, ceci ne devrait pas préfigurer notre avenir: la Belgique s'est montrée beaucoup plus résiliente que les pays voisins lors des crises récentes, soulignent les données de l'OCDE. Depuis 1990, les prix n'ont reculé que durant deux ans en Belgique, contre cinq aux Pays-Bas, sept en Allemagne et onze en France. La différence est plus spectaculaire encore pour la plus forte baisse: -0,6% à peine chez nous, contre -2,1% en Allemagne et surtout -6,7% aux Pays-Bas et -7,1% en France. Sans oublier -14,8% en Espagne! Comme le rappelait cet été une note de Fortis, la dernière crise relevée en Belgique remonte à 1981, comme évoqué dans le cadre ci-contre. Les éléments expliquant cette résilience méritent d'être rappelés. Trois quarts des Belges sont propriétaires, contre la moitié à peine des Allemands, par exemple. Or, un propriétaire occupant ne revend pas aussi facilement son bien qu'un investisseur qui loue, surtout si son locataire a quitté les lieux. Et on ne revend pas avec désinvolture en Belgique, où les frais de transaction sont parmi les plus élevés du monde! L'indexation des salaires, qui fut très spectaculaire cette année, est un autre argument intéressant: le citoyen belge fait plus facilement face à une vague d'inflation et de hausse des taux d'intérêt. C'est sur ce dernier plan que se situe sans doute l'élément le plus fondamental: le Belge emprunte à taux fixe. C'est encore plus vrai aujourd'hui qu'hier: la part de l'emprunt hypothécaire à taux fixe dans le total a grimpé de 84-85% jusqu'en été 2022 à 92% cette année. Si on y ajoute les prêts à taux variable mais avec une période fixe de 10 ans, on est même passé de 90 à 97%. Ne restent donc que 3% de prêts à taux variable annuellement dès le départ. Au total, si crise immobilière il y a pour les professionnels, elle ne touche guère les particuliers jusqu'ici. Et si beaucoup craignent un repli des prix nominaux l'an prochain, ce devrait en réalité être moins sensible que cette année en termes corrigés de l'inflation.