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Vous avez enregistré cet album très rapidement : était-ce dans le but de préserver cette sorte de fragilité que l'on ressent en l'écoutant ?En partie. Je voulais réaliser un disque très " humain ", en tenant à distance la technologie qui peut rendre le résultat trop cérébral et froid : la fragilité et la spontanéité en font partie, mais fondamentalement je voulais mettre l'accent sur ces cinq types qui se comprennent à demi-mot, s'apprécient, jouent ensemble...D'une façon organique ?Oui, d'ailleurs l'album a été écrit graduellement et de façon acoustique autour du piano.L'album reflète le caractère éphémère de la vie ?Et vivant également, notamment au travers des voix qui sont enregistrées en direct, au moment où le groupe joue. Certaines chansons comme " Carousel " réfèrent également au caractère éphémère... de la musique.Un album est-il une photographie ?Ce n'est pas aussi statique, mais il distille certainement un moment. C'est l'expression d'une humeur, de ce en quoi vous croyez et ce que vous cherchez. C'est ce qu'on ressent à l'écoute de nos dix albums : une déclaration au niveau même de l'ordre des titres, des instruments, ou de la façon dont sonne une guitare.Quelle est la différence entre la nostalgie et la mélancolie ?Ont-elles quelque chose en commun ? La nostalgie c'est échanger avec son passé. Lorsque le groupe s'est reformé en 2007, nous avons décidé de toujours envisager l'avenir, et plus le passé. A la fin de notre première incarnation, quatre ans plus tôt, nous ne faisions plus que regarder en arrière. Nous étions si attendus par notre passé, que d'avoir une pause, nous a permis de recommencer à nouveau sans plus regarder dans le rétroviseur. En 2022, nous célébrerons nos trente ans d'existence : peut-être nous permettrons-nous alors de regarder par-dessus notre épaule...La mélancolie par contre m'occupe depuis 25 ans, elle s'impose à moi comme les chansons d'ailleurs : elle se construit sur l'expérience également et n'est pas simplement une tristesse du moment présent... mais elle l'affecte.Pourquoi ce titre " No treasure but hope " ?L'espoir est la dernière chose qui reste dans la bouteille quand il n'y a plus rien d'autre. Le titre vient de la chanson éponyme qui est aussi noire de désespoir que rose d'espérance et de joie. Tout l'album se situe au milieu de ces deux sentiments extrêmes.Vous avez écrit cet album sur l'île d'Ithaque où vous venez de déménager : quel est le lien entre Ulysse et vous ?(il rit) Cela faisait 25 ans que je m'y rendais : cette île a forcément pris de l'importance dans ma vie. Je ne prétends pas qu'il s'agisse d'un voyage musical, mais c'est la première fois que j'ai ressenti le fait d'arriver dans un endroit auquel j'appartiens. La fin du voyage au sens où je rentre à la maison... comme Ulysse (il sourit).Votre musique est-elle une bandeson pour des films imaginaires ?J'ai découvert que ma pensée était essentiellement visuelle. Je ne suis pas guidé par les mots. Beaucoup de choses proviennent d'inspirations visuelles ou de connexions.L'on me compare souvent à Nick Cave ou Léonard Cohen : je les vois comme étant très connectés aux mots. Alors que je collecte les mots après coup, pour construire ce que je cherche. Je ne les appellerais jamais des films non faits, parce que la partie visuelle peut-être comme une peinture abstraite : ce n'est pas nécessairement quelque chose qui a besoin d'un récit.Vous avez composé huit bandes originales pour Claire Denis. C'est inhabituel de voir un musicien ou un groupe faire preuve d'une telle fidélité envers un cinéaste ?Mon ambition n'est pas de devenir un compositeur de musique de film. Travailler avec Claire se place sous le signe de la collaboration et elle se révèle une inspiration. Ce qui ne veut pas dire que nous ne nous disputons pas, mais fondamentalement Claire Denis cherche à faire surgir les thèmes qui peuplent son esprit et je tente de l'aider en cela. Un rôle qui me plaît : un lieu de découverte, et pas une simple prestation. Mais je n'aurais jamais imaginé que notre collaboration s'étalerait sur 25 ans, que ce voyage serait si long et diverse...