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"C es abus médicamenteux font le lit des céphalées chronicisées par une surconsommation d'antalgiques (CSA) ", explique le Pr Jean Schoenen, professeur honoraire et directeur de l'Unité de Recherches sur les Céphalées de l'ULiège. " Il s'agit d'une escalade pernicieuse, sur plusieurs semaines ou mois. Les prises médicamenteuses deviennent de plus en plus rapprochées avec, en parallèle, l'apparition de céphalées persistantes et, dans le cas des migraines, une augmentation de la fréquence des crises et une inefficacité des traitements préventifs. Bientôt, les CSA deviennent quotidiennes... avec tout l'impact sur la qualité de vie que cela implique. "Les antalgiques et les médicaments antimigraineux favorisent diversement l'apparition de CSA. Les plus susceptibles d'en induire sont, par ordre de risque: - les triptans, - l'ergotamine, - les antalgiques combinés à de la caféine et/ou de la codéine, - les antalgiques simples de première ligne (paracétamol et AINS). " Les trois premiers sont considérés par la Société internationale des Céphalées comme responsables de CSA à partir de dix jours de prise par mois et les antalgiques simples et les AINS à partir de 15 jours... en théorie! ", commente le Pr Schoenen. " Dans la pratique, le seuil d'entrée dans le cercle vicieux est (bien) plus bas chez certaines personnes. Notons que si les triptans sont les plus risqués, ils sont aussi ceux dont les symptômes de sevrage durent le moins. " La migraine est considérée comme chronique lorsque les patients souffrent depuis plus de trois mois d'au moins 15 jours de céphalées par mois, avec au moins huit crises migraineuses typiques. Or, il se trouve que la surconsommation des antalgiques et/ou des triptans constitue la cause la plus fréquente de chronification de la migraine. " Les mécanismes sous-jacents au développement de CSA relèvent de la physiopathologie migraineuse, d'effets médicamenteux sur la transmission centrale des messages douloureux et de leur contrôle, et, pour certains sujets, de la propension à développer une dépendance aux substances ", explique le Pr Schoenen. " L'interaction entre ces trois facteurs varie selon les patients, mais dans tous les cas, la stratégie thérapeutique consiste, d'une part, à sevrer les patients des antalgiques en cause et, d'autre part, à instaurer un traitement antimigraineux adéquat, à la fois symptomatique et prophylactique. "La désaccoutumance doit souvent s'accompagner, pendant une quinzaine de jours, d'un traitement destiné à prévenir ou atténuer les symptômes du sevrage. De l'acamprosate ou du tiapride, par exemple. Si la dépendance physique aux antalgiques s'estompe en une à deux semaines, la dépendance psychosociale peut se poursuivre (beaucoup) plus longtemps. Une approche cognitivocomportementale est donc tout indiquée pour renforcer l'efficacité du sevrage et prévenir les récidives, surtout chez les patients psychologiquement fragiles et ayant des difficultés à gérer leur stress. Le soutien psychologique par les soignants de première ligne et les proches favorise grandement la réussite du sevrage. Les céphalées s'aggravent de façon transitoire à l'arrêt de l'abus médicamenteux, mais dans la moitié des cas, elles s'améliorent nettement une quinzaine de jours plus tard, même sans traitement préventif. Pendant ce temps, les triptans ou les AINS sont autorisés en cas de crise de migraine, mais à une fréquence maximale de respectivement un ou deux jours par semaine. Sur base de plusieurs études sur les migraines chroniques avec surconsommation médicamenteuse, il est fortement conseillé d'instaurer ou d'adapter le traitement antimigraineux de fond dès le début du sevrage. Normalement, la stratégie prophylactique des migraines sévères est à mettre en oeuvre par paliers (voir encadré). Mais la migraine chronique est connue pour devenir résistante aux traitements prophylactiques. Il faut alors passer aux traitements de quatrième ligne. Plusieurs options sont possibles. Les traitements des deuxième et troisième paliers peuvent être combinés. Des injections péricrâniennes de toxine botulique tous les trois mois sont remboursées s'il y a une amélioration d'au moins 50% après la deuxième série d'injections. Les anticorps monoclonaux anti-CGRP (erenumab, fremanezumab, galcanezumab, eptinezumab) ont un rapport efficacité sur effets secondaires inégalé. Depuis peu, les trois premiers sont commercialisés en Belgique et remboursés après échec préalable d'au moins trois traitements préventifs des deuxième et troisième paliers. Dans la migraine avec aura(1) de haute fréquence, la lamotrigine est un premier choix. En cas d'échec, l'acétazolamide et la flunarizine peuvent être envisagés. Une fois les patients sevrés et débarrassés des CSA, pour éviter une récidive, il convient de proposer une stratégie thérapeutique symptomatique en paliers, en fonction de l'intensité des symptômes, et qui limite la consommation médicamenteuse. " Il est essentiel de prendre le temps d'expliquer aux patients quand prendre leur(s) médicament(s), à quelle dose et à quelle fréquence maximale ", préconise le Pr Schoenen. - Premier palier: Pour traiter une crise légère ou débutante sans aura ou une crise avec aura dès l'apparition de l'aura , des AINS à dose suffisante (600 mg d'ibuprofène, par exemple) ou un antalgique comme le paracétamol (1g) ou l'aspirine (1g), éventuellement associés à un antinauséeux ou à un spray nasal de lidocaïne (dans du liquide physiologique) peuvent suffire à " enrayer " la crise migraineuse. Les antalgiques combinés avec de la codéine ou de la caféine sont à éviter en cas de crises fréquentes, car ils entraînent facilement des CSA. - Deuxième palier: Si la céphalée ne passe pas au bout d'une heure, si elle s'installe malgré la prise d'AINS pendant l'aura ou en cas de crise d'emblée plus intense, les migraineux.ses peuvent prendre un triptan par voie orale. Attention: les triptans sont peu ou pas efficaces lorsqu'ils sont pris pendant une aura précédant les céphalées. Un suppositoire ICAM contenant un AINS, de la caféine, du dompéridone et de l'amylocaïne ou de la lidocaïne est une alternative ou un complément aux triptans oraux. - Troisième palier: En cas de crise (très) sévère ou si le ou la patient.e ne répond pas aux premiers paliers, l'injection sous-cutanée de sumatriptan est la plus efficace, mais ses effets secondaires peuvent être désagréables. Un suppositoire ICAM peut y être associé ou s'y substituer. - Quatrième palier: En cas d'état de mal migraineux - quand la crise persiste plus de 72 heures - on peut procéder à des injections intramusculaires quotidiennes d'un AINS et d'un antinauséeux ou hospitaliser le patient pour un traitement intraveineux par clomipramine.