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Le Pr Johan Neyts (Neyts-lab of virology, Rega Instituut, KULeuven) est catégorique: " Un an, c'est trop peu pour développer un antiviral puissant." Et c'est bien pour cela que, d'après lui, il est urgent de revoir la stratégie qui est la nôtre face à l'émergence de nouveaux foyers viraux. Jusqu'ici, le remdésivir a été l'antiviral le plus efficace contre le covid-19, avec une durée de maladie abaissée de 15 à 10 jours en moyenne. (1) Aucune étude n'a toutefois pu démontrer d'impact sur la mortalité. Ces résultats passablement mitigés s'expliquent sans doute en partie par l'effet inhibiteur limité du remdésivir sur la réplication du Sars-CoV-2. À la base, ce produit a en effet été développé pour le traitement de l'Ébola et n'est donc pas suffisamment spécifique pour le coronavirus. D'autres facteurs entrent toutefois en jeu, et Johan Neyts est notamment convaincu qu'il peut être opportun de soumettre les données à un examen plus fin. " Certaines analyses ont déjà scindé les populations étudiées suivant que les patients avaient reçu du remdésivir rapidement ou plus tardivement après l'apparition des symptômes... et là, des différences d'efficacité commencent à se dessiner." À côté de l'effet antiviral intrinsèque du traitement intervient en effet un autre élément: " Si l'objectif est de freiner la réplication virale, il faut idéalement intervenir au moment où ce processus bat son plein. Or au moment où les patients Covid-19 se sentent suffisamment malades pour se rendre à l'hôpital, la réplication virale est souvent déjà en train de diminuer et le décours ultérieur de la maladie sera donc déterminé surtout par des processus immunopathologiques." L'administration précoce d'un inhibiteur viral est importante non seulement pour le patient lui-même, mais aussi en termes de propagation du virus. Les scientifiques l'ont clairement démontré pour la grippe avec l'oseltamivir: si un patient contracte le virus influenza et que les personnes qui vivent sous le même toit sont traitées par oseltamivir dès qu'un test positif a été réalisé sur le patient index, leur risque de contamination diminue de 80 à 85%. Si infection il y a, son décours est en outre moins sévère. Entre-temps, le Pr Neyts et son équipe ont pu confirmer que cette prophylaxie "familiale", au sein du ménage ( household prophylaxis), est efficace non seulement dans le cas de l'influenza, mais aussi dans celui du Covid-19. Dans leurs recherches, ils ont utilisé le favipiravir, un antiviral destiné au traitement de l'influenza commercialisé au Japon dont on savait déjà qu'il agit également sur d'autres virus. Dans leur étude, publiée entre-temps dans la revue PNAS(2), les chercheurs louvanistes ont constaté que l'administration de hautes doses de favipiravir a un effet inhibiteur sur la charge virale dans les poumons de hamsters contaminés par le Sars-CoV-2. Mieux: lorsqu'un hamster infecté était placé dans une cage avec un animal sain préalablement traité par favipiravir, ce dernier ne contractait pas le virus. Les hamsters qui n'avaient pas reçu l'antiviral étaient par contre contaminés par leurs congénères infectés. " C'est ce qu'il aurait fallu pouvoir faire en janvier dernier à Wuhan: administrer rapidement un antiviral puissant à tous les patients infectés ainsi qu'à leurs contacts", commente Johan Neyts . "Cette stratégie aurait permis de freiner la propagation du virus, voire de l'interrompre complètement dans le meilleur des cas. Mais ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit: cela n'aurait marché ni avec le favipiravir ni avec le remdésivir, parce que ces produits n'inhibent pas suffisamment la réplication du Sars-CoV-2. Notre étude publiée dans PNAS a été réalisée en conditions expérimentales, ce qui n'est pas comparable. Des travaux sont toutefois en cours - au Japon, en Israël et au Brésil - pour examiner quels résultats peuvent être obtenus chez l'homme avec le favipiravir. Les doses que nous avons utilisées chez nos hamsters avaient été fixées de manière à obtenir des concentrations sanguines comparables à celles mesurées chez l'homme dans le cadre de l'épidémie d'Ébola qui a frappé l'Afrique occidentale en 2012-2013. À l'époque, aucun effet toxique n'avait été consigné." Reste que pour l'heure, nous ne disposons donc guère que du remdésivir et éventuellement du favipiravir. Pour être tout à fait complet, on pourrait encore y ajouter le molnupiravir - un autre inhibiteur du virus influenza avec lequel Johan Neyts et son équipe ont observé une baisse de la charge virale dans les poumons de hamsters infectés par le Sars-CoV-2. D'autres travaux expérimentaux sont en cours avec une combinaison de favipiravir et molnupiravir et quelques autres produits. Lorsqu'il considère ce bien maigre arsenal, Johan Neyts est convaincu que nous devons faire beaucoup mieux qu'à l'heure actuelle. " Comme bien d'autres virologues, je répète depuis longtemps que nous devrions développer pour certaines familles de virus des inhibiteurs spécifiques et puissants, dont nous garderions des stocks stratégiques à portée de main pour pouvoir réagir aux foyers impliquant un nouveau pathogène." " Il serait faux de dire que nous n'étions pas prévenus. À côté des quatre types de coronavirus responsables du rhume banal, nous avons déjà eu l'expérience du Sars-CoV-1, responsable d'une pandémie en Chine en 2002-2003, puis du virus Mers à partir de 2012. Nous savions donc parfaitement que certains coronavirus représentent une réelle menace. Tous les pathogènes de cette famille possèdent toutefois des caractéristiques communes. Les traitements contre les coronavirus bénins qui étaient déjà en cours de développement (à un stade encore très expérimental) fonctionnent aussi contre le Sars-CoV-2. Nous devons développer des produits qui agissent contre toute la famille." Anticipant l'apparition de nouveaux foyers épidémiques viraux, le laboratoire du Pr Neyts a conçu et mis en place il y a quelques années déjà une plateforme complètement automatique, un " lab in a box" capable de réaliser des tests de manière autonome 24h/24 et 7j/7 sans mobiliser du personnel en permanence. Il a permis jusqu'ici de passer en revue près de 1,8 million de molécules en vue du traitement du Covid-19, en provenance non seulement des recherches de l'équipe mais aussi de clients (universités et firmes pharmaceutiques) partout dans le monde. Les molécules qui semblent prometteuses au stade de la recherche fondamentale peuvent ensuite être testées dans des essais de phase 1 afin d'établir leur sécurité chez l'homme. Des études de phase 2 peuvent ensuite confirmer un éventuel effet inhibiteur sur les coronavirus responsables du rhume banal. " Développer des antiviraux puissants est possible, comme on l'a vu avec le succès des traitements contre l'hépatite C et le VIH", poursuit le Pr Neyts . "La différence avec une maladie comme le Covid-19 est qu'il est cette fois question d'un décours aigu, ce qui signifie que le traitement doit intervenir rapidement, dans la foulée de l'infection. Si le médicament est suffisamment puissant, nous pourrons l'utiliser non seulement pour la prophylaxie familiale, mais aussi en complément aux anti-inflammatoires chez les patients hospitalisés dans un état plus préoccupant." Les coronavirus et la grippe ne sont malheureusement pas la seule menace qui nous guette, souligne le spécialiste. " Parmi les familles qui m'inquiètent tout particulièrement, il y a surtout celle des paramyxovirus, qui comprend notamment le virus des oreillons, celui de la rougeole et le VRS. Tout comme le Sars-CoV-2, les paramyxovirus sont très présents chez les chauve-souris, avec des cas récents de transmission à l'homme - comme celui du virus Nipah, qui est apparu en 1999 en Malaisie et provoque de graves symptômes neurologiques, ou le virus Hendra en Australie. Ces foyers ont pu être circonscrits, mais ce n'est qu'à moitié rassurant. Alors que le taux de reproduction du Sars-CoV-2 dans une population non immunisée (R0) se situe entre 2 et 3, cette valeur est de 15 à 18 pour la rougeole. Imaginez que nous soyons soudain confrontés - dans notre monde actuel, avec nos modes de vie actuels - à un nouveau virus de ce type qui se transmet par des aérosols et provoque des infections graves surtout chez les enfants. Un éventuel vaccin, à supposer qu'on parvienne à le développer, arrivera inévitablement trop tard. Et je tiens à souligner au passage que ce vaccin, il n'existe toujours pas pour l'hépatite C et le VIH. Avec le Covid-19, sur ce plan, nous avons finalement eu de la chance: après un an, les premiers vaccins hautement efficaces sont là." " Bref, il est inconcevable que l'humanité ne soit pas armée contre les nouveaux foyers viraux alors même que nous pouvons faire le nécessaire au prix d'un investissement relativement modeste. Pour chaque famille virale, il faudrait quelques dizaines de millions d'euros pour développer un produit jusqu'au stade des essais de phase 1. Lancer si possible des essais de phase 2 pour en étudier l'efficacité contre l'infection par un virus bénin de la même famille nécessiterait peut-être 50 millions supplémentaires. Un montant dérisoire en regard du coût de la pandémie actuelle, même sans prendre en compte la souffrance humaine et l'impact économique."