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C'est l'acronyme ESG, pour Environnement, Social et Gouvernance, qui désigne le plus souvent les actifs considérés comme durables. Et dans un sens de plus en plus large: alors que l'environnement a longtemps tiré la couverture à lui, l'approche sociale a ensuite bénéficié d'une attention assez soutenue. Mais le volet environnemental s'est lui aussi progressivement étoffé. Après l'approche négative (pas de producteurs de charbon dans les portefeuilles), on était largement passé à une démarche positive, les fonds visant notamment les fabricants d'éoliennes, puis rassemblant des entreprises actives dans le traitement des déchets, l'efficience énergétique, la purification de l'eau, etc. La protection de l'environnement au sens large, donc, et du même coup celle de la nature, mais indirectement. Aujourd'hui, certains gestionnaires évoquent cette nature en direct, en affirmant protéger la biodiversité. "L'araignée sauteuse démontre comment une petite créature incarne le vaste défi de la protection de la vie sauvage. Sa plus grande qualité est qu'elle a fait des moustiques sa nourriture de base. L'araignée sauteuse en diminue donc la population, ce qui a pour but de limiter non seulement les piqûres, mais aussi la propagation de la malaria. Le déclin des populations de cette araignée affecte donc la qualité de vie des humains." Ce petit texte n'est pas extrait d'une séquence du Jardin extraordinaire, ni d'une revue scientifique, mais de la présentation par Robeco de son fonds portant l'étiquette biodiversité. On n'est pas étonné de voir ce gestionnaire d'actifs se pointer sur ce terrain, par le lancement, le 31 octobre dernier, du fonds RobecoSAM Biodiversity Equities. Les critères ESG sont clairement dans ses gènes: sur les 171 milliards d'euros d'actifs sous gestion à la fin de l'an dernier, 168 milliards affichaient l'étendard ESG! Et son engagement va parfois très loin: en 2019, le groupe néerlandais s'était associé à la société Satelligence pour vérifier, par satellite, dans quelle mesure les forêts de Malaisie et d'Indonésie étaient détruites pour faire place à des palmiers à huile. Basée à Zurich, la division SAM est spécialisée dans l'étude des thèmes ESG. Plusieurs fonds du groupe affichent dès lors RobecoSAM dans leur nom. Ils sont axés sur l'énergie intelligente ou encore l'eau durable, pour reprendre leurs intitulés. Les beaux discours, c'est bien, mais qu'est-ce que cela donne en pratique? Autrement dit, quelles sont les actions reprises dans le portefeuille du fonds RobecoSAM Biodiversity et pourquoi? Certaines participations peuvent surprendre. Le premier poste, avec 5,5% du total, est ainsi Kering, le groupe de luxe français de la famille Pinault naguère dénommé PPR. Il chapeaute des marques comme Balenciaga, Boucheron, Saint Laurent, sans Oublier Gucci. L'explication est simple: 100% des matières premières utilisées sont durables, affirme Robeco. Le prestigieux groupe familial pourrait dès lors reprendre à son compte la célèbre publicité de Renault en l'adaptant: et si le luxe, c'était le durable? C'est le bureau d'études américain AECOM qui figure en 2e place, en raison de l'accent mis sur les services environnementaux. Troisième place: Unilever, le groupe anglo-néerlandais géant des produits alimentaires comme des produits d'entretien (Knorr, Lipton, Ola, Axe, Cif, Dove...). La raison: son important engagement en faveur du climat et de la protection de la nature, ainsi que de lutte contre les déchets. Le groupe affiche 67% de matières premières agricoles provenant de sources durables et 100% d'électricité renouvelable au niveau mondial. Parmi les autres postes, on relève l'entreprise suisse Sika, productrice de matériaux de construction et, souligne Robeco, leader dans l'installation de toitures vertes en Amérique du Nord. Grand nom des produits d'hygiène et soins de la peau, avec Nivea pour marque phare, l'allemand Beiersdorf a été retenu pour le niveau très élevé des certifications de ses matières premières en ce qui concerne la déforestation. Outre Valmont Industries, leader des technologies d'irrigation économisant l'eau, on retient encore Darling Ingredients, géant américain du recyclage des déchets organiques en carburants. Il s'agit aujourd'hui de diesel, mais l'usine en construction à Port Arthur, au Texas, doit livrer du carburant pour l'aviation en 2025. Le portefeuille du fonds est assez concentré: il se compose d'une quarantaine de valeurs, dont les dix premières représentent 44% du total. Le gestionnaire d'actifs néerlandais n'est pas seul à afficher pour ambition la protection de la biodiversité. Morningstar, la société qui fait autorité dans l'analyse des fonds, en relevait récemment une vingtaine au niveau mondial! Tout près de chez nous encore, c'est Tocqueville Finance, filiale de La Banque Postale française, qui a lancé ce thème à fin novembre dernier. "L'enjeu est crucial: (d'après le WWF) 55% du PIB mondial reposerait sur les services rendus par la nature, alors que plus d'un million d'espèces seraient déjà menacées d'extinction", notait le gestionnaire lors du lancement du fonds Tocqueville Biodiversity ISR. Et d'expliquer que "le fonds sélectionne les entreprises qui apportent des solutions aux enjeux de préservation de la biodiversité et du capital naturel". On observe d'emblée que ce dernier a été chamboulé! À fin décembre, le groupe français Veolia Environnement, géant du traitement des déchets, mais aussi de la gestion de l'eau et de l'énergie, y pesait plus de 14%, ce qui semblera aisément excessif. À fin février, dernière composition de portefeuille publiée, ce titre a carrément disparu, comme tous les autres du top 10! Étrange quand même... C'est le qualificatif qui vient aussi à l'esprit quand on relève les 5e et 6e places aujourd'hui occupées par Ahold Delhaize et Carrefour. On comprend mieux la première place occupée par le japonais Kurita Water Industries, spécialiste des systèmes optimisant l'utilisation de l'eau. Tout comme la seconde, dédiée à son confrère américain Xylem, qui a pour devise "économisons l'eau". Toujours avec 3% environ du total, c'est l'américain Ingersoll Rand, spécialiste des compresseurs industriels mais aussi des outils de levage, qui occupe la 3e place. La dernière du top 10 est le fait de l'américain Danaher, groupe diversifié notamment dans les diagnostics, mais aussi les techniques de protection des ressources. Finalement, la protection de la biodiversité, c'est du marketing ou une conviction profonde? En fait, l'un n'empêche pas l'autre! Après examen des portefeuilles, celui de Robeco sans doute plus que celui de Tocqueville, il est clair que la démarche tient la route. Même si la différence avec d'autres fonds estampillés ESG, et spécialement axés sur l'environnement, ne saute pas nécessairement aux yeux, reconnaissons-le.