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"I l faut faire attention aux mots 'delirium' ou 'agitation terminale', aucun ne convient mieux. Le premier a une connotation négative, mais je me méfie aussi 'd'agitation de fin de vie', parce que c'est un symptôme qui peut parfois être apaisé et qui signe malgré tout la fragilité du patient. Parfois c'est aussi notre vocabulaire qui va influencer la manière dont on va pouvoir soulager la personne", précise la Dr Emmanuelle Thiry (Foyer Saint Francois, Namur). Elle insiste sur la nécessaire recherche de l'étiologie: " On n'est pas toujours apte à la définir, on se dit que c'est d'origine multifactorielle mais quand c'est dû à un globe vésical, par exemple, on n'arrivera pas ou très difficilement à rendre le patient confortable avec des benzodiazépines ou des neuroleptiques, alors que la pose d'une sonde vésicale va vraiment être miraculeuse: une sonde peut être présentée comme quelque chose de salvateur et pas comme quelque chose qui diminue le patient dans sa dignité. Il faut aussi lever une constipation, un fécalome, rechercher un sevrage brutal d'un médicament ou de l'alcool, si la douleur est mal contrôlée... Les causes du delirium doivent être traitées avant de sauter sur une médication lourde." " L'ajout d'halopéridol peut apporter un soulagement, tout dépend de l'intensité: on peut commencer avec de petites doses quand on sent que le patient commence à ne plus vraiment être dans le même monde, qu'il voit des choses, qu'il a des gestes automatiques... C'est important de se dire qu'on va peut-être entrer dans une phase de delirium", met-elle en garde. C'est une urgence pour les proches et la famille qui ne reconnaissent plus la personne qu'ils aiment, et pour le patient qui peut être agressif avec son entourage et qui ne se reconnaît plus non plus. " Il faut réagir rapidement par rapport à ce symptôme qui est source d'angoisse pour tout le monde. On peut anticiper, associer neuroleptique et benzodiazépine peut avoir un sens et si on a un doute sur la douleur, associer aussi un antalgique." " Quand on passe le cap du delirium et que le patient est plus apaisé grâce au traitement, on est étonné de voir qu'il peut encore y avoir des jours avec un grand confort pour lui. C'est pour ça que ce terme delirium est peut-être plus facile à utiliser entre nous. Je ne sais pas si les proches y réagissent bien et, en même temps, quand ils voient le patient dans un délire, on remarque que cela peut aussi aider la compréhension." La spécialiste en soins palliatifs souligne l'importance d'ajuster les posologies selon les réactions du patient et de laisser aux aidants proches ou aux soignants de première ligne les médications qu'ils pourront utiliser en attendant le retour du médecin. " En fonction de la pathologie, des problèmes peuvent se dessiner, on anticipe les hémorragies aiguës, une douleur qui deviendrait incontrôlable, une crise d'épilepsie réfractaire, le delirium, une crise de détresse respiratoire... Il y a assez de raisons pour prévoir selon les situations, un protocole de secours. L'objectif c'est de pouvoir soulager le patient d'un symptôme terriblement inconfortable, imprévu, et qui est une urgence, ce n'est pas un continuum des difficultés, c'est vraiment une chose en plus. On doit rester proportionnel par rapport à ce qui se passe, anticiper les doses", souligne Emmanuelle Thiry en invitant à y réfléchir à froid, par exemple via le site palliaguide.be qui aide à choisir les dosages en fonction du traitement habituel du patient. En pratique, trois molécules sont souvent prescrites, indique-t-elle: " Du midazolam, dosage proportionnel au poids et aux antécédents de consommation de benzodiazépines, en injectable, c'est le plus facile (éventuellement, par voie sublinguale). Il est souvent utile de donner de la morphine pour son effet bradypnéisant et antalgique. Enfin, de la scopolamine pour son effet sédatif avant tout, elle va pouvoir appuyer l'effet amnésiant du midazolam et surtout le prolonger parce qu'on remarque qu'il y a très vite une tachyphylaxie avec le midazolam qui peut être nuancée avec cette scopolamine et permettre à tout le monde, et au patient en premier lieu, de récupérer. Et de réajuster le traitement." La Dr Thiry attire l'attention sur le midazolam: " Cette molécule est puissante parce qu'elle est libératoire de beaucoup de symptômes mais ce n'est pas un antalgique. Un patient qui ne crie plus, c'est apaisant pour tout le monde, mais il peut très bien avoir encore de terribles douleurs." Pour la spécialiste, la sédation ne devrait pas être fréquente en soins palliatifs: " Il faut avoir suffisamment de preuves éthiques pour dire que c'est le bon choix pour le patient. Si on entretient une sédation, tous les enjeux d'une hydratation et d'une alimentation se posent aussi. Elle ne se justifie que si on est dans les dernières heures/jours d'un patient, et si on a vraiment un symptôme réfractaire." " Les soins palliatifs cela veut dire que les choses vont peut-être se compliquer à un moment donné alors, un protocole de secours, ça se prépare! Que ce soit pour l'infirmier, le médecin ou le pharmacien. Il faut anticiper une complication au vu de la pathologie initiale ou de l'évolution, dialoguer avec le patient et les proches, mais aussi les soignants, prévoir les médicaments en réserve, assurer la présence et l'accompagnement de la famille, continuer les soins de confort et, pour les soignants, prévoir une discussion a posteriori (risque de culpabilité)", conclut la Dr Thiry.