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Professeur en métabolisme moléculaire et nutrition à l'UCLouvain et chercheur FNRS-Welbio au Louvain Drug Research Institute, spécialiste reconnu du microbiote intestinal, qu'on qualifie désormais de "deuxième cerveau", Patrice Cani s'efforce depuis une vingtaine d'années de décrypter les milliards de bactéries qui sont influencées directement par notre alimentation et qui colonisent nos intestins. Son objectif est d'isoler les plus prometteuses. Le microbiote humain n'a pas encore révélé tous ses secrets. A ce jour, seulement 30% des bactéries qui le composent ont été identifiées. C'est dire si le champ de recherche est encore très vaste. Après avoir découvert en 2013 les effets bénéfiques métaboliques et cardiovasculaires d'Akkermansia muciniphila, une bactérie capable de limiter certains risques cardio-vasculaires, le Pr Cani et ses collègues viennent de découvrir un nouveau genre de bactérie qu'ils ont appelée Dysosmobacter welbionis. " C'est une découverte fortuite", assure le chercheur louvaniste. " Elle est d'autant plus inattendue que nous en cherchions une autre. En effet, alors que nous travaillions sur Akkermansia, nous avions repéré une autre bactérie qui lui était associée. Notre outil génomique nous apprenait qu'elle faisait partie du genre Subdoligranulum, sans nous révéler la souche concernée. Cette bactérie est quasi absente chez les obèses et diabétiques mais systématiquement présente chez les personnes en bonne santé. Le problème est qu'il n'existe qu'une seule souche de cette famille cultivée dans le monde, Subdoligranulum variabile, et - pas de chance - ce n'est pas celle-là que nous voyions diminuer chez les gens malades. Nous avons administré Subdoligranulum variabile à des souris, mais elle n'avait pas d'effet sur la santé. Durant deux ans, nous avons scruté, fouillé et isolé près de 600 bactéries du microbiote humain, pour tenter de trouver un deuxième membre de la famille. En vain. L'explication de cette recherche infructueuse réside peut-être dans l'utilisation de conditions de culture qui ne permettent pas de faire croître la bactérie recherchée." " Ceci dit, nous avons analysé le génome de toutes ces bactéries pour nous apercevoir que 95% d'entre elles étaient déjà connues", raconte Patrice Cani. " Et poursuivant nos recherches avec les autres bactéries, nous en avons trouvé une totalement inconnue jusqu'ici, qui se présente différemment et qui n'a pas les mêmes activités métaboliques." Le fait en soi est déjà remarquable car peu de scientifiques ont l'occasion dans leur carrière de découvrir un nouveau genre de bactéries. " C'est un peu comme si on avait découvert un nouvel insecte, pas un nouveau type de moustique ou de scarabée." Mais en plus, comme ils sont les premiers à l'avoir isolée, le Pr Cani et son équipe ont pu donner à cette pépite un nom qui est désormais utilisé dans le monde entier. " On s'est un peu amusé. Nous avons choisi Dysosmobacter welbionis. Dysosmo signifie 'qui sent mauvais' en grec et bacter pour bactérie. Quand nous la cultivions en laboratoire, nous avions remarqué qu'elle avait une odeur qui n'était pas celle de la matière fécale ou du souffre, mais tout de même très particulière. Et welbionis, c'est bien sûr pour le Welbio, l'organisme de la région wallonne qui finance notre recherche." Via l'analyse de 12.000 échantillons provenant du monde entier, les scientifiques de l'UCLouvain ont ensuite observé que la bactérie est présente chez 70% de la population, ce qui est considérable. " Nous avons aussi remarqué que parmi les quelque douze mille sujets, ceux qui sont en surpoids et obèses mais aussi diabétiques de type 2 ont moins de Dysosmobacter welbionis dans l'intestin", souligne Patrice Cani . "En outre, nous avons constaté que les souris de laboratoire auxquelles nous avons administré cette bactérie brûlent mieux le sucre et la graisse, grâce au fait qu'elles produisent plus de mitochondries dans leurs cellules, ce qui fait qu'elles grossissent moins et qu'elles ont un meilleur métabolisme du sucre et des graisses." " De plus, cette bactérie produit des molécules qui ont des propriétés anti-inflammatoires. Et ses effets ne se limitent pas à l'intestin. Certaines molécules produites par Dysosmobacter migrent dans le corps et agissent ailleurs. C'est le cas de la molécule butyrate connue pour diminuer les risques de cancer du côlon, par exemple, via un renfort de la barrière intestinale et de l'immunité. Tout ceci ouvre les portes pour un éventuel impact sur d'autres maladies que l'obésité et le diabète de type2." Maintenant qu'elle a été identifiée, les scientifiques louvanistes vont désormais continuer à étudier Dysosmobacter welbionis pour en déceler tous les mystères. " Par exemple, nous allons essayer de savoir si les enfants qui naissent par césarienne vs ceux qui naissent par voie basse ont une différence de Dysosmobacter dans leur intestin, à partir de quel moment la bactérie se développe dans l'intestin, si elle arrive tout de suite après la naissance, ou des années plus tard, si l'alimentation va avoir un impact... Nous allons aussi analyser son génome, examiner dans quelle mesure elle ne posséderait pas des enzymes et des voies métaboliques que d'autres n'ont pas, voire s'il sera possible de la produire à grande échelle en vue d'applications industrielles." Comme son action rappelle fortement celle d'Akkermansia, au coeur des recherches du laboratoire de Patrice Cani, les chercheurs vont examiner si leur association permet de démultiplier leurs effets sur la santé. Avec, toujours à la clé, la lutte contre le diabète de type 2, les maladies inflammatoires, l'obésité ou le cancer. " C'est ça le fun dans la recherche: on fouille pour trouver des os de dinosaures et on finit par trouver un trésor", s'enthousiasme Patrice Cani.