La subvention du SPF Justice (de l'ordre d'un demi-million d'euros), annoncée en décembre, pour la création d'un nouvel Institut médico-légal (IML) au sein des Cliniques universitaires Saint-Luc (Bruxelles) va offrir une bouffée d'oxygène à son Centre de médecine forensique. Et permettre, notamment, l'ouverture de deux places d'assistanat. Rencontre avec la Dre Jessica Vanhaebost, médecin légiste.
La médecine légale se conjuguerait-elle de plus en plus au féminin? Nul doute dans la fiction, où font florès des personnages comme Alexx Woods dans la série TV "Les Experts", Megan Hunt dans "Body of Proof", Julia Ogden dans "Les enquêtes de Murdoch" ou encore la Française "Alexandra Ehle". Dans son cas, c'est à Kay Scarpetta, héroïne des romans de Patricia Cornwell, que Jessica Vanhaebost, cheffe de clinique adjointe aux Cliniques universitaires Saint-Luc depuis 2019, doit sa vocation.
"J'ai choisi la médecine pour être légiste. J'étais alors l'unique candidate à cette spécialisation, mais il ne s'ouvrait une place que tous les cinq ans", rembobine la jeune femme. Et de rappeler: "Notre financement ne dépend pas de l'Inami mais du SPF Justice, il est difficile de financer des assistanats juste avec les barèmes de frais de justice!"
Il en faut toutefois plus pour arrêter la jeune diplômée de l'UCLouvain. Elle s'éclipse donc deux ans en Suisse pour mettre sa vocation au service du Centre universitaire romand de médecine légale (Lausanne), puis rentre à Bruxelles pour son master de spécialisation avec, déjà, une solide expertise. C'est également en Suisse, à Genève plus précisément, que Jessica Vanhaebost termine actuellement sa thèse.
Plusieurs femmes l'ont précédée en médecine légale. La plupart se sont réorientées vers l'anatomopathologie à l'heure de la maternité. "À Saint-Luc, nous sommes deux désormais: une collègue fraîchement diplômée m'a rejointe en janvier", se réjouit la Dre Vanhaebost (une troisième médecin fait actuellement son stage en anatomie pathologie, NdlR). "Liège compte une étudiante en première année et il n'y en a pas à Charleroi. La spécialité se féminise en Flandre, qui compte plusieurs assistantes à Anvers et Louvain. En réalité, c'est davantage un problème de financement que de vocations", analyse notre interlocutrice, secrétaire de la Société royale de médecine légale de Belgique et qui aspire à en devenir la première femme présidente. "Les difficultés sont plus inhérentes à la médecine légale - et à la médecine en général, dont les horaires compliquent la vie de famille - qu'au fait d'être une femme. Heureusement, la subvention pour le nouvel IML va nous permettre de former davantage d'assistants et d'avoir une vie plus équilibrée."
C'est davantage un problème de financement que de vocations.
Car la charge de travail est lourde. Les trois légistes en charge pour les parquets de Bruxelles et du Brabant wallon effectuent en moyenne dix jours et demi de garde par mois. Garde qui se décline en quatre jours et demi d'affilée minimum, 24h/24. Entre deux et cinq à six missions par nycthémère, "souvent le soir, car les cadavres sont généralement découverts après le travail". Les agressions sexuelles se déroulent souvent au retour de soirées, le légiste est requis selon le moment où la victime se manifeste. Puis, comme dans toute garde médicale, il faut, derechef, enchaîner avec un nouveau jour... "Or la médecine légale, ce sont beaucoup de rapports à rédiger, très complets et littéraires pour être compréhensibles, ce qui exige une grande concentration", souffle la légiste. Pas simple de mobiliser le meilleur de ses capacités cognitives après plusieurs descentes nocturnes...
Une compassion féminine implicite
Dans les rapports avec les vivants qui, ne l'oublions pas, constituent une part non négligeable de l'activité en médecine légale, être une femme s'avère un atout dans les plaintes pour violences, dans le sens où cela facilite l'intimité avec les femmes qui en sont victimes: "Elles se sentent rassurées devant une femme médecin et vont se livrer plus facilement - par empathie, j'imagine, nous comprenons mieux leur situation", observe la Dre Vanhaebost. "En Brabant wallon, nous n'avons pas encore de CPVS, c'est donc toujours nous, légistes, et non une infirmière, qui procédons aux examens en cas d'agression sexuelle. En présence masculine, de stagiaires par exemple, les femmes peuvent être mal à l'aise et elles osent moins raconter tout ce qu'il s'est passé."
Les féminicides sont-ils plus difficiles à supporter pour une femme? "J'y suis particulièrement sensible car ils réveillent en moi un sentiment d'injustice. Je vais me sentir encore davantage impliquée, alors que je le suis pourtant déjà dans tout ce que je fais", note la médecin spécialiste. Quant aux infanticides, leur caractère choquant n'est pas spécialement genré: "Je n'ai pas d'enfant personnellement, mais tous mes collègues, même les hommes, me disent que c'est quelque chose qui se développe très fort dès qu'on devient parent."
Sexisme ordinaire sur le terrain
Le quotidien donne parfois lieu à des scènes de "sexisme ordinaire"... dont notre légiste se passerait volontiers! "Quand mon collègue arrive sur le terrain, on l'appelle toujours "Docteur" alors que moi, c'est "Mademoiselle", c'est assez énervant! Dans le milieu policier, il y a encore des comportements paternalistes... Et j'ai dû modifier mon nom sur Facebook pour qu'on ne puisse plus me retrouver car je recevais des messages privés de policiers rencontrés lors de descentes."
La Dre Vanhaebost faisant plus jeune que son âge, il n'est pas rare, non plus, qu'on la prenne pour une secrétaire, voire une stagiaire... "Dans le cadre d'expertises judicaires, quand je suis face à des médecins conseils âgés, je sens qu'ils s'interrogent pour savoir si c'est bien moi l'expert! En cour d'assises, j'essaie de 'dégenrer' mon témoignage car je sais que l'a priori qu'un juré peut avoir sur un expert va jouer sur la crédibilité qu'il lui donne, or c'est un des enjeux aux assises. J'ai aussi remarqué que si vous avez huit femmes et un seul homme à compétences égales dans un service, on va avoir tendance à penser que c'est l'homme qui dirige... Mais pourquoi donc? Cela reste ancré dans certaines attitudes, comme une forme de 'machisme sociétal'. J'essaie de ne pas en faire grand cas car ce serait épuisant tant c'est répétitif..."
La médecine légale se conjuguerait-elle de plus en plus au féminin? Nul doute dans la fiction, où font florès des personnages comme Alexx Woods dans la série TV "Les Experts", Megan Hunt dans "Body of Proof", Julia Ogden dans "Les enquêtes de Murdoch" ou encore la Française "Alexandra Ehle". Dans son cas, c'est à Kay Scarpetta, héroïne des romans de Patricia Cornwell, que Jessica Vanhaebost, cheffe de clinique adjointe aux Cliniques universitaires Saint-Luc depuis 2019, doit sa vocation. "J'ai choisi la médecine pour être légiste. J'étais alors l'unique candidate à cette spécialisation, mais il ne s'ouvrait une place que tous les cinq ans", rembobine la jeune femme. Et de rappeler: "Notre financement ne dépend pas de l'Inami mais du SPF Justice, il est difficile de financer des assistanats juste avec les barèmes de frais de justice!"Il en faut toutefois plus pour arrêter la jeune diplômée de l'UCLouvain. Elle s'éclipse donc deux ans en Suisse pour mettre sa vocation au service du Centre universitaire romand de médecine légale (Lausanne), puis rentre à Bruxelles pour son master de spécialisation avec, déjà, une solide expertise. C'est également en Suisse, à Genève plus précisément, que Jessica Vanhaebost termine actuellement sa thèse. Plusieurs femmes l'ont précédée en médecine légale. La plupart se sont réorientées vers l'anatomopathologie à l'heure de la maternité. "À Saint-Luc, nous sommes deux désormais: une collègue fraîchement diplômée m'a rejointe en janvier", se réjouit la Dre Vanhaebost (une troisième médecin fait actuellement son stage en anatomie pathologie, NdlR). "Liège compte une étudiante en première année et il n'y en a pas à Charleroi. La spécialité se féminise en Flandre, qui compte plusieurs assistantes à Anvers et Louvain. En réalité, c'est davantage un problème de financement que de vocations", analyse notre interlocutrice, secrétaire de la Société royale de médecine légale de Belgique et qui aspire à en devenir la première femme présidente. "Les difficultés sont plus inhérentes à la médecine légale - et à la médecine en général, dont les horaires compliquent la vie de famille - qu'au fait d'être une femme. Heureusement, la subvention pour le nouvel IML va nous permettre de former davantage d'assistants et d'avoir une vie plus équilibrée."Car la charge de travail est lourde. Les trois légistes en charge pour les parquets de Bruxelles et du Brabant wallon effectuent en moyenne dix jours et demi de garde par mois. Garde qui se décline en quatre jours et demi d'affilée minimum, 24h/24. Entre deux et cinq à six missions par nycthémère, "souvent le soir, car les cadavres sont généralement découverts après le travail". Les agressions sexuelles se déroulent souvent au retour de soirées, le légiste est requis selon le moment où la victime se manifeste. Puis, comme dans toute garde médicale, il faut, derechef, enchaîner avec un nouveau jour... "Or la médecine légale, ce sont beaucoup de rapports à rédiger, très complets et littéraires pour être compréhensibles, ce qui exige une grande concentration", souffle la légiste. Pas simple de mobiliser le meilleur de ses capacités cognitives après plusieurs descentes nocturnes... Dans les rapports avec les vivants qui, ne l'oublions pas, constituent une part non négligeable de l'activité en médecine légale, être une femme s'avère un atout dans les plaintes pour violences, dans le sens où cela facilite l'intimité avec les femmes qui en sont victimes: "Elles se sentent rassurées devant une femme médecin et vont se livrer plus facilement - par empathie, j'imagine, nous comprenons mieux leur situation", observe la Dre Vanhaebost. "En Brabant wallon, nous n'avons pas encore de CPVS, c'est donc toujours nous, légistes, et non une infirmière, qui procédons aux examens en cas d'agression sexuelle. En présence masculine, de stagiaires par exemple, les femmes peuvent être mal à l'aise et elles osent moins raconter tout ce qu'il s'est passé."Les féminicides sont-ils plus difficiles à supporter pour une femme? "J'y suis particulièrement sensible car ils réveillent en moi un sentiment d'injustice. Je vais me sentir encore davantage impliquée, alors que je le suis pourtant déjà dans tout ce que je fais", note la médecin spécialiste. Quant aux infanticides, leur caractère choquant n'est pas spécialement genré: "Je n'ai pas d'enfant personnellement, mais tous mes collègues, même les hommes, me disent que c'est quelque chose qui se développe très fort dès qu'on devient parent."Le quotidien donne parfois lieu à des scènes de "sexisme ordinaire"... dont notre légiste se passerait volontiers! "Quand mon collègue arrive sur le terrain, on l'appelle toujours "Docteur" alors que moi, c'est "Mademoiselle", c'est assez énervant! Dans le milieu policier, il y a encore des comportements paternalistes... Et j'ai dû modifier mon nom sur Facebook pour qu'on ne puisse plus me retrouver car je recevais des messages privés de policiers rencontrés lors de descentes."La Dre Vanhaebost faisant plus jeune que son âge, il n'est pas rare, non plus, qu'on la prenne pour une secrétaire, voire une stagiaire... "Dans le cadre d'expertises judicaires, quand je suis face à des médecins conseils âgés, je sens qu'ils s'interrogent pour savoir si c'est bien moi l'expert! En cour d'assises, j'essaie de 'dégenrer' mon témoignage car je sais que l'a priori qu'un juré peut avoir sur un expert va jouer sur la crédibilité qu'il lui donne, or c'est un des enjeux aux assises. J'ai aussi remarqué que si vous avez huit femmes et un seul homme à compétences égales dans un service, on va avoir tendance à penser que c'est l'homme qui dirige... Mais pourquoi donc? Cela reste ancré dans certaines attitudes, comme une forme de 'machisme sociétal'. J'essaie de ne pas en faire grand cas car ce serait épuisant tant c'est répétitif..."