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Vous avez dit " menace " et " incertitude " ? " Dans le contexte actuel, la menace est représentée par ce virus invisible qui nous entoure et l'incertitude par la date de sortie du confinement et par ce qui se passera quand on en sortira ", précise la Pr Laurence Ris qui dirige le service de Neurosciences à l'UMons. La neurobiologiste rappelle que l'hippocampe permet de contextualiser, l'amygdale de reconnaître la menace et de réagir, quant au cortex préfrontal, il gère le doute et l'incertitude. " Ce système fonctionne très bien pour l'apprentissage : quand on étudie, on commence par observer, par détecter une lacune, un signal d'erreur est généré qui va entraîner une recherche d'information, c'est ce qui donne la motivation nécessaire pour apprendre de nouvelles choses. Si ce système d'apprentissage est perturbé parce que le contexte change trop souvent et qu'on n'a pas le temps de s'adapter, parce que l'information est contradictoire, pléthorique, lacunaire... le cortex préfrontal ne peut plus gérer cette erreur ." Quand le conflit est trop important, on développe de l'anxiété, continue-t-elle : " Ce système d'anxiété est associé à l'amygdale, on déclenche une inhibition comportementale c'est-à-dire qu'on supprime la motivation et on empêche les nouveaux apprentissages. Si à cette incertitude on rajoute une menace qui stimule directement l'hippocampe, l'anxiété augmente." Dans la situation actuelle de confinement, nous devons donc faire face à deux problèmes : " L'incertitude liée au fait qu'on reçoit beaucoup d'informations, mais qu'elles ne nous permettent pas de prédire ce qu'il va se passer. C'est un système qui est difficile à gérer et qui peut potentiellement mener à de l'anxiété. On ajoute à cela la menace, dans ce cas-ci c'est la maladie, le fait de risquer de perdre un proche et son travail... L'anxiété n'est pas a priori anormale, mais elle peut devenir paralysante lorsqu'elle dure et augmente ." Laurence Ris explique que pour permettre au cerveau de reprendre le contrôle, il faut remettre en marche le système d'apprentissage, en utilisant son corps et son esprit. Côté corps, en faisant de l'exercice physique et en contrôlant sa respiration (cohérence cardiaque : trois à cinq minutes de respiration lente et contrôlée par jour). " L'exercice physique est bénéfique à court terme parce qu'il déclenche la libération d'endorphines au niveau cérébral et, à long terme, il a un effet positif sur le fonctionnement du cerveau, en particulier sur l'hippocampe qui est très important pour gérer le contexte ." Coté esprit, en faisant de la méditation et en utilisant son système de récompense ou système limbique. " Celui-ci aide l'apprentissage parce qu'il récompense le cerveau lorsque le comportement généré est adéquat, et diminue la récompense s'il y a une erreur. Il y a renforcement du comportement par libération de dopamine qui génère une sensation de plaisir. Même si on ne va pas au bout de son comportement, le fait d'anticiper et de prédire son succès va déjà générer une libération de dopamine. Malheureusement, si on est déçu, si on n'a pas le résultat escompté, on retourne dans le système erreur de prédiction, diminution de dopamine et il faudra un réajustement, un réapprentissage pour corriger le comportement. " Comment utiliser son système limbique en pratique ? " Il faut arriver à trouver des actions, se fixer des objectifs à très court terme, faciles à réaliser. Par exemple, trier ses vêtements, les donner, apprendre via les outils numériques un instrument de musique, une langue... Engranger des petits succès va permettre d'activer le système de récompense et casser cette boucle de la déception. Il faut éviter de se projeter trop loin, de mettre en place des stratégies qui ne mèneront pas à des résultats immédiats. " C'est particulièrement important pour les enfants, insiste la spécialiste : " Il faut qu'ils puissent agir dans leur environnement et être récompensés pour les actions qu'ils mettent en place. Par exemple, aider à faire à manger, à débarrasser... ces petites actions peuvent être récompensées pour permettre à leur système de fonctionner. Pour l'instant, la difficulté de l'apprentissage à domicile c'est que s'il n'y a pas d'évaluation, il n'y a pas de retour d'information : on ne sait pas pourquoi on travaille, ni si c'est efficace. " La méditation et les exercices de pleine conscience sont l'autre levier pour agir sur le cerveau. " La relaxation, réfléchir à ce qu'on fait et à la position de son corps sont déjà bénéfiques à court terme. À long terme, ces exercices de méditation et de pleine conscience vont permettre de maîtriser ses sensations et ses émotions et donc de reprendre le contrôle. On ne peut pas tout contrôler mais si on décide de la position exacte de notre corps à un moment donné, de bouger ou non... Si on se rend compte de la puissance de notre cerveau, on reprend le contrôle sur notre corps, sur notre environnement et on réduit ainsi notre impuissance. " " Au retour des enfants à l'école, il va falloir les laisser s'exprimer et ne pas faire comme si rien ne s'était passé. Il s'est passé quelque chose, il est très important d'en tenir compte et de laisser une phase de réadaptation. Quand on change d'environnement, il faut deux à trois mois pour s'y adapter. Reprendre les apprentissages ne sera pas une chose simple, cela demandera d'y aller progressivement et de s'adapter aux enfants ", conclut Laurence Ris.