...

Mademoiselle L. à qui on a diagnostiqué une tumeur de la glande pinéale, au centre du cerveau, consulte un neurochirurgien en la personne du Dr B. A l'issue de la consultation, il est décidé, compte tenu du risque de malignité, de procéder à une opération chirurgicale pour son exérèse. L'intervention programmée est effectuée sur la patiente placée en décubitus ventral. A l'issue de celle-ci, la patiente se retrouve aux soins intensifs entre la vie et la mort, ce dont on informe son époux sans lui apporter d'explication claire. Finalement, il lui est précisé qu'un hématome très important de type extradural frontal s'est formé pendant l'opération. L'hématome s'est développé dans la région frontale, hors champ opératoire et à l'opposé de celui-ci. La pression provoquée par l'hématome a empêché la poursuite de l'opération. Il a fallu d'urgence, et après un scanner, ouvrir le crâne au-dessus du front pour ponctionner l'hématome qui est à l'origine de l'engagement cérébral et du coma. Dès lors que l'intervention chirurgicale a été interrompue, la tumeur n'a été extraite qu'à 50% environ et un résidu de celle-ci a subsisté à l'intérieur de la glande pinéale du cerveau de la patiente. Cette dernière est finalement sortie du coma plusieurs mois après l'opération dans un état végétatif et est décédée quelques années plus tard en raison de la croissance du résidu tumoral. Saisi d'une plainte de l'époux, des parents et des frère et soeur de mademoiselle L., le juge d'instruction désigne un collège d'experts qui conclut à l'absence de manquement dans le chef du neurochirurgien. Selon les experts, la décision d'arrêter l'intervention chirurgicale était une décision correcte et le fait de ne pas avoir pensé à la possibilité d'un hématome cérébral ne peut être reproché au praticien compte tenu du caractère vraiment très rare de la complication intervenue. Suivant le collège d'experts, la survenance d'un hématome extradural dans le cadre d'une intervention de la fosse postérieure est particulièrement rare et " le risque qu'un oedème cérébelleux cache un hématome extradural à distance est de 0,0...pour cent". Les suites de son intervention ont, selon les experts, également été pratiquées dans les règles de l'art. Devant les juridictions correctionnelles, chaque partie défend son point de vue. La famille soutient, sur base du rapport de son médecin conseil que l'imagerie a été effectuée tardivement. Il y a eu une perte de temps entre l'apparition d'un oedème cérébelleux et le diagnostic de l'existence d'un hématome extradural bifrontal hors champ opératoire, ainsi que pour le drainage de l'hématome, près de quatre heures après son apparition. Le neurochirurgien expose, quant à lui, que l'apparition de l'hématome extradural bifrontal, hors champ opératoire, était imprévisible étant donné la position de la patiente en décubitus ventral. La complication rencontrée est très rare et méconnue en position ventrale. Après examen du rapport d'expertise, du dossier médical, des rapports des médecins et des thèses des parties, la Cour relève que l'apparition d'un hématome hors champ opératoire et en cours d'opération du cerveau n'est pas un phénomène imprévisible car renseigné par la littérature et que des mesures préventives ont d'ailleurs été prises pour éviter à mademoiselle L. l'apparition de ce risque. En effet, c'est précisément en raison de ce risque opératoire qu'elle a été placée en position ventrale, tête déclive, avec choix d'un abord supra-cérébelleux ce qui requiert une flexion maximale de la tête. Ainsi, "dans ces circonstances et alors que la médecine est une science évolutive, il n'est pas acceptable qu'un neurochirurgien confronté à une complication qu'il ne s'explique pas, étant une augmentation de la pression intracrânienne, ignore ou évacue d'emblée une hypothèse qui, selon sa propre formule, se rencontre dans tous les services et ce, parce qu'elle ne trouve pas, en l'espèce, d'explication théorique". Le chirurgien aurait dû de toute urgence faire réaliser un CT-Scan, lequel allait permettre de découvrir la cause de l'oedème, et de le traiter secondairement ce que lui a d'ailleurs conseillé de faire le Pr B. appelé pour avis une heure plus tard. Les fautes étant établies, la Cour relève cependant qu'il ne peut être affirmé avec un degré de certitude suffisant que, sans la faute du médecin, la patiente ne serait pas décédée des suites de la croissance du restant de la tumeur. La prévention d'homicide involontaire n'est donc pas établie contrairement à celle de coups et blessures involontaires qui l'est dès lors que c'est bien l'absence de diagnostic précoce de l'hématome extradural bi frontal qui a entraîné l'état végétatif de la patiente. En effet, un hématome opéré dans les plus brefs délais ne laisse, en règle, aucune séquelle. Cette décision peut paraître, au premier abord, sévère. La Cour s'écarte, en effet, des conclusions des experts qui constituent un avis qui ne la lie pas. Par ailleurs, il semble admis que la complication survenue est plus que rarissime en position ventrale et n'a apparemment été envisagée par aucun des médecins présents. Cependant, le comportement du chirurgien doit être apprécié dans le contexte global de l'intervention. A ce sujet, le médecin-conseil de la famille avait relevé que "devant l'absence de diagnostic de la situation empirant de façon constante, un chirurgien normalement prudent et diligent aurait dû dès 13 heures-13 heures 30 et avant que la situation ne devienne irréversible interrompre un geste opératoire qui avait atteint une bonne part de son objectif montrant le caractère particulièrement lentement évolutif de la lésion dont souffrait L. Un chirurgien normalement prudent et diligent aurait pris la décision empreinte de bon sens du professeur B. lorsqu'il a été appelé pour avis", soit d'effectuer un CT-scan qui est l'unique moyen de diagnostiquer un hématome extradural. Selon la Cour, confronté à l'inefficacité des mesures classiques destinées à combattre un oedème qu'il ne comprenait pas, le neurochirurgien aurait dû rechercher la cause de la complication qui se présentait à lui et diriger au plus vite sa patiente vers un CT-Scan pour obtenir une imagerie du cerveau. La faute pointée par la Cour est ainsi d'avoir poursuivi l'exérèse de la tumeur malgré la persistance de la complication grave subie par la patiente et en dépit de l'absence de diagnostic de la situation. Et c'est dans ce contexte que la Cour estime qu'un médecin normalement prudent et diligent ne peut d'emblée écarter une hypothèse qui, selon sa propre formule, se rencontre dans tous les services et ce, parce qu'elle ne trouve pas, en l'espèce, d'explication théorique vu la position ventrale. De ce point de vue, la décision de prime abord sévère, apparaît justifiée d'autant que la faute, même la plus légère, suffit à engager la responsabilité du médecin. Cette responsabilité est parfois très lourde et justifie d'ailleurs la souscription d'une assurance de responsabilité dont il convient de vérifier le plafond d'intervention, de surcroît pour un neurochirurgien vu les séquelles possiblement très handicapantes.