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À propos du Covid long, par assimilation avec la syphilis à la fin du 19e siècle, le Pr Michel Goldman parle de "grande imitatrice du 21e siècle" pouvant mimer de nombreuses autres maladies, infectieuses ou autres. Classiquement, le Covid long répond à une définition plus ou moins bien codifiée. Comment concilie-t-il cette tentative de "codification" avec la disparité des symptômes à laquelle il fait allusion en parlant de "grande imitatrice"? "S'il est vrai que certains chercheurs ont proposé une classification des différentes formes de Covid long, il n'y a pas de consensus à ce sujet, et il faut s'en tenir aujourd'hui à la définition de l'Organisation mondiale de la santé: 'Le diagnostic de Covid long est posé chez les personnes qui développent des symptômes persistants dans les suites d'une infection par le Sras-CoV-2, confirmée ou probable, après exclusion des autres causes possibles.' L'absence de marqueurs biologiques du Covid long complique évidemment la démarche diagnostique. Lorsque des dysfonctionnements cognitifs, une dépression, une fatigue associée à des douleurs musculaires, des troubles du sommeil ou de l'hypotension lors du passage à la position debout sont présents, il est difficile voire impossible de distinguer le Covid long de l'encéphalomyélite myalgique ou la fibromyalgie. Il s'agit là d'entités cliniques mal définies et dont certains nient même la réalité", explique le Pr Goldman. "Pourtant, il est établi qu'elles peuvent se développer après une mononucléose infectieuse causée par le virus d'Epstein-Barr, mais aussi au décours du syndrome respiratoire aigu sévère (Sras) et du syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS), qui sont causés par des coronavirus apparentés au Sras-CoV-2. Le Covid long peut donc être considéré comme un syndrome post-viral d'un type similaire."Le journal du Médecin: Vous parlez d'un "effet apparemment protecteur" de la vaccination contre le développement d'un Covid long, voire "une action partiellement bénéfique sur un Covid long installé". Pr Michel Goldman: En fait, les effets de la vaccination sont difficiles à établir, comme très bien discuté dans un éditorial récent du British Medical Journal2. Chez les sujets qui ont développé le Covid après avoir été vaccinés, la vaccination préalable à l'infection réduit le risque de Covid long d'environ 50%, selon une étude anglaise. Chez les patients souffrant de Covid long, le bénéfice de la vaccination est visible après la deuxième dose, mais l'effet à long terme reste à établir. En-dehors de la vaccination et des antiviraux, vous évoquez, pour le traitement, le recours à des traitements symptomatiques apparentés à ceux utilisés dans le syndrome de fatigue chronique. Différentes options thérapeutiques sont à l'étude. Parmi les approches médicamenteuses, mentionnons la nicotinamide riboside, la vitamine C à haute dose et la mélatonine. Des biopharmaceutiques à activité anti-inflammatoire comme le tocilizumab et le leronlimab sont aussi en investigation. Lorsque l'atteinte respiratoire est à l'avant-plan, le montelukast, la deupirfenidone et l'oxygénation hyperbare ont été proposés. Des approches non-pharmacologiques ont également été suggérées: exercice physique contrôlé, thérapies comportementales... Cette large panoplie traduit en fait notre ignorance des stratégies thérapeutiques les plus appropriées. À quoi attribuez-vous le rebond d'activité virale induit par les antiviraux? Ce phénomène de rebond a essentiellement été décrit avec l'association nirmatrelvir et ritonavir. Il est vraisemblablement lié au fait que l'exposition du virus au médicament pendant cinq jours seulement est trop brève pour assurer son élimination complète. Il ne semble pas que des phénomènes de résistance soient impliqués. Dans le développement d'un Covid long, par quel biais pourrait intervenir l'EBV? Et les désordres immunologiques (réactions auto-immunes)? Le syndrome post-viral le plus classique est celui qui survient au décours de l'infection à EBV. Or, le COVID-19 favorise la réactivation du virus EBV, sans doute en raison d'une baisse de l'activité des lymphocytes T CD8 cytotoxiques. Ceci dit, d'autres facteurs interviennent sans doute également dans le Covid long. La persistance du virus Sras-CoV-2 lui-même en fait partie, comme le suggère une étude démontrant la présence de l'ARN viral et des antigènes viraux dans la muqueuse intestinale des patients qui ont souffert du Covid. Une cicatrisation incomplète des lésions inflammatoires ou thrombotiques précoces pourrait aussi expliquer plusieurs symptômes persistants, notamment pulmonaires. Enfin, des phénomènes d'auto-immunité pourraient également jouer un rôle, en particulier via les anticorps anti-nucléaires et les anticorps neutralisant l'interféron-a. Il s'agit aujourd'hui de faire le tri entre ces différentes hypothèses pour comprendre les mécanismes intimes du Covid long, étape indispensable pour le développement de traitements efficaces. Il faut espérer que l'initiative récente lancée par 20 chercheurs américains de haut niveau, soutenus par un budget de 100 millions de dollars, contribuera à élucider tant le Covid long que les syndromes post-viraux apparentés. Enfin, à propos de l'idée que le Covid long, si l'on n'y prend garde (action vigoureuse entreprise dès maintenant ) serait à l'origine d'une situation désastreuse en termes de santé publique, ne pensez-vous pas que l'épidémie planétaire de Covid en 2020, avec son lot de décès, d'hospitalisations et de graves perturbations économiques, était déjà une véritable catastrophe en soi? Bien entendu! Mon point de vue est le suivant: si le risque d'une nouvelle vague d'infections par le coronavirus Sras-CoV-2 ne peut être écarté, tout laisse à penser que grâce à la couverture vaccinale, la grande majorité de la population échappera aux formes graves. Seules les personnes immunodéprimées qui ne sont pas protégées par les vaccins resteront vulnérables. Pour autant, nous ne serons pas quittes de la pandémie. Le Covid long continuera à peser pendant de longs mois, voire des années, sur la santé publique à travers les conséquences à long terme de l'infection.