...

T rois moments clés dans le déroulement de toute consultation: - L'entrée se déroule quasi indépendamment du médecin, sauf pour les habitués ou les touchés par le bouche à oreille, déjà une preuve de confiance. La liberté de consulter un médecin de son choix est un heureux marqueur de la culture politique belge ; la proximité d'un cabinet, d'une polyclinique ou d'un hôpital et la disponibilité des agendas font le reste. Et en cas d'urgence? Les réactions des proches, des passants, des téléphonistes, la police, les pompiers ou les ambulanciers forment une chaîne de contributions à l'accès aux soins, encadrée par la règle du service d'urgence le plus proche, assortie d'une flexibilité bien belge. - La démarche médicale amorce un renversement complet. Une fois connu le motif du contact, le médecin et son savoir prennent le dessus. Et au-delà du savoir, les aptitudes relationnelles, base des fonctions généralistes, nourrissent la confiance. - La sortie est le moment le plus délicat: le médecin doit passer le relais au patient. Au premier de bien expliquer, au second de comprendre les prescriptions et de les appliquer. La possibilité de contacts ultérieurs avec le généraliste ou le patient pour ajuster le traitement consolide la confiance. Il faut continuer à réfléchir aux espaces de liberté que les médecins peuvent encore ouvrir avec leurs bâtons de savoirs et de pouvoirs, malades et médecins étant eux-mêmes assaillis de perches tendues de tous les étages de la société. Les productions sérieuses ou mensongères sur la toile, les réseaux sociaux et les médias, l'inflation de lois et règlements, les intérêts hypocritement cachés derrière de belles paroles... bouleversent l'art d'étayer la confiance avec les patients. Ceci me ramène à la métaphore du crocodile et du triple bâton, de la science, du sens et de la valeur ( lire JDM 2623). Finie la science clivante entre les experts omniscients et les profanes ignorants. "Nous négocions sans cesse" me dit un collègue. Cela veut dire écouter les patients, leurs familles, leurs expérience antérieures et les accompagnants. "Pas le temps" me dit un médecin surchargé, "que des communicateurs, des médiateurs et des psychologues s'en occupent". Décidément, les bâtons de ma science doivent se joindre à beaucoup d'autres, quitte à les remettre à leur place ou réajuster les miens. Valorisation financière des "docteurs" Le bâton du sens intervient surtout au moment des décisions délicates, opérer ou ne pas opérer, hospitaliser ou attendre, prendre un traitement de dernier recours, intuitif et controversé ou s'en tenir aux classiques, décision juridiquement rassurante pour le médecin, pas nécessairement la meilleure pour le patient. Enfin, le bâton de la valeur s'accroche aux questions brandies périodiquement par les mutuelles sur la valorisation financière des "docteurs". Je suis à l'aise pour en parler, n'ayant jamais gagné les montants que les donneurs de leçons mutualistes très désintéressés annoncent au public. Pour ma part, je soigne tout le monde et n'entends pas me laisser dicter des prix fixes pour mes prestations tout en trouvant normal que le politique se préoccupe d'équité dans l'accès aux soins, mais alors avec des règles intelligentes, ce qui est loin d'être le cas. Ce bref tour de piste montre combien les individus se meuvent de plus en plus dans des dédales de règlements les plus fous, avec des intervenants légitimés moins par des connaissances que par des rôles dictés par un état dysfonctionnel et envahissant, mais aussi protecteur, arbitre de tous les conflits que les citoyens ne parviennent pas à régler eux-mêmes comme des adultes majeurs et vaccinés. Pour corser le tout, mais peut-être aussi apporter des solutions, toutes ces relations de savoirs et de pouvoirs passent désormais par des systèmes informatiques encore en pleine phase d'apprentissage pour leurs concepteurs et leurs utilisateurs. Sans oublier les convoitises autour de l'argent de la santé. En médecine, comme ailleurs, les démocrates doivent se retrousser les manches.