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En 2021, le centre a reçu 22.000 appels, soit 20% de plus que l'année précédente. Le CPS avait déjà constaté une intensification de son activité l'année d'avant: 24% d'appels en plus qu'en 2019, aussi bien sur la ligne d'écoute 0800.32.123 que dans les consultations pour l'accompagnement de la crise suicidaire. Dans les deux bilans précédents (publiés en juin et novembre 2020), le CPS avait déjà conclu que la crise sanitaire était en grande partie responsable de l'amplification du processus des crises suicidaires, reconnaissant que celles-ci sont malgré tout multi- factorielles. Les conséquences socio-économiques de la crise ont participé à une augmentation des facteurs de risque suicidaire (instabilité des systèmes de sécurité, faillites, pertes d'emploi, etc.), et de nombreuses personnes en sont ressorties fragilisées. Ce sont les adolescents qui sont le plus particulièrement touchés, constate le CPS. Nombre d'entre eux voient leurs perspectives d'avenir se réduire. Beaucoup n'ont pas non plus accès à un environnement social solide. Et la souffrance entraîne souvent l'isolement. Cette précarité sociale inquiète fortement le Centre de prévention du suicide. "L'adolescence est une période de construction en termes d'identité personnelle, de liens sociaux, d'appartenance à un groupe et aussi en termes de projets", explique Sophie Simal. "Or on constate beaucoup de changements pour cette tranche d'âge. La crise sanitaire semble avoir amoindri toutes les possibilités de projets dans un futur qui peut paraître incertain, décrit comme sombre et négatif, non seulement par rapport à la crise sanitaire mais aussi avec les problèmes environnementaux qui ont été mis en avant ces dernières années."D'autant plus que l'école n'est plus vue comme un lieu positif où il peut y avoir des moments festifs, où l'on peut se faire des amis, et où il y a des activités en groupe, soutient la psychologue. "Il y a un grand isolement qui s'est créé, provoquant un danger pour le décrochage scolaire. Et tous ces facteurs entraînent une sorte de fatalisme de la part des adolescents, augmentant les facteurs de risques suicidaires", poursuit-elle ."Par ailleurs, l'adolescent perçoit que tout le monde est touché par cette crise sanitaire. Il le voit dans sa famille, via les familles des amis mais aussi à travers les médias. Et il peut y avoir une peur chez eux d'être un poids supplémentaire pour les adultes et leur entourage, et une peur potentielle de s'exprimer par rapport à cette souffrance. Cela entraîne un isolement que l'on observe clairement sur la ligne d'écoute et dans les entretiens pour crise suicidaire. Et le fait de ne pas pouvoir exprimer tout ça augmente les facteurs de risques suicidaires", témoigne la psychologue. "Sur la ligne d'écoute, il y a parfois des adolescents de 12, 13 ans, ce qui n'est pas anodin", constate Sophie Simal . "C'est un âge où l'on est censé sociabiliser avec ses pairs. Dans les entretiens, par contre, on a pu remarquer une augmentation de la tranche d'âge d'adolescents et de jeunes adultes de moins de 30 ans."Dans le dernier bilan du CPS, les consultations pour accompagner la crise suicidaire, qui avaient connu une forte hausse de 50.9% en 2020, n'ont pas été en baisse non plus, ce qui indique un nombre de patients toujours aussi important nécessitant un suivi pour idées suicidaires. Le suicide ne doit pas être un tabou insiste le CPS. " En parler ne va pas accélérer le processus suicidaire ou intensifier les idées négatives", rajoute Sophie Simal . "C'est une idée reçue qu'il est essentiel de déconstruire, parce que cela peut parfois empêcher le dialogue. Or engager la parole permet justement de diminuer l'angoisse, et les tensions psychiques internes. La personne qui a des pensées suicidaires a le droit de ressentir ce qu'elle ressent et elle doit pouvoir en parler." "Face à une crise suicidaire, chacun peut agir à son échelle", rappelle-t-elle. " Le suicide peut toucher tout le monde ; tous les âges, toutes les classes sociales, et tous les milieux socio- économiques.Et il n'y a pas que les psychologues, les psychiatres et les médecins qui peuvent agir. On peut toujours écouter sans juger, sans minimiser, généraliser, ou culpabiliser les pensées suicidaires et orienter vers les ressources spécialisées. Parce qu'une souffrance qui ne s'exprime pas, va s'intensifier avec le temps."Par ailleurs, il faut pouvoir agir en fonction de ses propres limites. Car pour prendre soin de l'autre, il faut d'abord prendre soin de soi avant tout. Et il est essentiel de faire appel à un tiers, si on ne se sent pas à l'aise, insiste la psychologue. "Le suicide est directement lié à la mort, qui crée du stress, de l'angoisse et des émotions avec lesquelles nous ne sommes pas à l'aise", explique la psychologue . "Il nous positionne face à notre propre mort. Et je ne culpabilise personne. Il est légitime de ne pas être à l'aise avec l'idée du suicide, parce que la mort n'est pas un sujet abordé tous les jours en famille ou en société.""D'autant plus que nous vivons dans une société où priment de plus en plus la joie de vivre et le positivisme. Et la personne qui est dans des pensées suicidaires est freinée par rapport à ces idées de bien-être, et une culpabilité peut en découdre. Comme le dit Stromae dans sa chanson, on a des sentiments de culpabilité, de honte, qui peuvent émaner, et on en parle moins."Enfin, dans son bilan, le CPS constate le manque de message porteur d'espoir. " Nous avons besoin d'un discours porteur d'espoir qui dit qu'on va y arriver ensemble", insiste la psychologue. " C'est très important surtout pour les adolescents, parce que c'est maintenant que leur avenir se construit."