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Conformément à son ancienne (et bonne? ) habitude, Laurent Busine n'explique pas vraiment sa démarche, chaque salle étant simplement décorée d'un intitulé comme "La maison", "Le septième jour", "À notre image", laissant au visiteur le soin de comprendre par lui-même, de ressentir ce qu'il voit. En cela, Busine est un artiste, comme son père qui était peintre, chacun de ses espaces étant comme une installation, et cette exposition une oeuvre d'art 'signée' par sa manière d'exposer. Une approche souvent nostalgique: des oeuvres anonymes du passé voisinent avec des travaux d'artistes parfois célèbres et célébrés de l'art contemporain - certains décédés, pas toujours les meilleures pièces, d'ailleurs, dans le cas de Giuseppe Penone (pots de fleurs renversés, rochers à spots) ou de Louise Bourgeois: une araignée (tiens donc! ) certes, mais rikiki... Bon, parfois cela sent le copinage (de Braekeleer, pas inintéressant notamment dans la toile "Le jardin du jardinier", réaliste, mais plein d'atmosphère, est un aïeul de la compagne actuelle de Laurent Busine), ou Angel Vergara qui s'amuse systématiquement à effectuer un geste au pinceau sur les multiples scènes qu'il filme (de voisins, dans ce cas-ci). N'empêche, il y a des oeuvres superbes: celle de David Claerbout, entre vidéo et photographie, redonne à de vieux clichés l'émotion qu'ils méritent, obligeant le visiteur zappeur à ralentir le rythme, à réapprendre à regarder. Dans une autre salle, dans laquelle on croit deviner une allusion aux natures mortes, celle trouble, somptueuse, d'Ensor fait face de loin aux oeuvres inertes et embouteillées de Morandi. Le même célèbre Ostendais, dans une petite salle adjacente, présente au fusain une série de silhouettes flanquées d'une nature morte aux crânes stupéfiante de réalisme signée Henri Ottevaere... L'entrechoquement d'anonyme, de banal - une main radiographiée aux côtés d'une planche anatomique du 18e, oeuvre du peintre et graveur français Jacques Fabien Gautier d'Agoty, et d'une scène d'atelier où le peintre nu (un autoportrait? de Léon Frédéric) tient un squelette devant lui - fait sens, renforçant par moment le côté 'vanité' (vanitas) de cette exposition. Plus loin, deux crânes fusionnés d'enfants siamois sont confrontés à une sculpture genre Blob hideux de Damien Deroubaix, ce côté freak étant conclu par une peinture très Botero d'une femme-fille gironde par le peintre naïf et autodidacte Camille Bombois. Le thème du visage semble poindre parfois sous le titre énigmatique de "Rassembler ce qui est épars": une vidéo fixe de figures de Nicolas Gruppo ("Portraits des amoureux du Jardin Sainte-Claire") est mise en parallèle avec des planches anatomiques de visages exprimant la mollesse ou la douceur, complétées de deux grands portraits photographiques noir et blanc identiques d'un jeune garçon (Dead Owl) saisi par l'artiste new-yorkais Roni Horn. Sauf qu'en face, trône une autre "nature morte" filmée: celle d'un livre ouvert sur un rebord dont le vent fait tourner les pages... Une merveille, une fois de plus très memento mori contemporain, oeuvre de la plasticienne belgo-portugaise Natalie de Mello. Jouant de la comparaison, Busine présente les 30 dessins surréels frottés et hantés de Max Ernst face à ceux, enfantins, presque esquissés, perceptions parcellaires de la réalité de Joëlle Tuerlinckx, tandis qu'à côté, Marlène Dumas, dans "Vocabulary", confronte au travers de 20 aquarelles des bouts de corps humains (visages, bustes) avec des images d'animaux (serpents, escargots, ...). Le résultat peut parfois paraître abscons dans le cas de la vidéo chantonnée sur fond de gestes manuels de Laure Prouvost ("Song Sory Bred") ou de Pierre Bismuth dans son diorama montrant 80 images de vitres fracturées: deux artistes français travaillant à Bruxelles. "Les héros" se révèle un espace permettant à Busine le Carolo d'évoquer son long séjour à Mons et dans le Borinage. Le tableau grisonnant, comme souvent, de Luc Tuymans qui s'intitule "Saint Georges", même s'il s'agit de silhouettes regardant la mer accoudées à la digue, fait face à la photographie prise par Lewis Carroll d'Alice Liddell pour qui il a écrit "Alice au pays des merveilles" jouant avec un petit comparse à saint Georges et le Dragon: cliché sépia du début de la photographie, flanqué de trois têtes de mineurs de Constantin Meunier exposées à ses côtés. Enfin, dans "Villa mon rêve", il est surtout question de fleurs, celles en couleurs et en pleine nature pétulante de la verte Irlande de la photographe irlandaise Orla Barry, confrontées à celle en pot en noir et blanc de Charles Gaspard, surplombant des herbiers. Plus loin, une gravure étonnamment sexuelle et florale de Masereel, laquelle voisine elle-même avec un bouquet très sage et classique au crayon de Morandi, une grande photographie de Balthasar Burkhard d'un bouquet de roses qui semble vénéneuses malgré leur attirante rougeur, tandis que Bernd Lohaus esquisse magnifiquement à l'aquarelle les contours de fleurs dans une série qui prend des allures de gerbe. La vision d'un éden naturel paraît encore dans ce même vaste espace dans la vision naïve, idyllique, d'Edgard Tytgat intitulée "Invitation au Paradis", non loin d'un papier peint à la main du 19e siècle montrant la luxuriance de la faune et de la flore brésiliennes, sans la naïveté d'un Douanier Rousseau. Si la mélancolie s'invite encore dans la phototypie de trois tableaux de fleurs et plantes décoratives de Pierre Plauszewski (l'existence qui peu à peu se dessèche) et dans le polyptyque à sept panneaux réalisé avec des fleurs naturelles fanées de José Maria Sicilia, l'exposition se termine sur quelques clins d'oeil, celui de l'artiste suisse Marie-José Burki et son texte néon "Que pouvait bien raconter saint François aux oiseaux?" et surtout au travers d'une oeuvre de Walter Swennen, un petit tableau espiègle dans lequel s'inscrivent simplement les mots "Rubince, Memelinque, Breughèle, Rambran..." Ne manquent que Van Dick et van Ick... Poétique, rêveuse, mélancolique, nostalgique et surtout laissée libre à l'interprétation de chacun, cette exposition, qui confronte oeuvres anciennes et nouvelles, anonymes voire du quotidien, avec d'autres, signées, accordera tous les visiteurs sur un point: elle est "l'oeuvre" de Laurent Busine...