...

Né en 1928, Yves Klein, catholique d'origine néerlandaise et indonésienne par son père, au lendemain de la destruction du monde en 46, choisit, sur la plage de sa ville natale de Nice, le ciel ou la mer comme sujets de son oeuvre : deux abstractions que l'on trouve dans la nature (il est en cela précurseur du land art). Klein affiche ainsi sa volonté de se détacher de la matérialité : celle des objets, des corps et des édifices réduits en cendre par le cataclysme de la Seconde Guerre mondiale. Il n'est pas seul à privilégier cette approche : parmi ces créateurs, des citoyens des puissances défaites de l'Axe, le groupe zéro en Allemagne, le mouvement gutaï au Japon, les Italiens, de Manzoni à Fontana, et par ailleurs la constellation Nul aux Pays-Bas : un nombre vide qui est aussi le titre d'" Allemagne année zéro ", le film de Rossellini dont on peut voir un extrait ; il évoque la destruction guerrière, comme d'ailleurs la photographie de Lucio Fontana, que l'on voit arpentant les gravats de son atelier milanais en ruines à la fin de la guerre. Pour Klein, le ciel, tout comme le cosmos, correspond à la liberté. De même, le peintre japonais Shiraga réalise ses peintures avec les pieds, en se balançant au bout d'une corde, de peur de toucher la terre irradiée, et donc souillée. Les victimes du brasier atomique de Nagasaki et Hiroshima, soufflées et volatilisés par l'explosion vont resurgir dans la trace, celle que les corps de Klein fait "exécuter" dans ses fameuses anthropométries (celle de l'entrée s'intitule grande Anthropophagie bleue, Ce qui veut tout dire : l'homme est un loup pour l'homme) et auquel il donnera souffle en bleu. Ce bleu outremer (mer et ciel en quelque sorte) pour lequel il déposera un brevet : l'international Klein Blue en 1956. L'immatérialité, Klein va la trouver notamment dans le judo, qui n'est que geste et intensité corporelle plutôt que corps, et dont il deviendra un excellent pratiquant. Des judokas vêtus de blanc, couleur immaculée, symbole pour l'artiste de l'expérience spirituelle : ses monochromes flanquent des toiles toutes aussi virginales, notamment de Fontana, trouées par une béance, mais aussi celles des Allemands Holweck, Gunther Uecker, d'un autre Italien Manzoni ou des Japonais Kusama et Shiraga. Cette béance qui renvoie aux cratères d'explosion et aux déluges de feu, à la destruction, se voudra créatrice lorsque Klein utilisera la flamme comme un pinceau, irradiant comme la radioactivité la toile, pervertissant l'immaculé, mais aussi le magnifiant : Bernard Aubertin fait de même avec l'aluminium, Alberto Burri avec le plastique. A ce bleu troué par le feu, ce trou noir d'une inquiétante beauté, succédera un théâtre du vide et son fameux saut, immortalisé en soixante par Harry Shunk et Janos Kender, publié par Klein dans le Journal du 27 novembre de la même année soixante, lequel ne paraîtra qu'une seule fois. Tandis que Lucio Fontana et Jef Verheyen à Knokke exécutent une performance durant laquelle ils trouent la toile, Klein déplace son propos jusqu'en musique : la symphonie " Monoton-Silence" tient d'un côté un majeur très longtemps... suivi d'un silence complet tout aussi long. Son oeuvre totale, accompagnée d'artistes de la même période, révèle également des esquisses architecturales, projets de villes qui seraient selon ses termes flexibles, matérielles, spirituelles. Des photographies de performance du gutaï group, notamment de l'International Sky Festival d'Osaka où des ballons sont lâchés au gré des éléments, côtoient une sphère blanche, un corps d'air " Corpo d'aria " de Manzoni. Toujours cette idée de vide après la destruction, de petitesse de l'homme et même de l'artiste, quantité négligeable face aux déchaînements des éléments naturels ou pas. Klein recueille d'ailleurs les aléas des événements atmosphériques dans ses Cosmogonies, peintures réalisée par la pluie, les giboulées de mars ou en peignant des éponges en bleu. En cherchant l'âme plutôt que la matière (et l'émotion symbolisée par le bleu), lui qui tentera dans des monochromes qui ne seront pas tous bleu à en révéler la présence plus que l'inerte texture, l'astronaute de la peinture selon Arman peint jusqu'à des globes en bleu, alors que Spoutnik tourne autour de la Terre. Gagarine lui donnera raison quelques années plus tard, en décrivant notre planète vue du cosmos de cette même couleur. Ci-git l'espace est d'ailleurs l'installation épitaphe qui conclut l'expo face au Socle du monde, posé à l'envers, et dédié à Galilée par Manzoni. Cette exposition qui réunit des oeuvres venues d'un peu partout, d'Allemagne, d'Italie, du Japon et des États-Unis, offre un tableau vivant de l'oeuvre de Klein, permet d'en comprendre la cohérence et l'origine : il la partage avec d'autres survivants de la guerre, des vaincus pour la plupart, jeunes qui de l'effacement de leur pays choisiront de s'extraire, de s'élever. Un cliché résume cette approche : une photo de l'astre solaire (l'artiste français a peint des monochromes dorés), comme une oeuvre de Klein léchée par le feu, et prise le jour de la capitulation du Japon par l'artiste Hiroshi Hamaya. Regarder vers le soleil, lointain, immatériel, s'aveugler et passer l'histoire tragique... au bleu. Le ciel comme atelier : Yves Klein et ses contemporains jusqu'au 1 février 2021 au Centre Pompidou Metz, 1 Parvis des Droits de l'Homme. Metz.Renseignements : 00 33 3 87 5 39 39 centre-pompidou-metz.fr contact@centrepompidou-metz.fr ouvert tous les jours sauf le mardi de 10 à 18H.