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Pourquoi une telle différence selon le genre ? Les raisons sous-jacentes de la difficulté à détecter l'autisme chez les filles demeurent obscures. Face à l'absence d'explication biologique satisfaisante, Philippine Geelhand, qui est doctorante à l'Université libre de Bruxelles et membre depuis 2015 du groupe ACTE (Autisme en Contexte : Théorie et Expérience), a tenu à explorer la question. (*)Pour cette recherche, elle a été épaulée par Mikhail Kissine, le directeur d'ACTE, Philippe Bernard et Olivier Klein du CeSCuP (Centre de Recherche en Psychologie Sociale et Interculturelle) à l'ULB et Bob van Tiel du centre berlinois Leibniz de linguistique générale." Nous sommes partis de deux observations ", commente Philippine Geelhand, docteure en linguistique, qui a développé pendant son parcours académique un intérêt particulier pour les déficits linguistiques chez les personnes présentant des TSA mais aussi pour le genre et les biais socio-culturels dans ce trouble du comportement." D'une part, à symptôme égal de sévérité, les filles ont moins de chances d'obtenir un diagnostic d'autisme que les garçons sauf si elles ont des problèmes additionnels vraiment très visibles comme par exemple faire des crises, être agressives. D'autre part, elles sont diagnostiquées plus tard que les garçons. Donc on s'est dit qu'il devait y avoir un biais socio-culturel dans l'interprétation des comportements. "L'étude a démarré en 2016. Au total, 385 participants tout-venant ont été retenus dans l'échantillon final. Ils ont dû répondre à un questionnaire en ligne." Nous leur avons demandé de faire semblant d'être un parent, de lire des vignettes qui décrivent 'leur enfant', soit une fille, soit un garçon, âgé de cinq ans, ayant un certain comportement ", raconte Philippine Geelhand. " Cet enfant présente des symptômes autistiques modérés, ou assez sévères, ou pas de symptômes d'autisme. "" Pour réaliser les vignettes, je me suis basé sur l'ADI-R, à savoir l'Autisme Diagnostic Interview - Revise, un outil utilisé par les médecins. C'est une interview semi-structurée avec des parents auxquels on demande si leur enfant présente tel ou tel comportement. Chaque comportement est évalué par le clinicien en fonction de la sévérité. Mon but était d'être le plus proche possible de la réalité. "" Les descriptions dans les vignettes sont similaires ", poursuit Philippine Geelhand. " La seule chose qui change, c'est le sexe de l'enfant de manière à voir si cette variable a une influence sur les réponses des participants. Ceux-ci devaient nous dire s'ils trouvaient que le comportement de l'enfant, tel qu'ils l'observaient sur la vignette, était inquiétant sur une échelle de 1 à 7 et si cela les amènerait à consulter un professionnel de la santé. Pour cette partie de l'interview, le sexe n'a pas eu d'influence. "" Par contre, un effet du sexe a bel et bien été relevé dans la condition de projection future. Les parents devaient en effet aussi nous indiquer s'ils pensaient que leur enfant, une fois adolescent, serait perçu comme atypique par ses pairs. Nous avons constaté qu'un comportement un peu atypique n'est pas spécialement un signal d'alerte pour les parents quand il s'agit d'une fille. Ils se disent qu'en grandissant, cela va s'améliorer parce qu'une fille, d'après nos stéréotypes, aurait plus de capacités sociales. C'est un constat qui avait déjà été établi par la littérature scientifique pour des enfants avec un comportement cross-genre. Un garçon qui se comporte comme une fille, c'est plus inquiétant que l'inverse. "Ce dernier résultat est important. Il démontre que les filles sont vraiment défavorisées, qu'elles ne seraient pas diagnostiquées en partie à cause de biais socio-culturels liés au genre." À symptômes égaux, un enfant de cinq ans a plus de chances d'être perçu comme 'atypique à l'adolescence' s'il est un garçon, et par conséquent, aura plus de chance d'être emmené chez un professionnel pour poser un diagnostic. Une fille, c'est seulement au moment où elle arrive à l'adolescence que l'on va réellement s'inquiéter de son comportement atypique, ce qui explique un diagnostic tardif, voire l'absence de diagnostic. "" Ce constat nous incite à sensibiliser le public sur le fait que l'autisme est tout de même très présent chez les filles même s'il est moins diagnostiqué et nous invitons les médecins à considérer avec beaucoup d'attention une préoccupation qui serait exprimée par les parents même si ceux-ci sont persuadés que cela ira en s'améliorant avec l'âge parce que c'est une fille qui est concernée. "