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"L e diagnostic des arthrites inflammatoires - et des formes périphériques en particulier - est difficile", souligne d'emblée le Pr Patrick Durez (chef de clinique en rhumatologie, Cliniques Universitaires Saint-Luc, UCL). "Il repose sur différents critères, l'élément fondamental étant l'identification de la synovite, soit l'inflammation du tissu synovial. Celle-ci sera reconnue au travers d'une anamnèse soigneuse, mettant au jour des symptômes d'origine inflammatoire. La douleur présente un caractère matinal avec résurgences nocturnes et s'accompagne de gonflement articulaire et d'une impotence fonctionnelle. Elle peut s'intensifier avec le temps, tout en étant parfois fluctuante." L'anamnèse sera suivie d'un examen clinique rigoureux des articulations atteintes, y compris leur palpation. L'attention se portera tout particulièrement sur les articulations des pieds et des mains (qui sont les plus fréquemment touchées), mais s'arrêtera également sur les genoux, les coudes, les épaules et les hanches. Il importe de répertorier les sites articulaires atteints, leur nombre présentant notamment un intérêt pour le suivi du traitement à l'aide du score d'activité de la maladie (DAS). On aura également soin d'établir le diagnostic différentiel des différentes arthrites inflammatoires mais également avec l'arthrose et les pathologies cristallines (dont la goutte et la chondrocalcinose) chez les patients de plus de 50 ans. La présentation familiale peut être un élément évocateur supplémentaire en faveur d'une arthrite inflammatoire. On se souviendra en outre que l'arthrite peut apparaître dans un contexte infectieux ou post-infectieux. L'étape suivante comprend les examens complémentaires, dont en premier lieu l'analyse sanguine. Outre les paramètres inflammatoires, celle-ci doit rechercher des auto-anticorps, parmi lesquels on sait que les anticorps anti-peptides cycliques citrullinés (anticorps ACPA) sont nettement plus contributifs que le facteur rhumatoïde, en raison de leur spécificité supérieure pour distinguer la polyarthrite d'autres maladies inflammatoires rhumatismales. La radiographie est souvent normale aux premiers stades de l'affection. Plus sensibles, l'échographie et la résonance magnétique doivent toutefois être interprétées avec prudence, leurs résultats étant rarement normaux chez les patients plus âgés. A l'issue de ces premières démarches, la nécessité se fait le plus souvent sentir de planifier une ou deux consultations supplémentaires afin de pouvoir évaluer l'évolution des symptômes. Dans cette optique, on évitera de "camoufler" d'emblée la symptomatologie par l'administration précoce de cortisone. La prise en charge doit être adaptée en fonction des caractéristiques individuelles du patient. " Loin de relever d'une présentation commune, les arthrites constituent en réalité un spectre de pathologies dont le pronostic peut être très différent - l'atteinte de l'épaule ou du coude, par exemple, est plus inquiétante que celle du cinquième orteil", illustre le Pr Durez . "En termes de classification, il reste d'ailleurs bien du chemin à parcourir. Dans la littérature, les arthrites accompagnées du psoriasis, d'uvéite ou d'une maladie de Crohn se retrouvent par exemple dans le même chapitre que la spondylarthrite ankylosante, alors que leur traitement se rapproche bien plus de celui de la polyarthrite rhumatoïde... avec toutes les conséquences pratiques qui en découlent, les modalités de remboursement des médicaments étant basées sur ces classifications contestables. C'est pourquoi il faudrait réfléchir à répertorier les patients différemment. Mais quoi qu'il en soit, la prise en charge des formes périphériques est relativement standardisée." Le traitement de fond sera décidé à la faveur d'une concertation entre patient, médecin généraliste et rhumatologue, afin d'en fixer adéquatement les objectifs et de les clarifier autant que nécessaire. L'objectif premier sera d'obtenir la rémission, qui traduit une disparition de la synovite par le contrôle des processus immunopathologiques sous-jacents. La rémission s'accompagne d'une diminution de la douleur et des gonflements, tout en rétablissant la qualité de vie par le maintien de l'insertion professionnelle et sociale et des activités sportives. En parallèle, on voit aussi diminuer le risque de déformations visibles à la radiographie. " Ces enjeux sont d'autant plus importants si le patient est jeune", fait remarquer le rhumatologue. " Notons au passage que le rhumatisme articulaire touche aussi les enfants." Le traitement de fond initial fait appel au méthotrexate (associé à l'acide folique) pour toutes les arthrites inflammatoires périphériques. Au départ d'une dose initiale de 15 mg/semaine, la posologie sera progressivement augmentée à 20 mg/semaine. La prise d'AINS, instaurée pendant la phase de diagnostic et d'évaluation, peut être poursuivie à plus long terme si nécessaire. Dans les formes sévères, un traitement temporaire par de petites doses de cortisone peut être prescrit. Le traitement par méthotrexate vise l'obtention d'une rémission dans les trois à six mois. Si le résultat reste insuffisant, le méthotrexate peut être associé à d'autres molécules telles que le léflunomide ou la sulfasalazine, puis renforcé par les traitements ciblés qui régulent le processus immunologique inflammatoire. Dans cette dernière catégorie, on optera soit pour un médicament biologique, soit pour un inhibiteur des JAK (janus kinases) par voie orale. Il est essentiel que le patient comprenne suffisamment la maladie, l'intérêt du suivi et les objectifs thérapeutiques. On gardera à l'esprit que la compliance peut être menacée non seulement par le fait que le traitement agit lentement et par la tentation d'utiliser des médecines dites naturelles qui n'ont jamais démontré leur efficacité. Dans cette optique, les encouragements à l'aide du suivi visant la rémission et la surveillance étroite d'éventuels effets secondaires prennent tout leur sens. Une fois atteinte, il importe que la rémission soit maintenue. Les manifestations extra-articulaires telles que psoriasis, maladie intestinale inflammatoire et atteinte oculaire doivent également être prises en charge. A côté des comorbidités propres à la maladie elle-même, il faut distinguer celles qui sont liées aux traitements, voire à l'interaction entre maladie, traitements et mode de vie. Ainsi en va-t-il du risque cardiovasculaire accru - la principale comorbidité chez les patients atteints d'arthrite inflammatoire - , qui découle à la fois de l'inflammation, du tabagisme, d'un syndrome métabolique, d'un éventuel traitement par cortisone et du fait que les patients atteints de rhumatismes sont généralement plus sédentaires que la population de référence. On restera attentif à la survenue d'une hypertension, d'un diabète ou d'une ostéoporose, mais aussi au risque infectieux, renforcé par certains traitements. " Encore que les médicaments utilisés dans le traitement des arthrites soient des immunomodulateurs, et non des immunosuppresseurs", nuance le Pr Durez. " On veillera malgré tout à vacciner correctement les patients fragiles et/ou âgés. Les mesures anti-infectieuses, particulièrement importantes dans le contexte actuel, méritent chez eux une attention particulière." Les formes plus compliquées ou sévères font parfois l'objet d'une approche pluridisciplinaire faisant notamment intervenir la kinésithérapie, la revalidation ou même la chirurgie. Le Pr Durez coordonne actuellement un projet "Cap 48" ayant pour objet l'arthrite de l'enfant et du jeune adulte. Il vise à établir les facteurs pronostiques dès le diagnostic, étant bien entendu que celui-ci doit idéalement être posé à un stade précoce. Les facteurs pronostiques envisagés comprennent les caractéristiques cliniques et la présence d'une inflammation importante et/ou d'auto-anticorps. Le projet se concentre actuellement sur l'analyse de la synovite prélevée lors de biopsies synoviales, dont on examine en premier lieu l'infiltrat inflammatoire afin de formuler une classification et un pronostic de réponse thérapeutique. L'étude comprend également des immunomarquages pour détecter les cellules et cytokines inflammatoires (interleukines 6/17, TNF, etc.) et des techniques d'amplification génomique permettant de cartographier le profil d'expression des gènes inflammatoires pour chaque patient individuel, voire pour chaque type de cellule (lymphocytes, macrophages, etc.). En pratique, la récolte de tissu synovial est réalisée en ambulatoire, sous anesthésie locale. La finalité est de faire le lien entre ces paramètres synoviaux et la réponse thérapeutique. " C'est un repère privilégié en ce sens qu'on peine à découvrir les causes premières de l'arthrite, liées à un processus auto-immun qui se déclenche parfois dix ans avant l'apparition des premiers symptômes", explique Patrick Durez. " Vu le nombre de facteurs qui peuvent intervenir sur ce trajet, on se trouve face à un puzzle à mille pièces dont on serait bien en peine d'identifier la plus importante. Avec l'analyse synoviale, nous espérons pouvoir déterminer rapidement l'intensité requise du traitement. Nous savons par exemple que la moitié des patients répondent bien au méthotrexate. Notre but serait de pouvoir distinguer d'emblée les bons et les mauvais répondeurs potentiels sur la base des paramètres synoviaux, de façon à ne pas soumettre un patient susceptible d'être un mauvais répondeur à un traitement qui ne lui apportera probablement aucun bénéfice." " L'étude du tissu synovial peut aussi nous amener à avoir rapidement recours aux thérapies ciblées plutôt que d'attendre quelques années, jusqu'à ce que l'état des articulations se soit fortement dégradé."