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Après avoir gagné Bruxelles et la Wallonie, le crocodile bleu poursuit son petit bonhomme de chemin. Originaire de Flandre, le cachet au petit rampant se répand maintenant en France. La philosophie est exactement la même qu'en Belgique: mettre en évidence les trop nombreuses demandes de certificats médicaux sans réelle valeur médicale ajoutée, en les tamponnant d'un cachet avec un crocodile à la couleur de son choix. Les médecins français n'échappent pas à la surcharge administrative générée par ces demandes de certificats. Selon Michaël Rochoy, le médecin généraliste qui gère le site web de l'action crocodile bleu en France (baptisée là-bas "Projet Cocori-Crocodile"), environ 50.000 créneaux médicaux par jour sont réservés uniquement par des demandes sans réelles justifications médicales. "Le temps que cela représente est très difficile à déterminer", précise Michaël Rochoy. Ces certificats rédigés sans aucune plus-value médicale, le généraliste les appelle ses "actes gratuits". L'an dernier, il les a soigneusement comptés: "En 2022, j'en ai rédigés 2.060! Chacun prend entre deux et dix minutes à réaliser. Faites le calcul, le temps perdu devient vite énorme..." Depuis le 1er janvier 2023, il totalise déjà 573 actes gratuits pour 1.800 actes justifiés, soit près d'un certificat concerné sur quatre. Mais dans le long parcours vers la simplification administrative, la France démarre avec une étape de retard. En Belgique, depuis le 28 novembre dernier, le certificat médical n'est plus requis pour un arrêt de travail d'un seul jour. C'est toujours le cas en France, bien que le travailleur n'est que rarement indemnisé par la sécurité sociale pour les arrêts de moins de trois jours. L'action "Cocori-Crocodile" emboîte le pas à la revendication des médecins de supprimer la nécessité de certificat médical pour les arrêts de travail d'un ou deux jours. L'alternative proposée par le Collège de la médecine générale? Une auto-déclaration de maladie, remplie par le patient lui-même. Le Dr Rochoy soutient l'idée du CMG: "Si le patient ne peut pas aller travailler pour une raison médicale, il faut le croire! Et si le patronat n'a pas confiance, on pourrait déléguer à quelqu'un qui fait de l'administratif, parce que sont des situations pour lesquelles il n'y a pas de preuve médicale à apporter. Si le patient dit qu'il a mal au ventre, ça suffit, on ne va pas attendre qu'il vomisse sur la table!" Initiée en Flandre par Jong Domus, la protestation contre les certificats absurdes avait vite été adoptée à Bruxelles et en Wallonie. "On a eu une communication assez active sur les réseaux sociaux, notamment Twitter", raconte le Dr Sarah Cumps (SSM-J) à ce sujet, qui est à la base du projet côté francophone en Belgique. "C'est via ce canal que Michaël Rochoy a repéré l'action et l'a lancée en France, parce que leurs frustrations étaient les mêmes qu'ici". Parallèlement, dans l'hexagone, le hashtag "#CertifÀLaCon" remporte un franc succès sur Twitter depuis quelques années. Le généraliste français confirme avoir repéré le crocodile belge sur les réseaux sociaux: "La campagne tombait à pic: on venait tout juste de récolter beaucoup de signatures sur une autre réclamation liée à la simplification administrative chez les médecins. Comme elle lui faisait vraiment écho, on s'est dit 'Hey, il faudrait faire la même chose en France! '. Mais d'un point de vue global, tout ça s'inscrit dans une lutte beaucoup plus vaste pour l'accès aux soins". Supprimer les certificats absurdes et libérer du temps aux médecins aideraient à faire face à la pénurie qui frappe la profession. Du côté français, on attend donc avec impatience un sursaut politique en la matière.