...

"J'essaie de faire rire les gens qui sont tristes", a un jour répondu le Dr Christophe Panichelli à un petit garçon qui lui demandait quel était son métier. "Pendant longtemps, je me suis refusé à qualifier cette façon de pratiquer la psychothérapie de 'thérapie par le rire'. (...) C'est réducteur, mais cela contient deux ingrédients essentiels: la thérapie qui était l'objectif à atteindre, et le rire, comme un des moyens d'y parvenir." "Si on m'avait dit, en commençant mes études de médecine, que je me retrouverais à faire de l'humour devant mes patients pour les aider à se désemberlificoter de leurs problèmes, et que cela constituerait une partie essentielle de mon travail, je ne l'aurais jamais cru. Alors comment cette dimension universelle de la vie a-t-elle progressivement pris autant de place dans mon quotidien avec les patients? Autant dire que je partais quasiment de zéro: le thème de la place de l'humour au sein de la relation médicale n'a pour ainsi dire jamais été abordé ni durant mes études de médecine ni durant ma spécialisation en psychiatrie. Comme si le rire avec les patients était un tabou ou désobéissait à une règle implicite fondamentale: la médecine, c'est du sérieux. J'ai donc débuté ma pratique médicale sans me rendre compte de cet interdit sous-entendu." Au cours de ses 15 années de pratique, le psychiatre a observé et analysé les bienfaits de l'humour sur ses patients. "Réussir à amener le patient à rire de ce qu'il considérait au départ comme un problème insoluble constitue souvent une étape clé dans le processus de la thérapie, incluant une réinterprétation de la situation qui permettra de prendre des dispositions nouvelles pour la gérer. Pour cela, aborder le problème avec humour apporte un décalage rafraîchissant et la dose de surprise nécessaire à une relecture du dilemme du patient", précise celui qui a d'abord opté pour la médecine interne, puis bifurqué vers la recherche, avant de s'orienter vers la psychiatrie, en se penchant plus précisément sur la place et l'efficacité de l'humour en psychothérapie. Sujet auquel il allait consacrer sa thèse de doctorat, défendue avec succès en 2019 à l'Université de Liège et corpus d'étude qui se retrouve aujourd'hui au centre de son livre "La thérapie par le rire".Dans la préface, Jean-Yves Hayez, pédopsychiatre et professeur émérite à l'UCLouvain, estime qu'il s'agit du "fruit du travail d'un érudit qui se livre à une analyse fouillée, très bien documentée et intelligemment construite sur son sujet: la psychothérapie, le rire, et la place du rire dans la psychothérapie. On y rencontre un homme engagé qui témoigne largement de son expérience professionnelle et même personnelle, en émaillant son analyse de multiples 'illustrations' empruntées à sa pratique. Dans ce livre, la théorie est en permanence véritablement validée parce que la pratique proposée en lecture la confirme et la nuance à la fois. Une réflexion sérieusement documentée - un régal scientifique." Pour le Dr Panichelli, l'objectif n'est bien sûr pas de faire de l'humour, le but c'est de faire de la thérapie en maniant judicieusement l'humour et en faisant rire le patient. L'ouvrage détaille également les risques que cela peut entraîner et comment le thérapeute peut les éviter. Ainsi, en tenant compte de certaines précautions (tentative de séduction, autodérision du patient, relativisation excessive...), l'introduction d'humour peut être utile à chaque étape du processus thérapeutique depuis la motivation, en passant par l'alliance thérapeutique, le recadrage, l'espoir et le changement comportemental. "Il s'agit d'une des tâches les plus importantes et les plus complexes du thérapeute: faire en sorte que son empathie soit manifeste et évidente tout au long de ses interventions, humoristiques ou non, pour que le patient continue de percevoir que les efforts du thérapeute sont employés à le faire progresser. Cette situation de joining, dans laquelle il réussit à rejoindre le patient dans sa vision du monde, et à le lui faire sentir, constitue le véritable fil rouge de la thérapie et tant que le patient le tient entre les doigts, le travail peut se poursuivre, même parsemé d'interventions humoristiques, absurdes ou provocatrices", nuance-t-il. Les aspects constructifs de l'humour se déclinent en 31 fonctions distinctes, certaines concernent plus spécifiquement le patient (faciliter l'expression des émotions, montrer l'exemple, diminuer les résistances, favoriser l'aire transitionnelle, la communication indirecte, ne pas se prendre trop au sérieux, célébrer l'absurdité de la vie, favoriser l'espoir, diminuer la honte, démasquer les comportements autodestructeurs, activer la résilience...) et d'autres visent le thérapeute (aide au diagnostic, autodérision, révélateur de la motivation, gestion des patients agressifs, enseignement...). L'auteur n'oublie pas d'aborder le burn out, les psychothérapeutes y étant particulièrement vulnérables. Or, utiliser et développer leur sens de l'humour peut les aider à neutraliser une partie des éléments négatifs qu'ils rencontrent dans leur pratique et à préserver au maximum leur bien-être et leur enthousiasme. Ce manuel didactique, complet et stimulant n'en oublie pas d'être drôle grâce à la centaine d'exemples de dialogues issus des consultations de l'auteur. Cette lecture s'adresse donc aux psychothérapeutes qui souhaitent dynamiser leur pratique en y ajoutant de l'humour, tout en évitant les risques qui peuvent y être liés, mais il intéressera également ceux qui souhaitent simplement mieux comprendre comment fonctionne la psychothérapie.