Le journal du Médecin : Où en sommes-nous, en 2023, du remboursement, du coût et des réglementations des traitements médicamenteux contre le VHC ?

Pr Yves Horsmans : Les traitements dépendent de l'article 112, nous n'avons donc qu'une vague idée de leur prix réel à l'heure actuelle (on évoquait 40.000 à 50.000 euros par patient, il y a quelques années, NdlR), mais ils sont désormais pris en charge à 100 %, pour tous les patients, via leur mutuelle - à condition d'en avoir une, ce qui n'est pas le cas des réfugiés par exemple. Seuls les internistes et les gastro-entérologues peuvent les prescrire, et nous devons toujours enregistrer les patients traités sur E-health, avec leur génotype et le degré de fibrose.

Le jdM : Quel est le profil des patients que vous voyez aujourd'hui en consultation, au quotidien ?

Pr Y. H. : Le 'commun des mortels' dirais-je, càd des gens dont on ne connaît pas toujours l'origine de l'infection - transfusion sanguine ou toxicomanie par injection dans le passé -, ou des patients coinfectés dans le cas de la population homosexuelle masculine active. Il est clair qu'on traite beaucoup moins ces derniers mois chez nous à Saint-Luc car la majorité des patients ont déjà été traités. Et la plupart ne font pas partie des " groupes à risque ", comme aiment les appeler les médias. Dans les grands centres-villes, la majorité des personnes VHC sont des toxicomanes.

Le jdM : Quel est le profil des personnes qui meurent encore de l'hépatite C de nos jours ? On parle de 300 décès...

Pr Y. H. : En réalité, les gens n'en décèdent que rarement, et le plus souvent dans le cadre d'un cancer hépatocellulaire compliquant une cirrhose HCV +. Le pourcentage est très faible, je ne sais pas d'où viennent ces " 300 décès " qu'on évoque parfois, sans doute d'extrapolations. En Belgique, on n'est pas très bons pour les chiffres, quelle que soit la pathologie d'ailleurs... La prévalence est en tout cas de moins d'1 %, mais les chiffres ont été clairement exagérés à une époque. Même au niveau mondial, on est maintenant redescendu sous les 100 millions d'infectés.

Le Pr Yves Horsmans, des Cliniques universitaires Saint-Luc de Bruxelles (UCLouvain).

Un dépistage systématique au moins une fois dans la vie

Le jdM : Le défi, aujourd'hui, est donc avant tout de poser le diagnostic ?

Pr Y. H. : Oui, et il y a 20 ans que je défends la même politique, mais visiblement sans arriver à convaincre ! (sourire) Je dis que toute personne devrait bénéficier d'une sérologie pour le VHC à un moment, au moins une fois, dans sa vie. Sans urgence, sans faire de prise de sang expressément pour ça, mais par exemple en même temps qu'un dosage du cholestérol, et que le médecin traitant inscrive cette sérologie dans le dossier patient. Une recherche de l'HCV-ARN doit être demandée et si elle revient positive, le patient doit être adressé à une consultation d'un hépatologue ou d'un infectiologue.

Nous ne connaissons pas l'origine de l'infection de 20 % des patients (ce qui est beaucoup) que nous voyons à l'hôpital. Et encore, parmi les 80 % dont on connaît l'origine, s'il y a eu transfusion à l'époque, on dit que c'est ça, mais sans avoir la preuve. C'est sans doute un excès de langage, et donc il y a sûrement plus de patients dont on ignore l'origine exacte de l'infection.

Le jdM : ce test sérologique une fois négatif, s'il n'y a pas de comportement à risque (toxicomanie par injection, homosexualité masculine), ne doit pas être renouvelé au cours de la vie ?

Pr Y. H. : Tout à fait. Je conseille toujours d'apporter ses propres aiguilles en cas d'acupuncture et les salons de tatouage travaillent en principe en sécurité mais on peut éventuellement faire une sérologie quelques semaines après en cas de doute.

Le cas des prisons et des réfugiés

Le jdM : Un des foyers importants de VHC, pour aboutir à l'éradication, est la prison ?

Pr. Y. H. : Il y a du dépistage et ce pourrait être un lieu intéressant pour traiter, mais le souci est que pour pouvoir traiter, il faut que la personne y reste au moins le temps de la durée du traitement, soit huit semaines (trois comprimés de Maviret d'Abbvie en une fois par jour) ou douze semaines (un comprimé par jour d'Epclusa de Gilead). Or pour ça, il faut qu'on connaisse la durée de séjour en prison, et donc la sentence...

Le jdM : Et concernant les réfugiés via Fedasil ?

Pr Y. H. : Cela dépend des centres... Souvent, ils recherchent différentes maladies infectieuses mais de nouveau, s'il y a diagnostic, il faut savoir combien de temps les gens vont rester pour assurer la durée du traitement et par définition, ils n'ont pas de mutuelle. C'est compliqué... Dans un monde idéal, on pourrait traiter tout le monde. En Egypte, qui comptait 12 millions de gens positifs, des plans nationaux ont été établis. La France est également en avance sur nous, mais ils ont eu l'affaire Fabius (affaire du sang contaminé, NdlR)...

Le jdM : En 2016, quand la Belgique, via sa ministre de la Santé Maggie De Block, annonce un élargissement du remboursement des traitements et s'inscrit dans l'espoir de l'OMS de voir l'hépatite C éradiquée pour 2030, vous n'êtes déjà pas très chaud...

Pr Y. H. : En effet, et je pense toujours que si on n'arrive pas à convaincre le corps médical de faire une sérologie une fois dans la vie, on a peu de chance d'aller jusqu'à l'éradication. Surtout que dans l'immense majorité des cas, les gens sont asymptomatiques ou peu symptomatiques, donc ils ne vont pas la demander eux-mêmes à leur médecin.

Le jdM : Quelle politique faudrait-il adopter pour les populations à risque ?

Pr Y. H. : Le débat est plutôt : qu'est-ce qui est prioritaire ? Dans le cas de la toxicomanie, doit-on éliminer l'hépatite C ou avoir une approche globale de la toxicomanie, ce qui est compliqué. Si on traite le VHC en laissant la personne dans la toxicomanie, sans politique de la seringue unique par exemple, elle va se réinfecter. Il y a un célèbre exemple à Amsterdam d'un confrère condamné par un juge car il avait refusé de traiter un patient qui s'était réinfecté pour la 5e fois...

Le jdM : Les réinfections peuvent-elles induire un risque de résistance du virus ?

Pr Y. H. : Sur le plan théorique, oui, mais sur le plan pratique, ça ne s'est encore jamais vu. C'est un nouveau virus à chaque infection, un virus à ARN qui donc ne s'intègre pas à l'ADN des cellules et est moins susceptible de résister.

Les généralistes pour assurer le suivi

Le jdM : Les patients en guérison virologique doivent-ils être suivis ?

Pr Y. H. : Le traitement du virus est efficace dans 98 % des cas, on ne doit donc plus s'en occuper. La question est plutôt : dans quel état est le foie du patient au moment du traitement ? S'il y a une petite inflammation liée au virus, sans fibrose, si on tue le virus, c'est fini et le patient retrouve une espérance de vie normale. Si l'infection est là depuis un temps long et que le patient présente une cirrhose, en tuant le virus, on arrête le phénomène inflammatoire, mais la cirrhose est toujours là et donc il y a encore un risque de cancer du foie. Parfois, les patients présentent aussi d'autres pathologies : hépatite B, HIV, obésité, NASH, diabète, alcoolisme... Comme en médecine, 1+1=3, ces personnes-là, surtout, sont à haut risque d'évolution péjorative. A côté de ça, nous avons des patientes infectées il y a 50 ans lors d'une transfusion après un accouchement par exemple, sans autres maladies, et qui ont un foie normal. Le virus n'est pas idiot : il n'infecte que les êtres humains et quelques grands singes en voie de disparition, il n'a donc aucun intérêt à vous tuer : il se sert de vous pour être logé, nourri et pouvoir infecter quelqu'un d'autre, donc c'est un virus lent. Si l'évolution est rapide, c'est qu'il y a d'autres cofacteurs, comme un HIV ou l'alcool. Après éradication du virus et donc un traitement antiviral efficace, 30 à 50 % de nos patients ont une fibrose modérée, nous les suivons pendant un an puis, s'il n'y a pas de progression, nous les libérons du milieu hospitalier. Ils doivent être suivis par leur généraliste, d'ailleurs mieux placé pour suivre leurs autres problèmes de santé.

Le jdM : Et qu'en est-il d'un éventuel candidat-vaccin ?

Pr Y. H. : On en est quasiment nulle part, il n'y a pas d'étude de phase 3 à ce jour à ma connaissance. Nous avons désormais des traitements très efficaces, nous connaîtrons un " breakthrough " le jour où l'on aura également un vaccin contre le VIH car les virus à ARN nous posent encore pas mal de difficultés.

Le journal du Médecin : Où en sommes-nous, en 2023, du remboursement, du coût et des réglementations des traitements médicamenteux contre le VHC ?Pr Yves Horsmans : Les traitements dépendent de l'article 112, nous n'avons donc qu'une vague idée de leur prix réel à l'heure actuelle (on évoquait 40.000 à 50.000 euros par patient, il y a quelques années, NdlR), mais ils sont désormais pris en charge à 100 %, pour tous les patients, via leur mutuelle - à condition d'en avoir une, ce qui n'est pas le cas des réfugiés par exemple. Seuls les internistes et les gastro-entérologues peuvent les prescrire, et nous devons toujours enregistrer les patients traités sur E-health, avec leur génotype et le degré de fibrose.Le jdM : Quel est le profil des patients que vous voyez aujourd'hui en consultation, au quotidien ?Pr Y. H. : Le 'commun des mortels' dirais-je, càd des gens dont on ne connaît pas toujours l'origine de l'infection - transfusion sanguine ou toxicomanie par injection dans le passé -, ou des patients coinfectés dans le cas de la population homosexuelle masculine active. Il est clair qu'on traite beaucoup moins ces derniers mois chez nous à Saint-Luc car la majorité des patients ont déjà été traités. Et la plupart ne font pas partie des " groupes à risque ", comme aiment les appeler les médias. Dans les grands centres-villes, la majorité des personnes VHC sont des toxicomanes.Le jdM : Quel est le profil des personnes qui meurent encore de l'hépatite C de nos jours ? On parle de 300 décès...Pr Y. H. : En réalité, les gens n'en décèdent que rarement, et le plus souvent dans le cadre d'un cancer hépatocellulaire compliquant une cirrhose HCV +. Le pourcentage est très faible, je ne sais pas d'où viennent ces " 300 décès " qu'on évoque parfois, sans doute d'extrapolations. En Belgique, on n'est pas très bons pour les chiffres, quelle que soit la pathologie d'ailleurs... La prévalence est en tout cas de moins d'1 %, mais les chiffres ont été clairement exagérés à une époque. Même au niveau mondial, on est maintenant redescendu sous les 100 millions d'infectés.Le jdM : Le défi, aujourd'hui, est donc avant tout de poser le diagnostic ?Pr Y. H. : Oui, et il y a 20 ans que je défends la même politique, mais visiblement sans arriver à convaincre ! (sourire) Je dis que toute personne devrait bénéficier d'une sérologie pour le VHC à un moment, au moins une fois, dans sa vie. Sans urgence, sans faire de prise de sang expressément pour ça, mais par exemple en même temps qu'un dosage du cholestérol, et que le médecin traitant inscrive cette sérologie dans le dossier patient. Une recherche de l'HCV-ARN doit être demandée et si elle revient positive, le patient doit être adressé à une consultation d'un hépatologue ou d'un infectiologue.Nous ne connaissons pas l'origine de l'infection de 20 % des patients (ce qui est beaucoup) que nous voyons à l'hôpital. Et encore, parmi les 80 % dont on connaît l'origine, s'il y a eu transfusion à l'époque, on dit que c'est ça, mais sans avoir la preuve. C'est sans doute un excès de langage, et donc il y a sûrement plus de patients dont on ignore l'origine exacte de l'infection.Le jdM : ce test sérologique une fois négatif, s'il n'y a pas de comportement à risque (toxicomanie par injection, homosexualité masculine), ne doit pas être renouvelé au cours de la vie ?Pr Y. H. : Tout à fait. Je conseille toujours d'apporter ses propres aiguilles en cas d'acupuncture et les salons de tatouage travaillent en principe en sécurité mais on peut éventuellement faire une sérologie quelques semaines après en cas de doute.Le jdM : Un des foyers importants de VHC, pour aboutir à l'éradication, est la prison ?Pr. Y. H. : Il y a du dépistage et ce pourrait être un lieu intéressant pour traiter, mais le souci est que pour pouvoir traiter, il faut que la personne y reste au moins le temps de la durée du traitement, soit huit semaines (trois comprimés de Maviret d'Abbvie en une fois par jour) ou douze semaines (un comprimé par jour d'Epclusa de Gilead). Or pour ça, il faut qu'on connaisse la durée de séjour en prison, et donc la sentence...Le jdM : Et concernant les réfugiés via Fedasil ?Pr Y. H. : Cela dépend des centres... Souvent, ils recherchent différentes maladies infectieuses mais de nouveau, s'il y a diagnostic, il faut savoir combien de temps les gens vont rester pour assurer la durée du traitement et par définition, ils n'ont pas de mutuelle. C'est compliqué... Dans un monde idéal, on pourrait traiter tout le monde. En Egypte, qui comptait 12 millions de gens positifs, des plans nationaux ont été établis. La France est également en avance sur nous, mais ils ont eu l'affaire Fabius (affaire du sang contaminé, NdlR)...Le jdM : En 2016, quand la Belgique, via sa ministre de la Santé Maggie De Block, annonce un élargissement du remboursement des traitements et s'inscrit dans l'espoir de l'OMS de voir l'hépatite C éradiquée pour 2030, vous n'êtes déjà pas très chaud...Pr Y. H. : En effet, et je pense toujours que si on n'arrive pas à convaincre le corps médical de faire une sérologie une fois dans la vie, on a peu de chance d'aller jusqu'à l'éradication. Surtout que dans l'immense majorité des cas, les gens sont asymptomatiques ou peu symptomatiques, donc ils ne vont pas la demander eux-mêmes à leur médecin.Le jdM : Quelle politique faudrait-il adopter pour les populations à risque ?Pr Y. H. : Le débat est plutôt : qu'est-ce qui est prioritaire ? Dans le cas de la toxicomanie, doit-on éliminer l'hépatite C ou avoir une approche globale de la toxicomanie, ce qui est compliqué. Si on traite le VHC en laissant la personne dans la toxicomanie, sans politique de la seringue unique par exemple, elle va se réinfecter. Il y a un célèbre exemple à Amsterdam d'un confrère condamné par un juge car il avait refusé de traiter un patient qui s'était réinfecté pour la 5e fois...Le jdM : Les réinfections peuvent-elles induire un risque de résistance du virus ?Pr Y. H. : Sur le plan théorique, oui, mais sur le plan pratique, ça ne s'est encore jamais vu. C'est un nouveau virus à chaque infection, un virus à ARN qui donc ne s'intègre pas à l'ADN des cellules et est moins susceptible de résister.Le jdM : Les patients en guérison virologique doivent-ils être suivis ?Pr Y. H. : Le traitement du virus est efficace dans 98 % des cas, on ne doit donc plus s'en occuper. La question est plutôt : dans quel état est le foie du patient au moment du traitement ? S'il y a une petite inflammation liée au virus, sans fibrose, si on tue le virus, c'est fini et le patient retrouve une espérance de vie normale. Si l'infection est là depuis un temps long et que le patient présente une cirrhose, en tuant le virus, on arrête le phénomène inflammatoire, mais la cirrhose est toujours là et donc il y a encore un risque de cancer du foie. Parfois, les patients présentent aussi d'autres pathologies : hépatite B, HIV, obésité, NASH, diabète, alcoolisme... Comme en médecine, 1+1=3, ces personnes-là, surtout, sont à haut risque d'évolution péjorative. A côté de ça, nous avons des patientes infectées il y a 50 ans lors d'une transfusion après un accouchement par exemple, sans autres maladies, et qui ont un foie normal. Le virus n'est pas idiot : il n'infecte que les êtres humains et quelques grands singes en voie de disparition, il n'a donc aucun intérêt à vous tuer : il se sert de vous pour être logé, nourri et pouvoir infecter quelqu'un d'autre, donc c'est un virus lent. Si l'évolution est rapide, c'est qu'il y a d'autres cofacteurs, comme un HIV ou l'alcool. Après éradication du virus et donc un traitement antiviral efficace, 30 à 50 % de nos patients ont une fibrose modérée, nous les suivons pendant un an puis, s'il n'y a pas de progression, nous les libérons du milieu hospitalier. Ils doivent être suivis par leur généraliste, d'ailleurs mieux placé pour suivre leurs autres problèmes de santé.Le jdM : Et qu'en est-il d'un éventuel candidat-vaccin ?Pr Y. H. : On en est quasiment nulle part, il n'y a pas d'étude de phase 3 à ce jour à ma connaissance. Nous avons désormais des traitements très efficaces, nous connaîtrons un " breakthrough " le jour où l'on aura également un vaccin contre le VIH car les virus à ARN nous posent encore pas mal de difficultés.