N'existe-t-il donc pas déjà de " centres de santé " dédiés aux adolescents, sommes-nous d'emblée tentés de nous interroger. " Eh bien, non. Des consultations existent, mais portées par des collègues qui sont souvent seuls, comme je l'ai moi-même été pendant 15 ans. Or, cela ne suffit pas à absorber la demande, très importante, ni à avoir un réel impact ", souffle la Dre Françoise Dominé, médecin responsable du nouveau Centre de santé de l'adolescent (CSA) inauguré il y a quelques jours au 5e étage du CHC MontLégia (Liège).

La Wallonie compte plus de 430.000 jeunes âgés de 10 à 19 ans. Ils sont généralement pris en étau entre les unités de pédiatrie - qui ne sont plus adaptées à leur profil - etla médecine des adultes, " où l'on attend des patients qu'ils aient une autonomie et une prise en charge de soi qui ne sont pas encore actives chez un ado ", note la Dre Dominé. Pour accueillir les patients de cette tranche d'âge, par ailleurs la plus exposée aux comportements à risque et aux addictions, " il faut de la pluridisciplinarité, et surtout de l'interdisciplinarité, très éclairante dans la prise en charge. " Et la médecin de rappeler que contrairement aux autres cohortes d'âges, " la mortalité chez les ados, même si elle n'est pas très élevée, n'a pas chuté au cours des cinquante dernières années. " Les trois premières causes de décès chez les ados sont : les violences interpersonnelles, le suicide et les accidents.

Former, d'abord et encore

Formée à l'Université de Lausanne, au sein du programme EuTeach (European training in effective adolescent care en health), Françoise Dominé a porté, depuis 2021, l'idée de rassembler en un lieu unique (one stop shop) une structure d'accueil pour les ados qui souffrent de maladies chroniques ou ont des plaintes somatiques, doublées d'un mal-être psychologique ou social. Un budget fédéral de 35 millions d'euros libéré par le SPF pour renforcer l'ambulatoire a, entre autres, permis de concrétiser le projet.

© CV

" Notre département de pédiatrie au CHC est assez imposant, avec 85 - bientôt 90 - médecins, un peu plus de 100 lits d'hospitalisation, de 50.000 consultations et de 30.000 urgences ", souligne le Dr André Mulder, chef de la pédiatrie. " Aux urgences, 13 % des passages concernent des ados, soit une douzaine en moyenne par jour, parfois pour de la petite traumatologie, souvent pour des problématiques spécifiques. Nous sommes fiers d'inaugurer ce centre dont le chemin d'entrée est d'abord médical, ce qui est novateur. "

Se sentant quelque peu démunis en termes de compétences, d'infrastructure dédiée dans un environnement " youth friendly ", mais aussi en termes de médecins, d'infirmières, d'éducateurs, d'assistantes sociales et psychologues spécifiques, le CHC a commencé par former les futurs professionnels de son CSA, notamment parmi le département de pédiatrie, et ce, dès 2022. " On a commencé avec ma collègue chef de la division 'santé des ados' à Lausanne, on donne une formation interactive, forte d'une trentaine de participants, à raison de deux fois par an, au printemps et au automne, sur trois jours et deux soirées ", explique la Dre Françoise Dominé.

La formation est ouverte à tous : médecins généralistes, psychiatres, pédiatres de toutes les spécialisations, assistants sociaux... Elle comporte différents modules qui couvrent les troubles fonctionnels, les troubles alimentaires, la santé mentale, le développement, les techniques de communication et d'entretien avec les ados, ainsi qu'un programme original de 'patients simulés', c'est-à-dire des ados de 14 à 18 ans formés pour jouer des rôles et donner des feedbacks constructifs.

L'entrée du CSA. Le Centre occupe une place stratégique, avec un accès propre, séparé des adultes ou de la pédiatrie., CV
L'entrée du CSA. Le Centre occupe une place stratégique, avec un accès propre, séparé des adultes ou de la pédiatrie. © CV

Le CSA, qui accueille en moyenne 130 patients (12-20 ans) par semaine pour le moment, entend combler le no man's land entre pédiatrie et univers hospitalier adulte, et espère que d'autres hôpitaux lui emboîteront le pas en venant se former. " Nous donnons aussi des formations via les Glem, lors de journées médicales thématiques, ainsi que deux heures aux étudiants de 3e année de médecine via le DUMG de Liège ", ajoute Françoise Dominé.

Dre Françoise Dominé, médecin responsable du centre., CHC
Dre Françoise Dominé, médecin responsable du centre. © CHC

La formation en médecine de l'adolescent n'existe pas (encore) dans nos facs de médecine. " Les enjeux particuliers du développement cérébral de l'ado, l'intrication du développement biopsychosocial sur le devenir de l'individu ne sont malheureusement pas abordés dans la formation actuelle ", regrette la responsable du Centre de santé de l'adolescent. Tant l'OMS que l'Académie européenne de pédiatrie mettent pourtant l'accent sur le développement de programmes de soins de santé médicaux axés sur les ados, des " youth friendly health services " avec des dimensions préventives et éducatives, à l'instar de ce qui existe en Suisse ou encore au CHU Sainte-Justine de Montréal.

Une vision moins hospitalo-centrée

" Les multicrises et difficultés auxquelles les adolescents sont confrontés - covid, troubles anxieux liés au changement climatique, inondations dans le bassin liégeois, climat géopolitique - les affectent davantage que les adultes ", rappelle la ministre de la Santé, Christie Morreale. Ainsi, depuis la pandémie, les troubles alimentaires ont connu des pics jusqu'à 83 %, alertent certaines études. À ce titre, le CSA travaille avec le Cepia - le Centre d'expertise francophone sur le poids, l'image du corps et l'alimentation qui, avec le soutien des autorités wallonnes, propose des outils concrets et des formations.

" C'est un projet qui répond à un besoin évident. Et plus tôt on agit, mieux c'est ", poursuit la ministre wallonne. " L'ambulatoire a de plus en plus sa place. Ça ne veut pas dire qu'il va se substituer entièrement aux lits pédopsychiatriques, la demande reste importante et nous devons continuer à exiger que cette demande soit rencontrée sur le territoire wallon. " Et d'ajouter : " Ce qui m'intéresse au niveau wallon, alors que nous sommes en train de finaliser Proxisanté, c'est la liaison entre l'hôpital et la première ligne. On avait une vision assez hospitalo-centrée en Belgique, il faut faire en sorte que la première ligne puisse transmettre des informations de manière moins cloisonnée au système hospitalier. J'espère que d'ici la mise en place du prochain gouvernement, on pourra travailler à une meilleure liaison entre les aspects préventifs et de prise en charge de la santé de la naissance et pour toute la vie de la personne pour éviter que des jeunes se retrouvent perdus à la croisée des chemins. "

L'équipe multidisciplinaire du CSA compte 25 membres : quatre pédiatres de l'adolescence, une médecin généraliste, un pédopsychiatre et quatre psychologues, trois diététiciennes, une sexologue, un ostéopathe qui pratique notamment de la fasciathérapie, deux infirmiers et deux éducateurs, deux secrétaires et une assistante sociale/coordinatrice. Tous assurent le lien entre l'hôpital et la première ligne, via différentes portes d'entrée : les généralistes, les PMS et centres de santé mentale, les psychologues et pédopsychiatries en quête d'un regard clinique, le SAJ, les foyers et internats, ... La gestion des pathologies chroniques demeure, elle, dans les mains des spécialistes traitants des jeunes patients.

Infos: 04/355 49 30 (du lundi au vendredi, de 8h30 à 17h). Email: pediatrie.csa@chc.be

N'existe-t-il donc pas déjà de " centres de santé " dédiés aux adolescents, sommes-nous d'emblée tentés de nous interroger. " Eh bien, non. Des consultations existent, mais portées par des collègues qui sont souvent seuls, comme je l'ai moi-même été pendant 15 ans. Or, cela ne suffit pas à absorber la demande, très importante, ni à avoir un réel impact ", souffle la Dre Françoise Dominé, médecin responsable du nouveau Centre de santé de l'adolescent (CSA) inauguré il y a quelques jours au 5e étage du CHC MontLégia (Liège).La Wallonie compte plus de 430.000 jeunes âgés de 10 à 19 ans. Ils sont généralement pris en étau entre les unités de pédiatrie - qui ne sont plus adaptées à leur profil - etla médecine des adultes, " où l'on attend des patients qu'ils aient une autonomie et une prise en charge de soi qui ne sont pas encore actives chez un ado ", note la Dre Dominé. Pour accueillir les patients de cette tranche d'âge, par ailleurs la plus exposée aux comportements à risque et aux addictions, " il faut de la pluridisciplinarité, et surtout de l'interdisciplinarité, très éclairante dans la prise en charge. " Et la médecin de rappeler que contrairement aux autres cohortes d'âges, " la mortalité chez les ados, même si elle n'est pas très élevée, n'a pas chuté au cours des cinquante dernières années. " Les trois premières causes de décès chez les ados sont : les violences interpersonnelles, le suicide et les accidents.Formée à l'Université de Lausanne, au sein du programme EuTeach (European training in effective adolescent care en health), Françoise Dominé a porté, depuis 2021, l'idée de rassembler en un lieu unique (one stop shop) une structure d'accueil pour les ados qui souffrent de maladies chroniques ou ont des plaintes somatiques, doublées d'un mal-être psychologique ou social. Un budget fédéral de 35 millions d'euros libéré par le SPF pour renforcer l'ambulatoire a, entre autres, permis de concrétiser le projet." Notre département de pédiatrie au CHC est assez imposant, avec 85 - bientôt 90 - médecins, un peu plus de 100 lits d'hospitalisation, de 50.000 consultations et de 30.000 urgences ", souligne le Dr André Mulder, chef de la pédiatrie. " Aux urgences, 13 % des passages concernent des ados, soit une douzaine en moyenne par jour, parfois pour de la petite traumatologie, souvent pour des problématiques spécifiques. Nous sommes fiers d'inaugurer ce centre dont le chemin d'entrée est d'abord médical, ce qui est novateur. "Se sentant quelque peu démunis en termes de compétences, d'infrastructure dédiée dans un environnement " youth friendly ", mais aussi en termes de médecins, d'infirmières, d'éducateurs, d'assistantes sociales et psychologues spécifiques, le CHC a commencé par former les futurs professionnels de son CSA, notamment parmi le département de pédiatrie, et ce, dès 2022. " On a commencé avec ma collègue chef de la division 'santé des ados' à Lausanne, on donne une formation interactive, forte d'une trentaine de participants, à raison de deux fois par an, au printemps et au automne, sur trois jours et deux soirées ", explique la Dre Françoise Dominé.La formation est ouverte à tous : médecins généralistes, psychiatres, pédiatres de toutes les spécialisations, assistants sociaux... Elle comporte différents modules qui couvrent les troubles fonctionnels, les troubles alimentaires, la santé mentale, le développement, les techniques de communication et d'entretien avec les ados, ainsi qu'un programme original de 'patients simulés', c'est-à-dire des ados de 14 à 18 ans formés pour jouer des rôles et donner des feedbacks constructifs.Le CSA, qui accueille en moyenne 130 patients (12-20 ans) par semaine pour le moment, entend combler le no man's land entre pédiatrie et univers hospitalier adulte, et espère que d'autres hôpitaux lui emboîteront le pas en venant se former. " Nous donnons aussi des formations via les Glem, lors de journées médicales thématiques, ainsi que deux heures aux étudiants de 3e année de médecine via le DUMG de Liège ", ajoute Françoise Dominé. La formation en médecine de l'adolescent n'existe pas (encore) dans nos facs de médecine. " Les enjeux particuliers du développement cérébral de l'ado, l'intrication du développement biopsychosocial sur le devenir de l'individu ne sont malheureusement pas abordés dans la formation actuelle ", regrette la responsable du Centre de santé de l'adolescent. Tant l'OMS que l'Académie européenne de pédiatrie mettent pourtant l'accent sur le développement de programmes de soins de santé médicaux axés sur les ados, des " youth friendly health services " avec des dimensions préventives et éducatives, à l'instar de ce qui existe en Suisse ou encore au CHU Sainte-Justine de Montréal." Les multicrises et difficultés auxquelles les adolescents sont confrontés - covid, troubles anxieux liés au changement climatique, inondations dans le bassin liégeois, climat géopolitique - les affectent davantage que les adultes ", rappelle la ministre de la Santé, Christie Morreale. Ainsi, depuis la pandémie, les troubles alimentaires ont connu des pics jusqu'à 83 %, alertent certaines études. À ce titre, le CSA travaille avec le Cepia - le Centre d'expertise francophone sur le poids, l'image du corps et l'alimentation qui, avec le soutien des autorités wallonnes, propose des outils concrets et des formations." C'est un projet qui répond à un besoin évident. Et plus tôt on agit, mieux c'est ", poursuit la ministre wallonne. " L'ambulatoire a de plus en plus sa place. Ça ne veut pas dire qu'il va se substituer entièrement aux lits pédopsychiatriques, la demande reste importante et nous devons continuer à exiger que cette demande soit rencontrée sur le territoire wallon. " Et d'ajouter : " Ce qui m'intéresse au niveau wallon, alors que nous sommes en train de finaliser Proxisanté, c'est la liaison entre l'hôpital et la première ligne. On avait une vision assez hospitalo-centrée en Belgique, il faut faire en sorte que la première ligne puisse transmettre des informations de manière moins cloisonnée au système hospitalier. J'espère que d'ici la mise en place du prochain gouvernement, on pourra travailler à une meilleure liaison entre les aspects préventifs et de prise en charge de la santé de la naissance et pour toute la vie de la personne pour éviter que des jeunes se retrouvent perdus à la croisée des chemins. "L'équipe multidisciplinaire du CSA compte 25 membres : quatre pédiatres de l'adolescence, une médecin généraliste, un pédopsychiatre et quatre psychologues, trois diététiciennes, une sexologue, un ostéopathe qui pratique notamment de la fasciathérapie, deux infirmiers et deux éducateurs, deux secrétaires et une assistante sociale/coordinatrice. Tous assurent le lien entre l'hôpital et la première ligne, via différentes portes d'entrée : les généralistes, les PMS et centres de santé mentale, les psychologues et pédopsychiatries en quête d'un regard clinique, le SAJ, les foyers et internats, ... La gestion des pathologies chroniques demeure, elle, dans les mains des spécialistes traitants des jeunes patients.